Conférence de Pierre Piganiol à la C.S.I. La Villettesous la présidence du Pr. Antoine Prost, 13 juin 1986 (source : https://www.histcnrs.fr/temoignages.html)
|
Antoine Prost : Monsieur Piganiol a fait l'Ecole Normale Supérieure, il a été agrégé en sciences physiques et il faut dire en passant, membre des Forces Françaises Libres pendant la guerre, il a enseigné à la Sorbonne et à l'Ecole Normale Supérieure et après la guerre. En 1947, il a été appelé à crééer et à diriger les nouveaux laboratoires de chimie, de recherche de chimie, de la société Saint Gobain. En 1958, il a été nommé à la demande du Général de Gaulle délégué général à la recherche scientifique et technique auprès du Premier ministre après quoi il a été conseiller scientifique auprès de la direction de Saint Gobain.
Pierre
Piganiol : Merci beaucoup Monsieur
le Président, Mesdames, Messieurs, je suis un petit peu gêné pour parler devant
vous de ces problèmes parce que c'est quand on aborde ce type de question,
c'est toute la politique scientifique, les impacts sur la société, les
structures administratives, la politique tout court qui intervient, donc je
pense que ce qui est très important est d'avoir des témoignages, comprendre
comme cela s'est passé, et comment cela pourrait évoluer.
La situation en 1958 est simple, la France
était à peu près au point de vue du développement scientifique dans la
situation de l'Espagne du milieu des années 1980. L'Espagne dépensait 0,3% de
son revenu national brut pour sa recherche et son développement, la France en
1958 à peu près 0,65 %. Le Général de Gaulle était tout le contraire d'un
scientifique, mais c'était un très grand historien et un excellent analyste des
points forts et des faiblesses du pays. Probablement sous l'influence de ce qui
s'était fait en Angleterre et aux Etats-Unis pendant et après la guerre, il
avait ressenti le rôle fondamental du progrès technologique dans le
développement des sociétés.
En 1958, il décide de faire quelque chose.
Certes, il y avait eu en France une série de colloques, essentiellement
universitaires assez politisés, qui avaient remué beaucoup d'idées et avaient
bien préparé le terrain. Le plus connu au point de vue de l'histoire marque une
date est le colloque de Caen en 1956. Il y avait au gouvernement une petite
cellule qui s'occupait des problèmes scientifiques dirigée par le sénateur Henri Longchambon. Il s'était dégagé du Colloque de Caen l'idée qu'il fallait doter
la recherche d'un organisme interministériel, une structure de consultation de
l'ensemble des ministères intéressés, dotée de liens étroits avec la communauté
scientifique. De là a surgi l'idée de construire un comité Interministériel de
la recherche scientifique qui comportait tous les ministres intéressés, plus
douze scientifiques éminents choisis en fonction de leurs grandes compétences.
Ces douze 'sages' se réunissaient régulièrement, formant le Conseil supérieur de la recherche scientifique.
En avant de cette structure, il fallait envisager
la réalisation d'un exécutif. C'est là que les difficultés ont apparues.
L'optique à l'époque, que ce soit du Congrès de Caen ou du sénateur Longchambon,
était je dirais 'radicale-socialiste' de la IVème République. Elle présentait beaucoup d'avantages, en
particulier le souci d'un fort développement de la science et le gouvernement
socialiste récent l'a prouvé, il a fait dans la même ligne un accroissement
considérable de l'effort de recherche. Mais inversement, il implique un souci de
consensus, autrement dit que la
société toute entière s'exprime à propos de son progrès. Or l'organisation de
la recherche scientifique implique le rôle d'animateurs, de décideurs, ce qui peut
troubler certains esprits scientifiques. Bref, l'idée d'animateur ne plaisait
qu'à moitié à beaucoup de gens.
