Le Comité national du CNRS


 E
ssor et déclin d'un parlement de la science

Pour citer cet article : http://www.histcnrs.fr/histoire-comite-national.html, J-F Picard


Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a été créé en grande partie à l'initiative d'un 'Conseil supérieur de la recherche scientifique' (CSRS) réuni à l'instigation de Jean Perrin au début des années 1930. Cette assemblée représentative de la communauté scientifique devanu Comité national de la recherche scientifique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a ainsi tenu un rôle central dans le fonctionnement du CNRS, au moins jusqu'à son effacement relatif à la fin du siècle dernier dans les circonstances évoquées ici.


A l'origine, un 'Conseil supérieur de la recherche scientifique'


Au printemps 1930, un groupe de normaliens progressistes dont les convictions se sont affirmées dans leur jeunesse lors de l'affaire Dreyfus, fonde L'Union rationaliste. Cette aassociation d'inspiration franc-maçonne fondée a été créée par les physiciens Paul Langevin et Jean Perrin, le mathématicien Emile Borel et son confrère Jacques Hadamard, le chimiste Georges Urbain, le doyen Paul Apell ou le sociologue Lucien Lévy-Bruhl. Tous partagent la conviction que l'avancement des sciences constitue le principal moteur des progrès de l'humanité. On a vu l'un d'entre eux, le physicien Jean Perrin, appelé à jouer un rôle central dans l'organisation de la recherche publique en France. Le physicien des atomes n'hésite pas à affirmer le caractère messianique de sa démarche : "rapidement, peut être seulement dans quelques décades, si nous consentons au léger sacrifice nécessaire (pour l'organiser), les hommes libérés par la science vivront joyeux et sains, développés jusqu'aux limites de ce que peut donner leur cerveau... ce sera l'Eden. Un Eden qu'il faut situer dans l'avenir au lieu de l'imaginer dans un passé qui fut misérable" [2]. En 1934, fort de l’expérience acquise avec André Mayer à la direction de l'IBPC, Perrin suggère au ministre de l'Education nationale de l'époque (A. de Monzie) de réunir les diverses sources de financement de la recherche publique (Taxe Borel, Office des inventions, Caisses des sciences et des recherches scientifiques) au sein d'une Caisse nationale de la recherche scientifique placée sous les auspices d'un Conseil supérieur de la recherche scientifique (CSRS). Ce Conseil composé d'un tiers de membres nommés par l'Académie des sciences et les sociétés savantes, les deux autres par des élus du monde universitaire dont un tiers représentant les jeunes chercheurs (< 40 ans) a pour missionde répartir les bourses de la Caisse nationale de la recherche scientifique, autrement dit de soutenir l'émergeance de jeunes talents scientifiques.

Pour évoquer cette fonction, il use d'une métaphore agronomique : "tout le problème de l'organisation scientifique consiste à trouver les jeunes esprits qui pourront devenir 'Ampère' ou 'Pasteur'. Le hasard n'y peut suffire et il faut y aider comme un bon jardinier qui sait reconnaître et protéger, dans des champs d'herbes folles, les jeunes plantes qui deviendront des arbres puissants..." et Perrin de citer l'exemple de Michael Faraday, le jeune ouvrier autodidacte qui a découvert les lois de l'électromagnétisme, mais pour ajouter que l'"on  ne saurait admettre que l'activité scientifique dépende de la générosité d'un mécène. Si l'on admet que la recherche est un patrimoine national, la prise en charge des chercheurs constitue une responsabilité de service public". Pour autant, il n'en dresse pas moins un ode à la liberté nécessaire à la recherche fondamentale, car "l'esprit souffle où il veut" .  En 1934 au Ministère de l'Education nationale, ces dispositions sont admises sans réserve par le directeur des enseignements supérieurs, Jacques Cavalier, qui déclare que  : "quel que soit son effort (financier), l'Etat ne croit pas devoir intervenir pour imposer un programme ou des directives précises. L'orientation de la recherche, c'est aux savants qu'il appartient de la faire. Ce principe de liberté (sera) à la base de l'organisation de la recherche scientifique en France" [4].  Ainsi se trouvent posées les règles de fonctionnement du CNRS pour le demi-siècle à venir : priorité à la recherche fondamentale, liberté de manœuvre à la communauté scientifique.


