Comment êtes vous venue à la recherche madame Beisson?
Lorsque j'étais en terminale au Lycée Fénelon à Paris, mon
idée était de faire des études littéraires et c'est ma prof de sciences
naturelles, mme Possompès (la femme du collaborateur de
GerogesTeissier) qui m'a poussée vers ces disciplines. Cela m'a
d'ailleurs conduit à faire une math'élem après la philo! J'avais déjà
quelques contacts avec la recherche, quand j'étais gamine ma mère
m'emmenait voir sa soeur (ma tante) Nine Chouckroun dans son
laboratoire de l'Institut de biologie physico-chimique (IBPC). En 1950,
je me suis inscrite à la Fac de science pour étudier la biochimie et la
biologie générale. Là, j'ai eu des professeurs aussi distingués que C.
Fromageot, J. Oussert, P. L'Héritier ou B. Ephrussi et j'ai passé ma
licence en 1953. Ainsi, j'ai préparé un certificat de génétique lorsque
Boris Ephrussi m'a proposé de venir dans son laboratoire de l'IBPC. La
lecture d'un article paru dans 'Scientific American' sur la
transformation de l'ADN m'avait donné l'idée de travailler avec Hariett
Taylor-Ephrussi, sa femme. Mais Hariett ne voulait pas de chercheurs
débutants et Ephrussi m'a envoyé chez Georges Rizet, son maître de
conférence.
La génétique cytoplasmique
Le
laboratoire de génétique physiologique de l'IBPC était dirigé par Boris
Ephrussi qui était en train de découvrir avec Piotr Slonimski une
génétique non chromosomique chez la levure. Le point remarquable de
l'histoire est que, tandis qu'Ephrussi et Slonimski découvraient cette
hérédité non-chromosomique, Georges Rizet mettait en évidence des
phénomènes de même nature chez les champignons, à savoir des anomalies
de ségrégation non-mendélienne. Il existait un certain nombre de
phénomènes semblables chez les végétaux, la drosophile (le caractère
Sigma découvert par Philippe L'Héritier), la levure, les
champignons... Mais parce qu'elle échappait aux lois de Mendel,
cette génétique apparaissait un peu à côté du grand courant de la
génétique chromosomique. Cela signifie que les généticiens se
trouvaient confrontés à des phénomènes héréditaires dont on ne
comprenait pas la nature, des phénomènes localisés dans le cytoplasme
de la cellule et qui étaient (ou n'étaient pas) autonomes par rapport
aux gènes nucléaires (chromosomiques). Donc ils les analysaient par
tous les moyens disponibles à l'époque : croisements, mélanges de
cytoplasmes, changements de température et c'est ainsi qu'au milieu des
années 1950, une cinquantaine de chercheurs dans le monde
s'intéressaient à ces bizarreries, un peu en marge de la génétique
mendélienne. Ils voulaient étudier le mode d'action des gènes, mais ils
étaient tombés sur des phénomènes non mendéliens ce qui rendait les
choses un peu compliquées. Or, parce que ces généticiens étaient de
fins observateurs, des esprits curieux et rigoureux, ils voulaient
comprendre et au lieu de changer de sujet, ils ont choisi de
persévérer... Et ils ont eu raison. Cinquante ans plus tard cette
génétique cytoplasmique continue d'alimenter nos connaissances!
Les mécanismes de la génétique
A l'époque,
il y avait diverses hypothèses pour expliquer les mécanismes
génétiques. Par exemple Max Delbrück, un physicien célèbre qui s'était
mis à la biologie avait émis l'hypothèse des équilibres de flux. C'est
à dire d'états métaboliques alternatifs avec des interactions
croisées. On pouvait donc rencontrer, disait-il, des états
alternatifs stables sans changer des gènes et obtenir des caractères
différents, opposés, associés à un même génotype. Certes, depuis les
travaux d'Oswald Avery à l'Institut Rockefeller (Hariett Taylor avait
été son assistante) on supputait que l'ADN était le support du message
génétique (le phénomène de la transformation), mais les chimistes le
concevaient comme une succession de motifs répétitifs tous identiques,
un poly-tétranucléotide. Ils ne pouvaient imaginer comment la
spécificité structurelle des protéines pouvait venir d'un acide
nucléique beaucoup plus simple. Mais à partir de 1953, le fameux
article de Watson et Crick, la compréhension de la structure en double
hélice de l'ADN a tout illuminé, en particulier elle a débouché sur la
notion de séquence et donc, à terme, sur le code génétique.