En 1958, on s'est dit que le Comité interministériel devrait s'appuyer
sur un secrétariat dont le chef portera le titre de délégué général du
Premier ministre ou du gouvernement à la recherche scientifique et
technique. Mais je me suis aperçu tout de suite que ça ne marcherait
pas. Ce n'est pas avec une équipe d'hommes, si éminents soient-ils, qui
se réunissent une fois par mois de six heures à minuit avec un petit
casse-croûte en cours de route et avec un Comité Interministériel qui
se réunit deux fois par an que vous faites marcher l'ensemble de la
lourde machine de la politique scientifique avec ses programmes de
recherche fondamentale, les grandes universités et les organismes
scientifiques, la recherche appliquée, sans compter la politique à
l'égard de l'industrie ou la politique de coopération entre Etats
industrialisés et pays du Tiers Monde. Il était évident qu'il fallait
une structure forte et il fallait pourvoir le poste, mais il y avait
beaucoup d'hésitations : "pas celui-là, il est trop universitaire. Cet
autre est un industriel, ce n'est pas possible, pensez donc, il a fait
carrière dans le pétrole...". Un soir, tout à fait par hasard, je dine
avec des amis dans un restaurant russe de la rue Malebranche et
j'entends à la petite table derrière moi des personnages tout à fait
éminents, qui évoquent ce fameux Colloque de Caen, en particulier le
mathématicien André Lichnérowicz membre
du Comité. Je les entends dire que le Général voulait qu'on lui propose
un nom pour le lendemain. Ils n'avaient personne à proposer. A la fin
du dîner, je les aborde pour leur dire que s'ils avaient besoin de
quelqu'un, j'étais disponible. Le lendemain soir, j'étais reçu par le
Général. Ainsi, ce ne sont pas des titres prestigieux qui m'ont valu la
nomination de délégué général, mais plutot le manque de combattants.
J'ai donc innocemment et sans le dire contribué à
renforcer le secrétariat de la Délégation avec l'appui très énergique du Général de Gaulle et du
Premier ministre Michel Debré. Si j'avais demandé que l'on officialise la
création d'une 'Délégation' en bonne et due forme, il est clair que
l'on se serait heurté à un barrage psychologique. C'est-à-dire à la fois la
crainte d'une structure administrative bureaucratisée et celle d'un pouvoir
excessif confié à un seul. La crainte des pouvoirs est un phénomène récurrent
dans la psychologie des chercheurs. Pour en sortir, on a utilisé une astuce. Dans la loi
de finances de 1959, j'ai fait glisser que "...la délégation à la recherche
scientifique administrera le fonds spécial pour action urgente", une
petite enveloppe budgétaire qui ne pouvait effrayer personne. Trois mois plus
tard, le sénateur Longchambon m'interpelle en disant que l'on parle tout le
temps d'une délégation qui n'existe pas. Je lui réponds : "mais si monsieur
le Sénateur, elle est officialisée dans la loi de finances.
- Et bien vous avez du culot, de faire passer dans la loi de finances quelque chose qui un texte en bonne et due forme!
- Vous savez, on ne fait pas passer dans la loi une
chose aussi peu importante..."
Cela dit, il y avait un gros effort à
réaliser, ce qui a été facilité par un gouvernement qui disposait d'un ministre
des Finances plein de bonne volonté. Cela nous a permis de renforcer les organismes
de recherche, qui n'avaient pas atteints, et de loin, leur taille critique, de soutenir les recherches
universitaires, les recherches appliquées. Tout ceci dans un mouvement appelé à
se prolonger au moins pendant une dizaine d'années. Il fallait aussi changer
les mentalités, s'attaquer aux grands problèmes à venir et dans certains cas
réfléchir à des problèmes généraux de service. Prenons deux exemples. En
matière de mentalités, lorsqu'il y a peu de viande autour d'un os, on se bat
beaucoup pour manger de la viande. Quand on a un petit morceau, on le cache au
voisin pour le la manger en secret dans son coin. Ainsi, la recherche française
de l'époque était caractérisée par une fermeture de chaque organisme sur lui-même, de chaque
unité, sur elle-mêmes. Il fallait trouver le moyen d'inciter les chercheurs à d'avantage d'ouverture.
Un autre point à signaler est que nous manquions de l'infrastructure
nécessaire aussi bien pour lancer des opérations dans le domaine
spatial que dans l'exploitation des océans. Nous avions par contre déjà
dans le domaine atomique une structure solide, mais (un CEA) qui
présentait aussi quelque peu l'aspect d'une forteresse. Dans certains
domaines scientifiques, l'intervention présentait un important degré
d'urgence comme dans le cas de la biologie moléculaire très peu
répandue en France alors qu'elle présentait la clé d'une révolution
dans les sciences de la vie. Je n'étais pas réductionniste comme
certains biologistes, mais il paraissait évident que l'on ne pouvait
plus faire de biologie sans penser molécules.