Le CNRS entre recherche fondamentale et applications de la recherche

Mais dans l'immédiat, ces principes se heurtent aux prémisses de la Seconde Guerre mondiale avec la nécessité d'une mobilisation scientifique. En 1936, le ministère de l’Education nationale (MEN) installe le Service central de la recherche et confie au 'CNRSAppliqué' le soin de mobiliser la recherche. Confronté aux "...querelles de savants, si redoutables à arbitrer" que n'a pas manqué de provoquer l'augmentation du budget de la recherche, Jean Zay évoque la nécessité d'une 'politique scientifique', un terme dont on relève l'utilisation pour la première fois dans un discours officiel. Au printemps 1938, en concertation avec Jean Perrin devenu l'éphémère secrétaire d'Etat à la recherche, il préside une réunion extraordinaire du CSRS pour établir une première ébauche du statut de chercheur et décider l’installation des futurs laboratoires propres du CNRS (Observatoire de haute Provence et Institut d'Astrophysique de Paris, Laboratoire de synthèse atomique de Joliot, Trésor de la langue française, etc.). Puis, quelques semaines après le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, dans la plus grande discrétion un décret du 19 octobre 1939 réunit la Caisse nationale de la recherche scientifique, le Service de la recherche du MEN et le CNRSA au sein d'un organisme unique, le Centre national de la recherche scientifique. Le CNRS), épaulé par le Conseil supérieur de la recherche, a pour mission de coordonner l'activité de l'ensemble du dispositif de la recherche publique en France [6]. Au lendemain de la défaite de 1940, malgré des menaces sur cette création du Front populaire, le régime de Vichy confie les destinées de l'organisme au géologue Charles Jacob. Sous l'Occupation, le CNRS a ainsi pu assurer, non sans difficultés (émigration de chercheurs, pénuries de ressources, etc.) son soutien à des recherches appliquées aux difficultés de l'heure, aliments et carburants de substitution, physique médicale, etc. Au mois d’août 1944, dans la capitale à la veille de sa libération, Frédéric Joliot est nommé à la tête de l'organisme. Comme ses prédécesseurs, Longchambon ou Jacob, il est persuadé que l'intrication nécessaire entre la recherche fondamentale et ses applications implique une politique scientifique volontariste. Il confie par exemple au biochimiste Louis Rapkine la mise en place d'un 'groupe de recherches opérationnelles’ inspiré des travaux réalisés chez les Alliés pendant la guerre en matière d'électronique, de fabrication de pénicilline, de plasma sanguin, etc. [7].


L'improbable coordination scientifique

Cependant, ces dispositions destinées à confier la responsabilité de coordonner la recherche fondamentale et ses applications à un organisme unique n'ont pas tardé à rencontrer de sérieuses difficultés. La première tient au souci de la recherche académique de récupérer les prérogatives dévolues à la caisse de la recherche d'avant la guerre, I.e. le soutien à la recherche fondamentale. En 1945, Joliot se heurte à une assemblée d'universitaires réunis au sein d’un Comité directeur,  ébauche du futur Directoire du CNRS, où sont cooptés une dizaine de scientifiques de haute réputation. Parmi eux le biologiste Marcel Prenant, certes étroitement lié comme lui au Parti communiste, se fait l'avocat de la liberté due à la recherche fondamentale dont lui comme ses collègues estiment avoir été spoliés par la mobilisation scientifique. Ainsi, la proposition de nommer Maurice Ponte le patron de l’entreprise CSF, ancêtre de ‘Thalès’, dans ce comité est récusée par le physicien Paul Langevin au prétexte "...qu'il (serait) temps que le CNRS cesse de faire des cadeaux à l'industrie" [8].

Une seconde difficulté non moins cruciale, liée à la précédente, tient au rattachement de l'organisme à l’Education nationale, une disposition qui l'a empêché de jouer le rôle de coordinateur de la recherche publique prévu par le décret de 1939. Sous l'occupation, de nouveaux organismes, concurrents du CNRS, sont apparus à l'instigation d'administrations techniques soucieuses de développer leur activité de recherche-développement,  l''Institut national d'hygiène', l'ancêtre de l'Insermà la Santé, l’ORSTOM (devenu aujourd'hui IRD) par le ministère des Colonies, le Centre national d'étude des télécoms (CNET). D'autres suivent à la Libération parmi lesquels l''Institut national de recherche agronomique' (INRA), l’'Institut national d’études démographiques' (INED) successeur de la 'Fondation Carrel pour l'étude des problèmes humains' ou le 'Commissariat à l’énergie atomique' (CEA), un organisme interministériel dont Joliot prend la direction fin 1945 à la demande du général De Gaulle.