Il y a de l'ADN dans toutes les cellules et en particulier dans les
chromosomes des eucaryotes, mais pas uniquement. En 1963, lors d'un
congrès de génétique à Amsterdam j'ai entendu la première annonce d'ADN
dans les chloroplastes des cellules végétales. Tout de suite après est
arrivé l'ADN mitochondrial, notamment chez la levure. Cet ADN
mitochondrial est à l'intérieur du cytoplasme cellulaire, comme l'ADN
des bactéries, et ses brins sont 'pelotonnés' dans une mitochondrie. En
analysant les mitochondries, il s'est avéré in fineque la
quasi-totalité de ces phénomènes s'expliquaient par l'action d'un ADN
extra-nucléaire, un acide nucléique pour le sida, un ADN
dans les chloroplastes ou dans les mitochondries pour les mutants de la
levure ou des champignons, etc. Chez les paramécies, l'Américain
pionnier dans la génétique de ces organismes, Tracy Sonneborn, parlait
d'un plasmagène, puis d'un virus Kappa, mais formellement il s'agissait
d' un gène cytoplasmique (on a finalement compris qu'il s'agissait de
l'inclusion d'un virus incapable de se reproduire à l'extérieur de la
cellule). Comme l'ADN était omniprésent dans les cellules, l'idée a
donc prévalu que chez tous les êtres vivants les lois fondamentales,
les mécaniques de base de la génétique étaient les mêmes.
Comment choisissait-on un modèle expérimental chez les généticiens?
On peut dire que dans les années 1950 tous les organismes
modèles (drosophiles, champignons, bactéries,etc.) étaient considérés
comme aussi nobles les uns que les autres, donc autant susceptibles
d'apporter des connaissances de valeur universelle. On était moins
'bêcheur' (si j'ose dire) qu'on ne l'est devenu par la suite. Tous les
généticiens pensaient que l'important était de travailler sur
l'organisme qui permettait de trouver l'explication particulière de tel
ou tel phénomène. Cette qualité d'ouverture a commencé à s'estomper il
vingt cinq ans lorsqu'on a vu se développer la recherche sur les
eucaryotes supérieurs (l'homme, la souris), par des gens qui ont
commencé à considérer tout le reste avec condescendance...
Cette évolution est particulièrement frappante lorsqu'on considère la
manière dont fonctionnent actuellement les grandes bases de données
scientifiques. Je travaille aujourd'hui sur les paramécies et il se
trouve qu'il y a quelques mois j'ai aidé à préparer un numéro spécial
d'une revue française (Biology of the Cell) consacrée aux centrosomes.
Or curieusement, la référence de mon papier ne figure pas dans la base
américaine 'Biomed'... Pourquoi? Celle-ci sélectionne parait-il les
articles de la revue française. 'Biomed' estime t-il que les paramécies
sont moins importantes que le reste? Je m'interroge... Bien entendu,
les choses ont bien changé par rapport à mes débuts, au moins sur le
plan quantitatif. A l'époque, la communauté était si petite que les
échanges se faisaient sur un pied d'égalité entre chercheurs seniors et
petits jeunes. Je me souviens qu'on m'avait envoyée à mon premier
congrès de génétique, en 1958 à Montréal, alors que je n'étais qu'une
débutante qui racontait ses histoires de champignons, mais dans
l'auditoire il y avait les stars de la génétique moléculaire dans le
monde...
Quelles sont les caractéristiques de cette génétique cytoplasmique?