Il fallait entreprendre des actions de
sensibilisation, d'où le lancement de ce qu'on a appelé les 'actions concertées'
et les 'actions urgentes'. Nous disposions pour cela d'un fonds budgétaire pas
énorme, quelques millions de francs au début, mais qui nous permettait de
réunir sur un même thème des universités, des labos du CNRS, des hôpitaux et
des labos industriels. Les sommes versées venaient en supplément de leur
dotation avec possibilité d'embauches, au moins temporaires. Chacune
de ces opérations était pilotée par un comité scientifique avec le souci de
donner la parole aux principaux intéressés sur le plan scientifique, technique, voire
économique. Le problème de l'exploitation des océans est tout à fait typique à
cet égard. Auparavant, nous n'avions que très peu de choses, un petit bateau au
Muséum, quelques équipes universitaires et un petit centre à
Marseille. Notre premier travail a donc consisté à regrouper ces
petits morceaux autour d'un grand axe. De même, dans le domaine spatial, nous avions de bons spécialistes de la
balistique dans le domaine militaire, de très bons astronomes, on avait des chercheurs
préoccupés par l'amélioration de la météorologie et de la sécurité
en mer et c'est ainsi que lorsque l'espace s'est profilé comme pouvant donner accès à la
communication par satellites, cela nous a permis de regrouper ces activités
autour d'une action concertée. De même, on a lancé une action concertée dans le
domaine de la biologie moléculaire. Puis, il y a eu d'autres actions plus
ponctuelles plus urgentes pour dépanner un labo qui dans l'attente que ses
crédits augmentent avait un programme important et suggéré des actions
extrêmement fondamentales soit pour l'industrie, soit pour les questions
d'énergie, soit de corrosion, d'économie des matières premières. Nous avons
dans ce domaine quelques actions dans le domaine de la chimie macromoléculaire
qui préfigurent les matériaux composites dont nous disposons aujourd'hui. Ce dispositif des actions
concertées répondait au souci de tirer le maximum de moyens existants dispersés
et enfin changer les mentalités, ouvrir les esprits la coopération universités
- industries dans les années 1950. On en parlait beaucoup, mais les mots
cachaient leur absence totale. Il fallait donc créer le mouvement.
Evidemment,
lors de la mise en place de la DGRST, les organismes de la recherche
publique étaient méfiants. Je m'en suis rendu compte dès la première
réunion organisée avec leurs représentants. Mais à la seconde, ils
avaient compris que je les écoutais et un dialogue a commencé à
s'amorcer. Quoique faible, mon expérience internationale me servait par
rapport à la faiblesse de celle de mes interlocuteurs. J'ai pu ainsi
leur apporter pas mal d'éléments utiles. L'organisme le plus réticent
était le CNRS qui s'estimait fort de sa vocation d'outil national, il a
mis du temps à comprendre qu'il n'est pas souhaitable que l'outil
d'exécution de la recherche se confonde avec le rôle des stratèges. En
revanche pour d'autres organismes, notre intervention est apparue comme
un sauvetage. C'est le cas par exemple des laboratoires de l'INRA qui
disposait de très bon labos et d'excellents scientifiques, mais qui
étaient méprisés par les universitaires et c'est ainsi que la DGRST a
pu apporter un soutien décisif au pr. Charles Thibault.
Il
y avait un autre argument pour justifier ces actions transversales.
Nous assistons depuis une vingtaine d'années à une évolution
fondamentale de la recherche. De plus en plus de thèmes scientifiques
ne peuvaient plus être abordés par le biais d'une seule discipline.
Prenez l'exemple de la chimie organique, ma discipline, elle doit
désormais recourir aux techniques de la cristallographie ou de la
résonnance magnétique nucléaire pour étudier la structure des
macromolécules, i.e. s'appuyer sur des découvertes extérieures à sa
branche. Si auparavant on se débrouillait tant bien que mal avec des
techniques que nous ne maitrisions pas, désormais l'organicien a besoin
de s'adjoindre les compétences d'un spécialiste des vibrations de la
matière ou de la spectroscopie. Or, les grands organismes de recherche
commencent seulement à comprendre aujourd'hui
(i.e. dans les années 1980) qu'il leur manque certaines compétences
pour mener tel ou tel type de recherche. Ainsi le CNRS a fini par
admettre qu'il convenait d'organiser une coopération entre des
laboratoires qui s'ignoraient jusque-là.