Le Comité national de la recherche scientifique


Au moment où il s'aprête à quitter le CNRS, Joliot officialise la transformation du CSRS qui a survécu de manière informelle à la Libération en Comité national de la recherche scientifique (Ordonnance du 2 novembre 1945). Son successeur à la tête du CNRS, le généticien Georges Teissier, entend s'appuyer sur cette instance pour solder l'échec de la coordination scientifique et réactiver les priorités dues à la recherche fondamentale. "Un reproche souvent fait aux scientifiques français est d'avoir résolument ignoré la science appliquée dit Teissier. Mais il ne faudrait pas que, tombant d'un excès dans l'autre, on sacrifie au bénéfice de la recherche technique, la recherche pure qui, seule, prépare l'avenir.../ Il faut sans aucun doute développer la recherche technique redoutablement déficiente chez nous, mais il ne faut pas que son développement ait priorité sur celui de la recherche scientifique. Il ne faut  pas qu'une politique stupidement utilitaire prétende discriminer parmi les disciplines scientifiques, celles qui sont rentables et celles qui ne le sont pas. Il ne faut pas, enfin, que le contrôle nécessaire de ces activités de recherche soit abandonné aux financiers ou aux économistes" [9]. Exit la fonction de coordinateur de la recherche publique, le CNRS renoue avec sa vocation initiale de soutien à la recherche fondamentale. Réuni pour la première fois en séance plénière à la Sorbonne au printemps 1948 , le Comité national élu est divisé en trente sections (ou commissions) représentant la communauté scientifique au sein d'un parlement de la science découpé en fonction des chaires universitaires [10].


Tableau I : Des commissions du Conseil supérieur de la recherche scientifique aux sections du Comité national

Ainsi, le rôle majeur du Comité national a concerné la professionnalisation de la recherche, autrement dit le recrutement puis la gestion d'un corps de chercheurs attachés au CNRS tel que cela avait été envisagé par Jean Perrin. En 1945, la refonte de l'organisme opérée par Joliot coïncidait avec la disparition des boursiers de la Caisse nationale d'avant-guerre : "le nom de boursier ne nous plaît pas disait-il, (ils) deviendront des 'attachés'. Les candidats chercheurs ne doivent pas avoir l'impression qu'ils sollicitent une faveur, mais que leur rémunération est la contrepartie d'une activité primordiale au point de vue national" [11]. Une nomenclature directement calquée sur celle de la hiérarchie universitaire est donc créée : 'attaché et chargé de recherche' (AR, CR), 'maître' (MR) et 'directeur de recherche' (DR) pour chargé de cours, maître de conférence et professeur de l'enseignement supérieur. Le Comité national se voit ainsi chargé de recruter et d'apporter aux chercheurs des dispositions qui les déchargent de toute activité autre que celle de laboratoire. A partir des années 1950, ses sections renouvelées tous les quatre ans, se réunissent deux fois par an en session de printemps afin d'examiner les candidatures au recrutement et d'évaluer l'activité des chercheurs, celle d'automne étant consacrée aux moyens des laboratoires du CNRS et à l'affectation de leur personnel d'ingénieurs, techniciens et administratif (ITA). C'est ainsi rappelle le sociologue Jean-Christophe Bourquin qu'au sein du CNRS de l'après-guerre, les 'attachés de recherche' (AR), c'est-à-dire les jeunes embauchés à titre temporaire, sont le plus souvent les thésards d'un mandarin universitaire, le patron du laboratoire auquel ils sont rattachés et souvent un membre du Comité national [12].