Lorsqu'on fait des croisements, les règles mendéliennes
permettent de prévoir des proportions définies dans la descendance.
C'est ce qui permet de dire que le gène se comporte comme une entité
localisée sur les chromosomes puisque chez l'homme comme chez le
champignon, le croisement résulte de la fécondation d'une grosse
cellule pleine de cytoplasme (un ovocyte) par une micro cellule qui
n'apporte que son noyau (un spermatozoïde). Donc tout ce qui est
apporté dans le produit du croisement par le cytoplasme vient de la
mère. Ainsi pour un généticien, dire cytoplasmique ou maternel, c'est
la même chose. Dans le cas du champignon, c'était pareil. Le croisement
est anisogame, ce qui signifie que les deux gamètes sont inégaux,
l'un apporte la matière vivante pour le début du développement, l'autre
seulement son noyau. L'intérêt des champignons est qu'on peut faire les
deux croisements réciproques. Vous avez une souche A et une souche B.
Chaque souche produit des organes femelles et des organes mâles. Vous
pouvez donc avoir la mère A par le mâle B et la mère B par le mâle A.
Le cas échéant, si le caractère phénotypique est mendélien, on ne
voit aucune différence entre les deux. Au contraire, s'il y a des
différences cela signifie que les caractère ne sont pas
mendéliens parce que transmis par la mère.
Georges Rizet et les Ascomycètes
Quand je
suis arrivé chez lui en 1953, Georges Rizet travaillait sur les
Ascomycètes (Podospora anserina) des tout petits champignons
(moisissures) qu'on cultive sur un semis; on obtient un micellium qui
s'étale sur une boîte de Petri. Podospora a donc une sexualité, on peut
le croiser et faire de la génétique assez sophistiquée grâce à ses
ascospores qui sont le produit d'une méiose (on peut donc analyser tous
les événements de la méiose en regardant bien les asques). Rizet avait
découvert que si on repique une souche d'Ascomycète, au bout d'un
certain temps le champignon refuse de pousser. Donc que pour une souche
donnée (un génotype spécifique), on pouvait définir une longévité
donnée : si on mesure en longueur linéaire la croissance du champignon,
celle-ci atteindra dix centimètres par exemple puis elle mourra, quoi
que vous fassiez. Si toutes les souches ont la même longévité cela
signifie que sa détermination est génétique, que la senescence de cet
organisme est inscrite dans ses gènes. A la suite de nombreux
croisements, Rizet s'est aperçu que la senescence de Podospora était
transmise par le cytoplasme et non par le noyau (Denise Marco a fait sa
thèse sur ce sujet) puis ce phénomène a été repris par Léon Belcourt
qui a montré qu'il s'agissait d'une affaire de génome mitochondrial.
Le phénomène de barrage
Le phénomène du
barrage a aussi été découvert par Georges Rizet. Les ascomycètes
appartiennent à la même espèce de champignons, mais il y a des races
géographiques, comme chez les humains. Pour croiser ces races, on fait
des semis dans une boîte de Petri où elles vont pousser l'une vers
l'autre. En se rencontrant, elles vont s'aimer ou non ! Quand elles se
rencontrent, leurs ramifications vont soit s'accoupler, soit donner une
réaction de rejet . C'est ce phénomène d'incompatibilité que Rizet a
mis en évidence. Il a découvert que certaines de ses souches mouraient
quand leur cytoplasme se rencontrait ce qui résultait d'une
incompatibilité sexuelle révélée par l'absence de croisement ou par un
croisement univoque. Il a appelé ce phénomène le barrage. Sur la ligne
de rencontre, il se forme un bourrelet et les cellules meurent.