Pour ce faire, on pouvait imaginer la possibilité de passer des
contrats de recherche. Au début des années 1960, quand notre comité
d'exploitation des océans a élaboré son programme de développement, la
conclusion s'imposait, il fallait lui permettre de travailler avec les
laboratoires extérieurs. J'avais donc prévu fait dans son statut une
clause qui disposerait que 40% de crédits affectés soit à distribuer
extra-muros. Pierre Guillaumat, le ministre de la Recherche, m'a prié
de supprimer ce paragraphe : "ce n'est pas la peine de mettre cette
disposition dans le statut puisque les organismes ont de facto le droit
de passer des contrats". Soit, mais il faut voir le risque. Vous dites
à l'organisme, vous avez le droit de passer des contrats avec l'argent
mis à votre disposition, ce qui revient à dire vous pouvez faire ce que
vous voulez chez vous. Conséquence, tous les programmes intra-muros de
l'organisme deviennent importants et, sauf exception, vous n'avez plus
besoin de contrats extra-muros. Or c'était précisément la vocation du
fonds d'amorçage de la DGRST. J'estime qu'il ne serait pas absurde de
recréer un tel dispositif aujourd'hui.
Les rapports de la recherche avec l'industrie constituaient un autre
enjeu, plus délicat. Il a d'abord fallu persuader les milieux
industriels qu'ils avaient besoin de la recherche. N'oublions pas que
la France est un pays qui était horriblement en retard en la matière.
Jusqu'à des dates très récentes, nos écoles d'ingénieurs négligeaient
la recherche. Il y a avait là un gros effort pédagogique à réaliser.
Lorsque je suis entré à la Cie. de Saint-Gobain en 1947, j'ai été
convoqué par le Président qui recevait les nouveaux cadres d'un niveau
élevé : "Monsieur Piganiol, je suis très content de vous accueillir.
Vous avez de bons diplômes, vous êtes sûrement un bon chimiste et je
n'ai donc aucune inquiétude sur vos compétences. Mais je sais que vous
vous destiniez initialement à l'université et vous n'avez donc jamais
appris la pédagogie. Or, dans votre métier d'industriel, vous allez
être obligé de convaincre et d'expliquer ce que vous comptez faire.
Donc, lundi prochain, vous rentrez dans un stage international de très
haut niveau organisé sur le thème : "l'art de convaincre et de
persuader". Cela m'a beaucoup servi
en 1953 pour moderniser le centre de recherche de Saint-Gobain. En
fait, c'est au début des années 1950 que sont apparus les centres de
recherche industrielle et il a été facile de plaider la relation
recherche-industrie car très vite ils ont buté sur un manque de
connaissances en amont et sur l'absence de relations avec la recherche
fondamentale. La DGRST a ainsi pu influencer, non pas tant via la
direction des grands groupes, que par l'entremise des corps
intermédiaire que constituent ces laboratoires professionnels alimentés
par des fonds gouvernementaux souvent à concurrence de 50 %. A cet
égard, il faut reconnaitre que les contrats militaires ont largement
contribué à faire pénétrer la recherche dans l'industrie. Quant aux
écoles d'ingénieurs, elles se sont mises à la recherche, voyez par
exemple les réussites de l'Ecole des Ponts et Chaussées ou de l'INP de
Grenoble.
Pour lancer la DGRST, sur quels modèles d'organisation pouvais-je m'appuyer? Il n'y en avait pas beaucoup, mais il existait quelques réalisations gouvernementales, comme en Angleterre avec le 'DSIR' (Department of Scientific and Industrial Research) ou en Hollande avec le 'TNO' (Toegepast-Natuurwetenschappelijk Onderzoek) des organismes chargés d'assurer la connexion entre recherche scientifique et sciences appliquées. De même il y avait des efforts très intéressants en matière de relations recherche-industrie menés en Belgique, au Canada ou en Angleterre. Les moyens américains étaient formidables, mais évidemment les méthodes n'étaient pas à notre mesure. J'étais donc en contact avec ce qui se faisait en Europe. En particulier, on peut dire que les travaux de réflexion menés en France et en Belgique à l'époque ont fait l'objet d'un échange constant. Mais c'est vrai qu'il y avait peu de précédents de cette ampleur et c'est d'ailleurs un peu à cause de ça que j'ai usurpé une réputation de pionnier alors qu'en fait j'ai surtout bénéficié d'un hasard de circonstances. Notre chance est d'avoir prouvé que nous pouvions tenir la route.