Au cours des années 1950, la professionnalisation de la recherche prend toute son ampleur avec l’apparition d’un syndicalisme spécifique. Celui-ci résulte d'un clivage opéré entre les chercheurs du CNRS et leurs collègues universitaires. A l'issue du colloque de Caen (1956) où sont envisagés les moyens de moderniser l'enseignement supérieur français, les chercheurs imaginent les dispositions aptes à les décharger de toutes fonctions pédagogiques. Une scission s’opère au sein du Syndicat national de l'Enseignement supérieur (SNE-Sup) pour aboutir à la création du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS). En 1959 pour satisfaire à se première revendication, le SNCS obtient un statut de la fonction publique pour les maitres et les directeurs de recherche (M.R. et D.R.). Puis progressivement sous la pression des élus du Comité national, la promotion des attachés (A.R.) dans le corps des chargés (C.R.) devient quasi automatique. Lors des débats en commission, il s'agira par exemple de "...donner la priorité au personnel en n'émettant aucun vote qui puisse aller dans le sens d'un licenciement" [13]. En conséquence, les départs d’A.R. en fin de thèse qui représentaient un flux de 10% dans les années 1950, décroissent pour se stabiliser aux environs de 2% au cours des années 1970. Outre la césure confirmée entre le corps des chercheurs et celui des enseignants, cette évolution justifie l'étendue des pouvoirs du Comité national qui a la main sur une masse salariale qui ne descendra jamais au-dessous des 2/3 du budget de fonctionnement du CNRS, pour atteindre les 9/10ème au début des années 1980. En y assurant l'essentiel de la représentation des chercheurs, le SNCS y joue un rôle crucial en face de patrons universitaires, au moins jusqu'au tournant des années 1980 lorsqu'apparait à ses côtés un syndicalisme d'inspiration autogestionnaire, le SGEN-CFDT.


Un œcuménisme scientifique assumé

De trente sections à ses débuts, le Comité national en compte quarante cinq une trentaine d'années plus tard. Cette augmentation illustre  le souci de chaque discipline d'assurer sa représentation au sein de l'organisme. Mais pour les instances dirigentes du CNRS ce découpage est destiné à répondre aux mutations opérées dans le champ des connaissances, au développement des moyens nécessaires à certaines disciplines, enfin à l'évolution des chaires universitaires notamment dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS). Trois cas permettent de cerner cette évolution et leurs différences : la physique, les sciences de la vie et les sciences sociales.

Dans une large mesure le CNRS des débuts fut une affaire de physiciens. Pourtant, à l'inverse de leurs collègues mathématiciens, ceux-ci n'ont pas tardé à s'affranchir largement des compétences du Comité national [14]. L'astrophysique avait trouvé sa place au CNRS dès l’avant-guerre avec l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP) ou l'Observatoire de haute Provence (OHP), tandis que les années 1950 ont vu le développement de la radio-astronomie (Centre de Nancay). Simultanément, la physique du solide a suscité très tôt des coopérations inter-organismes et internationales avec par exemple l'installation d'un organisme très autonome, le Centre d'études nucléaires de Grenoble (CEN-G) de Louis Néel (Nobel de physique 1970) [15]. Le CNRS a donc accompagné le développement de certaines disciplines très gourmandes en moyens lourds, ce qui l'a conduit à ouvrir des instituts censées les affranchir des contraintes du Comité national en matière de gestion budgétaire, comme de statut du personnel. Dans les années 1960, à l'instigation de Jean-François Denisse, les astrophysiciens et les géophysiciens se sont réunis au sein d'un 'Institut national d'astrophysique et de géophysique' (INAG). Néanmoins, pour répondre aux craintes du Comité national de se trouver dépossédé de ses prérogatives, Denisse propose que les sections concernées (sect. 7, 14, 15 et 16) forment le conseil scientifique de l'INAG [16]. Devenu ultérieurement des sciences de l'univers (INSU), l'une des réalisations internationales de l'INSU concerne la construction du télescope franco-canadien de Hawaii (1974) et plus tard la participation à celui de La Silla au Chilie (ESO). De même, la nécessité d'équipements lourds comme les accélérateurs de particules a contribué à l'installation d'un Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) destiné à regrouper des équipes du CNRS, du CEA et de la faculté des sciences d'Orsay en les plaçant en dehors des compétences du Comité national [17]. En revanche en 1976, le souci de rapprocher les sciences physiques des activités de recherche-développement a suscité l'ouverture par le physicien Jean Lagasse d'un département des Sciences pour l'ingénieur (SPI) avec le regroupement de quatre sections du Comité national (sect. 8 à 11) dont l'une consacrée à l'informatique et aux automatismes a réussi le rapprochement fécond de la recherche de pointe et des applications industrielles [18].