Rizet s'est alors intéressé à diverse souches de Polyspora pour
réaliser une approche de génétique de populations. Il est allé dans la
nature récolter ces champignons afin de comprendre ce que signifiaient
ces barrages à l'échelle naturelle et c'est ainsi qu'il a identifié un
certain nombre de gènes nucléaires responsable de la compatibilité ou
de l'incompatibilité des souches. Il a montré qu'une différence entre
deux allèles (deux formes d'un même gène, l'un portant l'allèle A,
l'autre l'allèle a) suffisait à déclencher le phénomène. Les deux
souches qu'il a appelées S et s présentaient une incompatibilité, l'une
portait le gène S et l'autre l'allèle du gène sous la forme s. C'est
sur le phénomène de barrage que j'ai soutenu ma thèse en 1962. Au
début, Rizet m'avait imposé le sujet, mais je m'y suis très vite
intéressée pour ne pas dire qu'il m'a rapidement passionnée.
J'ai essayé de comprendre quelle était la nature de la différence entre
ces deux états alléliques et j'ai bati des hypothèses. L'une était
qu'on se trouvait face à une particule auto-reproductive, autonome et
infectieuse, comme un virus, ce qui s'est avéré erroné. Mais j'en avais
une autre. Comme j'avais mis au point des techniques de
micromanipulation qui permettaient d'identifier les propriétés
respectives du noyau et du cytoplasme, mes résultats ont permis
d'expliquer l'hérédité maternelle des deux états cytoplasmiques (s et
S) pour proposer l'action d'un mécanisme fondé sur le caractère
auto-inductible du gène 's'. C'est à dire que celui-ci expliquait la
variation d'un caractère héréditaire sans changement de la spécificité
d'un gène. Plus tard, cette recherche a été reprise par Bégueret à
Bordeaux qui a cloné les gènes de S et s chez polyspora
pour montrer que dans l'état s modifié, le produit du gène était là.
Autrement dit, il y avait deux états, deux conformations moléculaires,
du même produit du gène.
C'est-à-dire la même protéine, mais sous forme de prion ?
Tout juste, autrement dit ce système est un exemple des molécules de
type prion. Ainsi, ma satisfaction est d'avoir passé sept ans de ma vie
à travailler sur un problème qui a abouti à montrer qu'une molécule
peut avoir de manière stable deux conformations dont l'une est
infectieuse et l'autre pas. On a deux phénotypes cellulaires stables,
maternellement héréditaires, liés à deux conformations spécifiques
(protéine 'normale' ou 'prion') du même génotype . A coté du prion, il
y a deux protéines qui peuvent exister sous deux conformations dont
l'une est infectieuse pour l'autre et qui peuvent se maintenir soit
sous la formation 'a', soit sous une forme 'b'. Pendant longtemps on a
pensé que la séquence du gène déterminait la séquence primaire de la
protéine et qu'une fois que cela était fait, tout était joué. On sait
que monsieur Chris Anfisen a eu le prix Nobel (chimie 1972) pour
avoir démontré dans le cas de l'insuline que si on dénature la
protéine, c'est-à-dire si on lui retire sa structure tridimensionnelle,
elle la réacquiert spontanément; ce n'est pas faux, mais on s'aperçoit
en plus qu'il n'y a pas une seule conformation termodynamiquement
stable pour les protéines, mais au contraire que suivant les conditions
elles peuvent avoir telle ou telle conformation.
En post-doc chez Tracy Sonneborn
On sait
qu'une cellule est un objet très complexe, architecturé, structuré de
manière qu'on ne saurait fabriquer de novo. Cela veut dire qu'une
cellule contient les différents éléments nécessaires à sa duplication.
C'est ainsi qu'après avoir soutenu ma thèse, j'ai décidé de
m'intéresser à ce qui dans l'hérédité cellulaire ne venait pas
directement des gènes. J'avais lu dans Genetics,
un abstract dans lequel Tracy Sonneborn expliquait comment il avait
fabriqué des doublés de paramécies. Les paramécies sont des
protozoaires de grande taille porteurs de cils vibratiles. Elles ont
une architecture très complexe, avec une carapace, plein de cils (on
pourrait même dire que c'est une bête avec un ventre, un dos, des bras,
des oreilles etc). Donc Sonneborn avait obtenu des paramécies doubles
qui, de plus, pouvaient se reproduire. J'en avais conclu que le fait
díavoir une structure agencée de telle ou telle manière n'était pas
important pour les gènes de la paramécie, ce qui comptait, était leur
état d'organisation à un instant 't 0'. Je suis donc aller passer un an
comme post doc chez lui à l'Université d'Indiana à Bloomington pout
étudier l'hérédité corticale des paramécies.