Au milieu des années 1980, nous nous retrouvons dans une situation paradoxale en ce sens que nous avons toujours d'un côté des structures classiques d'organismes de recherche avec des missions bien déterminées, mais refermés sur eux-mêmes et de l'autre un monde dans lequel la coopération entre organismes, entre groupes petits ou grands, entre public et privé, entre industrie et science pure, ne cesse de se développer. Sous la pression des événements et probablement sans que l'on en ait pris pleinement conscience, les pouvoirs publics ont entrepris de lancer des 'programmes nationaux, un qualificatif ronflant qui recouvre une sorte de prolongement des actions concertées d'autrefois. Le problème étant que lorsqu'on lance quelques dizaines d'actions concertéesn, on peut les faire remonter au niveau d'une instance unique. En revanche, lorsqu'il y en a des centaines, ce n'est plus possible et l'on subit un véritable déluge de bureaucratie avec une multiplication d'instances intermédiaires, comités scientifiques ou autres, donc une structure protéiforme. Le budget de ces opérations incitatives en France représente en gros 15,5 MdF (1986), c'est-à-dire à peu près le tiers de l'ensemble du budget de la recherche scientifique, et du fait de son importance on ne peut se dispenser de dispositifs de contrôles. Moyennant quoi, le caractère interministériel de la recherche publique a pratiquement disparu. Assurer la gestion de ce gigantesque ensemble avec un appendice de l'Education nationale (DRED) relève, à mon sens, d'une certaine forme de naïveté.Un jour, le ministre de la Recherche, mon ami Hubert Curien me dit qu'il regrette cette prolifération de structures : "il faudrait tailler dans le vif, me dit-il.
- C'est très simple, tu n'as qu'à créer un grand
comité pour étudier la suppression de tous ces petits comités". Ce
que l'on a effectivement essayé de faire, notamment concernant les
instances qui gravitaient autour du ministère de la Recherche. Ce fut
très intéressant, j'ai assisté à l'opération en coulisse. Premier
point, il ne fallait quand même pas faire trop de dégâts, donc il
fallait essayer de montrer qu'on en faisait disparaitre moins qu'on ne
le pensait. La commission d'étude a donc passé plusieurs séances à
essayer de définir la notion de comité et de commission et une fois
qu'on a eu défini un certain nombre de critères, on s'est aperçu qu'il
restait encore près de trois cents commissions dans l'orbite du
ministère de la Recherche. Actuellement plusieurs centaines de
personnes y passent leur temps à produire du papier, à brasser des
chiffres, une quantité astronomique de données dont la gestion prend un
temps fou. Ne serait-il pas plus raisonnable de revenir à une légère
structure interministérielle capable d'intervenir lorsque la
coordination entre organismes ne se fait pas où qu'apparaissent de
nouveaux problèmes scientifiques?
Un
autre élément devient prépondérant et concerne la place de la France
dans le monde scientifique. A côté de cette politique nationale de la
recherche, il semble que ces dernières années ont été marquées par une
inquiétante dérive bureaucratique de la stratégie européenne de
recherche. Bruxelles fabrique des programmes scientifiques sans
consulter ses propres centres de recherche comme le Centre commun de
recherche européen d'Ispra. Par ailleurs on a vu fleurir une quantité
de programmes de type 'Eureka', 'Crest', 'Esprit'... qui apparaissent
complémentaires de programmes nationaux, alors que, me semble-il, ils
devraient les transcender. Donc nous sommes dans une période difficile
où établir une stratégie de niveau national alors que l'on est en plein
brouillard sur une stratégie européenne, crée bien des difficultés. Je
n'aime pas faire cela car révolte ma conscience scientifique, mais il
conviendrait d'inventer quelques slogans pour faire passer un message
simple de type : 'soutenons toutes les opérations internationales,
c'est important pour tenir notre place, en tirer tout les bénéfices
tout en aidant les autres'. Nous devrions consacrer la moitié de notre
effort budgétaire à cette forme de politique de la recherche qui s'est
révélée si bénéfique il y vingt ans dans le cas du spatial ou des
grands accélérateurs de particules.