Dans les sciences de la vie (SDV), le brassage entre différentes disciplines que facilite le Comité national s'est révélé positif. Cependant, il a fallu l'influence des chercheurs de l''Institut de biologie physico-chimique' (IBPC) comme le généticien Boris Ephrussi ou du pasteurien André Lwoff pour obtenir l'ouverture d'une section de 'biologie cellulaire', initialement refusée par les naturalistes du Museum qui redoutaient la baisse des moyens dédiés à la botanique [19]. Malgré tout, l'interdisciplinarité du Comité national a permis aux SDV de bénéficier des approches théoriques et des techniques développées par les physiciens (imagerie, informatique) ou par les chimistes (ultracentrifugation, chromatographie, etc.) au profit d la biologie moléculaire avec l'intégration des laboratoires de l'IBPC. Néanmoins, au début des années 1960 l'historien Xavier Polanco observe qu'une Recherche coopérative sur programme (RCP) consacrée à la nouvelle discipline s'est heurtée aux réticences des sections du Comité national 'Chimie biologique' et 'Biologie cellulaire' et qu'elle ne sera accueillie un peu plus tard sous l'intulé de 'Biologie des interactions cellulaires'. Inspirés par le modèle de l'IBPC, le tournant des années 1970 voit ainsi l'installation de nouveaux ensembles dédiés à ce nouveau domaine de la recherche, tel le 'Centre de génétique moléculaire' (CGM) de Piotr Slonimski à Gif s/Yvette ou 'L'Institut de génétique et de biologie moléculaire' (IGBMC) de Pierre Chambon à Strasbourg. L'évolution des sciences de la vie au cours de ces décennies est d'ailleurs illustrée par le basculement au Comité national de la proportion de chercheurs entre les les SDV et la Chimie (cf. tableau ci-dessous). Dans les années 1980, les quatre sections de biologie de 1945 sont devenues une dizaine dont celles de 'biologie structurale', de 'génétique' et de 'neurosciences' et confirment la place désormais acquise par le CNRS dans ce domaine. La croissance des effectifs dans ce secteur confirme son expansion, de 18 % des effectifs en 1950 à plus 30% trente ans plus tard, soit près du tiers de l'ensemble du personnel CNRS (chercheurs et ITA). Il s'agit souvent de chercheuses puisque les SDV représentent le secteur le plus féminisé de l'organisme avec 50% de femmes à la fin des 1970, contre une moyenne de 20 % dans les autres [20]. Reste que dans les deux dernières décennies du vingtième siècle, la mutation des sciences de la vie vers les applications, biotechnologies, génomique, etc., n'a pas gommé certaines aspérités entre disciplines réductionnistes (génétique moléculaire, biologie de synthèse) et d'autres plus généraliste (biodiversité, écologie) avec certaines conséquences qui seront évoquées plus loin.


Tableau III : effectifs du CNRS et répartition par départements scientifiques

Le cas de la recherche médicale illustre la molécularisation des sciences du vivant. En 1938, une section de Médecine expérimentale est introduite au CSRS à l'initiative du doyen de la faculté de médecine, Gustave Roussy. 25 ans plus tard, le développement de la recherche médicale conduit le cancérologue Georges Mathé, un pionnier de la médecine moléculaire qui a participé à l'installation de l'Inserm en 1964, à demander le dédoublement de cette section du Comité national qui compte alors le nombre respectable de 300 médecins-chercheurs. Dans les années 1970, la recherche médicale se scinde alors entre 'Pathologie' (sect. 23) et 'Thérapeutique' (sect. 24). Malgré les réticences de certains scientifiques tel Pierre Chambon qui estimait que "la biologie a plus fait pour la médecine que la médecine elle-même" [21], en concertation avec l'Inserm et l'Institut Pasteur, le CNRS a largement participé aux avancées de la recherche médicale, inscrivant par exemple dans une ambitieuse politique de décentralisation menée avec l'Inserm la construction du Centre d'immunologie de Marseille Luminy de François Kourilsky ou en revandiquant avec Pasteur des succès dans la lutte contre le sida (Nobel Montagnier en 2008).