Janine Besson (à dr.) dans le laboratoire de Tracy Sonneborn (en haut à gauche) à l'université d'Indiana à Bloomington (DR)
L'architecture de la paramécie est caractérisée par l'organisation
des raies corticales : leur cellule est faite de rangées de cils qui
vont d'un pôle de la cellule à l'autre et sont polarisées dans le même
sens. Je voulais voir si la cellule se reproduirait avec un nouveau
schéma si je réussissais à changer le sens de ces raies. Sonneborn m'a
donné carte blanche et grâce à des opérations micro chirurgicales, j'ai
pu effectuer des greffes de cortex où la polarité était inversée de
180°. C'est ainsi qu'à la suite de mes manips de micro-greffes et après
croisement de mes paramécies 'opérées', j'ai pu constater que mon
architecture en rangées inversées pouvaient se conserver pendant des
centaines de générations.
C'est ainsi que vous avez mis en lumière un phénomène d'hérédité structurale...
Pourquoi dans la paramécie sauvage les cils étaient ils tous
orientés dans le même sens ? Si on raisonne en termes d'évolution
darwinienne, on dira que la polarité des corps basaux est sélectionnée
dans le sens où la paramécie nage. Mais si on retourne ceux-ci, comme
je l'avais fait chez Sonneborn, on constate que celle-ci va se
reproduire en transmettant une nouvelle polarité. Cette
transmissibilité de caractères acquis s'explique parce que les
corps ciliaires des paramécies présentent un ensemble de propriétés
extraordinaires d'auto reproduction et de polarisation transmises par
le processus même de la duplication cellulaire. Les cils sont des
microtubules, des protéines, qui ont besoin pour pouvoir s'assembler de
structures de type centriole. Ces protéines tubulaires polarisent donc
leur environnement pour permettre l'assemblage des microtubules (à
chaque cycle cellulaire, elles ne se dupliquent que s'il y a un
centriole pré existant à proximité). C'est comme pour l'ADN où il faut
un chromosome pour faire un autre chromosome, mais là il n'y a pas
d'ADN puisqu'il s'agit d'acides aminés et comme cette petite structure
centriolaire dépourvue d'acides nucléiques est dotée de capacités
d'auto reproduction, on parle d'une hérédité de structure, une sorte
d'énigme de la nature.
Si j'élargis la question de cette
génétique non nucléique, je dirais que dans une cellule il y a
beaucoup de choses qu'on ne peut pas fabriquer sans avoir une
matrice d'origine. Une cellule fille ne peut pas faire de mitochondries
si une cellule mère n'en possède pas. Tous les compartiments
membranaires infra cellulaires sont fabriqués de cette façon. De même
avec les chromosomes, si on perd un chromosome en gardant l'ADN qui est
dessus, celui-ci ne pourra pas reconstruire le chromosome.
Certes, un gène s'exprime quand on le transcrit, il n'a pas besoin
d'être sur un chromosome, mais pour être dupliqué et transmis de
manière stable, il doit être installé sur une structure compliquée et
auto-reproductible. Un chromosome est donc une succession de gènes
accrochés sur une matrice protéique qui, pour se pérenniser au cours
des divisions cellulaires, a besoin de toute une machinerie
protéique qui relève de cette génétique structurale.
Enseignante à Orsay
Quand je suis revenue de
Bloomington, j'ai parlé de ces travaux à une réunion de notre Société
de génétique. La lumière ne s'est allumée que dans quelques regards, de
distingués professeurs (Jean Génermont) ne semblaient guère
s'intéresser aux paramécies, mais ce n'était pas le cas d'Ephrussi, de
Slonimski ou de Rizet dont la curiosité était piquée par cette hérédité
structurale. Ce dernier avait d'ailleurs quelque mérite car j'avais
abandonné son modèle (les champignons) pour adopter celui de Sonneborn.