Les sciences humaines et sociales (SHS) ont elles-aussi profité de l'œcuménisme scientifique du Comité national, mais avec des résultats plus mitigés. En fait, les humanités ont été introduites au CNRS dès l'origine, non sans susciter les sarcasmes des sciences expérimentales, par exemple lorsque Joliot devenu directeur s'interroge en 1944, "le CNRS en viendra t-il à subventionner des romans?" [22]. Pourtant le CSRS puis le Comité national ont permis l'institutionnalisation d'un certain nombre de disciplines non présentes à l'université, telle l'archéologie avec deux sections créées par le ministre Jérôme Carcopino, tandis que la section 'philosophie-sociologie-démographie' inaugurait un nouveau champ de recherche au lendemain de la guerre avec le Centre d'études sociologiques (CES) avant qu'il n'émigre vers l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Dans les années 1970, suite au rapprochement entre les humanités et les sciences sociales, le département SHS a su profiter de sa proximité avec les laboratoires d'informatique, notamment en matière de documentation [23]. De même il a pu lancer des programmes interdisciplinaire, des actions thématiques programmées (ATP), destinés à  investiguer de nouveaux domaines de la recherche en sociologie urbaine ou en économie de la santé. Cependant, la place des SHS au CNRS n'a cessé d'osciller entre une présence justifiée par sa vocation pluridisciplinaire et leur insertion dans l'Enseignement supérieur qu'explique leur poids au sein de l'Alma mater, comme l'importance des pratiques de recherche individuelle spécifiques à ce domaine. En 1974, lors d'une enquête menée par l'Organisation de coopération et de développement européen (OCDE) sur l'organisation de la recherche, le sociologue Stanley Hoffmann et l'économiste Wassily Léontieff préconisent leur suppression au CNRS et la réaffectation de leurs budgets à l'Enseignement supérieur. De fait, la multiplication des sections relevant des SHS au Comité national peut s'expliquer par des rivalités entre titulaires de chaires, comme cela semble avoir été le cas de la 'Philologie - linguistique' représentées par une unique section en 1945 et par quatre dix ans plus tard (sect. 22 à 25). De même, la sociologie dont on constate l'essemage au fil des ans dans plusieurs sections du Comité national (sect. 34, 35, 37, 38 et 45), s'est moin dilatée en fonction de critères scientifiques solidement établis que de l'habitus d’une communauté savante caractérisée par son imprégnation idéologique.


Tableau II : Le Comité national de 1950 à 1982


CCRST - DGRST, une nouvelle donne dans l'organisation de la recherche

En 1959, le Général de Gaulle soucieux de préserver l'indépendance du pays dans les domaines stratégiques demande à son premier gouvernement de réorganiser la recherche scientifique. La Vème République récemment instaurée se dote donc des moyens budgétaires nécessaires à une politique scientifique de grande ampleur et la confie à une nouvelle administration de la recherche. Un Comité des Sages bientot qualifié de Comité consultatif de la recherche scientifique et technique (CCRST, 1959) s'appuie sur un exécutif, la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST, 1961). Le budget civil de la recherche et du développement (BCRD) en forte hausse est censé couvrir l'ensemble des besoins de la recherche publique. Clairement, il s'agit de pallier les insuffisances du CNRS en matière d'organisation scientifique et une 'enveloppe recherche' permet au  CCRST - DGRST de lancer des 'actions concertées' destinées à irriguer certains domaines jugés insuffisamment développés. Sur les douze premières actions concertées, cinq concernent des secteurs relèvant de la médecine et de la biologie : 'neurophysiologie et psycho-pharmacodynamie', 'nutrition', 'applications de la génétique', 'cancers et leucémies' confiée au pr. Jean Bernard, enfin et surtout l'action 'bologie moléculaire' dont les destinées sont confiéer au pasteurien Jacques Monod lauréat du prix Nobel de médecine avec André Lwoff et François Jacob (1965).