Quand je suis revenue chez lui, Rizet m'a interrogé sur mes projets et
je lui ai expliqué que j'aimerais continuer sur la paramécie. Il était
un peu contrarié, j'étais resté sept ans avec lui alors que je n'avais
passé qu'un an chez Sonneborn ! Mais il avait l'esprit large (Georges
Rizet est quelqu'un pour lequel j'ai gardé la plus vive estime
intellectuelle) et il a finalement accepté de me laisser mes
paramécies. En 1964, lorsqu'il a été nommé professeur à Orsay, toute
son équipe l'a suivie et je suis donc devenue chargée de cours en
génétique physiologique (second cycle) à Orsay. Il ne m'a imposé qu'une
seule contrainte, lorsque j'ai eu mon premier étudiant de troisième
cycle (Y. Capdeville), celle de ne pas la mettre sur la paramécie...
Le département 'génétique des fonctions cellulaires' au CGM...
En 1972, alors que j'étais à Orsay, Boris Ephrussi à la veille
de prendre sa retraite a suggéré qu'on m'appelle au CNRS à Gif sur
Yvette pour pour prendre sa succession dans son département du Centre
de génétique moléculaire. Bien sur, Ephrussi avait suivi
mes travaux sur l'hérédité structurale avec quelque intérêt, mais je
crois que sa demande était aussi motivée parcequ'il me considérait
comme quelqu'un de gentil (i.e. apte à maintenir le statu quo dans sa
section de génétique des fonctions cellulaires où continuait de
travailler sa collaboratrice Mary Weiss). Piotr Slonimski a soutenu
cette proposition d'autant qu'il s'agissait de continuer à spécialiser
cette génétique non-chromosomique qui faisait la réputation du CGM. De
plus, Piotr savait que, comme lui, je n'hésitais pas à mettre la main à
la pâte. Je suis donc venue à Gif avec mes 'élèves' d'Orsay : André
Adoutte
qui faisait de la génétique mitochondriale,Yvonne Capdeville
qui étudiait les variations antigéniques des protéines de surface,
Annie Sainsard, François Ruiz et Yves Brygoo les interactions
nucléo-mitochondriales... Et c'est ainsi que nous avons continué à
travailler sur la paramécie, mais aussi sur le Podospora. Grâce à la
paramécie, nous avons continué sur la génétique mitochondriale avec la
démonstration (hérétique!) de l'absence de recombinaison
intermitochondriale. Nous avons pu distinguer la cytogénétique des
mutations qui affectent la morphogénèse cellulaire et la duplication
des corps basaux des mutations qui touchent la biogénèse des
trichocystes.
...donc de revenir aux prions
Plus
récemment, la purification d'un réseau cytosquelettique cortical a
permis d'aborder les mécanismes moléculaires et cellulaires de son
assemblage. Par exemple, l'essor du modèle Paramécie a permis à André
Adoutte de développer la phylogénie moléculaire des ciliés, il a aussi
permis de poursuivre la recherche sur la morphogenèse et sur l'hérédité
de structure. C'est à dire que la possibilité de purifier un réseau
cytosquelettique cortical a donné les conditions d'une étude comparée,
à la fois in vivo et in vitro, de l'assemblage d'une structure
supra-moléculaire très complexe de type prion. Et comme de nouvelles
approches expérimentales sont désormais possibles grâce aux
biotechnologies, nous avons décidé de revenir à cette fameuse énigme de
la biologie que représente la duplication des structures centriolaires
caractéristique de l'hérédité structurale. La possibilité de cloner des
gènes par complémentation permettra peut être de caractériser les gènes
impliqués dans ce processus; une hypothèse, récemment proposée par
Jean-Pierre Mignot, suggère l'existence d'une continuité matricielle
chez la paramécie qui permettrait d'élucider la capacité
d'autoreproduction d'un édifice protéique.