En se penchant sur le fonctionnement des organismes historiques, l'administration a constaté la nécessité d'importantes refontes, voire la création de nouveaux instituts. En ce qui concerne le CNRS, au printemps 1959, le Comité des Sages suggère la réalisation d'un office des instituts nationaux de recherche (OINR), directement rattaché au Premier ministre dont la fonction serait gérer les laboratoires propres du Centre et certains centres de recherche des ministères techniques, la recherche universitaire se voyant dotée d'un Office universitaire de recherche scientifique (OURS) censé se substituer au CNRS. Le démembrement de l’Institut national d'hygiène qui n'a pas répondu aux attentes de la recherche médicale est un temps envisagé entre le CNRS qui récupérerait ses activités de laboratoire et le ministère de la Santé ses fonctions de santé publique.  En fait, la DGRST suscite la transformation de l'INH en un 'Institut national de la santé et de la recherche médicale' (Inserm 1964). L'océanographie qui ne semble pas avoir reçus du CNRS les développements souhaités bénéficie de l'installation d'un Centre national pour l'exploitation des océans, le CNEXO devenu 'Ifremer' en 1984, censé coordonner les recherches menées dans les laboratoires océanographiques avec les autres activités halieutiques (pêche, exploitation de gisements sous-marins,...). Le Centre national d'études spatiales a été le premier organisme créé par la DGRST en vue de réaliser un lanceur extra-atmosphérique. Le lancement réussi de la fusée Diamant et du satellite Asterix par le CNET en 1965 assurent les prémisses de l'Agence spatiale européenne (ESA) et les succès de la fusée Ariane. Quant à l'informatique, après l'installation quelque peu laborieuse d'un 'Plan calcul' (1964), elle bénéficiera, à terme, de l'ouverture de l''Institut de recherche en informatique et automatique' (INRIA).


Comment le CNRS s'est-il adapté à cette situation?

Le directeur du CNRS, le géophysicien Jean Coulomb, évoque une passe difficile pour l'organisme : «Indiscutablement, les créations du CCRST et de la DGRST représentaient un tournant dans l'idée qu'on pouvait se faire du rôle du Centre. lI est clair que selon la mission qui lui avait été confiée en 1939, l'organisme faisait désormais double emploi avec la Délégation.... / A leurs débuts, la DGRST et le Comité des Sages ont suscité une enquête de l'inspection des Finances sur le CNRS dont est issu un rapport (Chalendar) qui ne nous était pas favorable. Simultanément, l'idée du président du comité des sages, Maurice Letort, l'ancien patron des Charbonnages de France, était de créer un office des instituts nationaux, c'est à dire rassembler toutes les recherches au sein d'un organisme unique comme on l'avait fait pour la physique nucléaire avec le CEA. Ce projet faisait peser des graves menaces sur le CNRS et je m'y suis opposé. Or, il y avait une grosse bagarre entre le président des Sages et le Délégué à la recherche (DGRST), Pierre Piganiol. Qui allait diriger toute l'affaire? Finalement ce fut le délégué car, comme toujours, les permanents l'emportent ceux qui président des réunions. En définitive, la Délégation a été favorable au CNRS et nous a permis d'obtenir le soutien des pouvoirs publics". En définitive, le ministre de l'Education nationale, le socialiste André Boulloche, repousse la séparation de la recherche d'avec l'Enseignement supérieur dont le directeur, Louis Capdecomme, refuse même de discuter de ses projets d'équipement avec le CCRST. Le Premier ministre ayant finalemant tranché en sa faveur,  l'Education nationale vient de sauver le CNRS écrit l'historien Antoine Prost et le CNRS est maintenu sous la tutelle de l'Enseignement supérieur, quitte à ce qu'il participe à l'effort de modernisation de la recherche publique. Comme des réformes s'imposent néanmoins, Jean Coulomb profite des circonstances pour pousser en avant le statut des chercheurs, une revendication inscrite au programme syndical et débattue à Caen, tandis que le Comité national est  convié à réorganiser ses fonctions dans un esprit de programmation scientifique. Ainsi, il se voit prié d'établir un 'rapport de conjoncture' susceptible d'éclairer de nouvelles voies de recherche. Mais comme il est chargé par ailleurs de répartir les moyens budgétaires mis à sa disposition entre sa quarantaine de sections, il lui est difficile d'arbitrer entre les diverses disciplines, par exemple entre les demandes des physiciens et celles des biologistes. Moyennant quoi, le saupoudrage des crédits auquel il s'astreint ne tarde pas à réduire le rapport de conjoncture à la nomenclature des besoins des différentes sections. La direction du Centre propose alors au Comité national d'opérer un classement en en fonction des priorités à accorder à certains secteurs de la recherche (A, B et C). Or, Louis Néel se demande si en guise d'orientation scientifique "il ne suffirait pas, simplement, de donner la priorité aux sections où il y a déjà les hommes", tandis que le mathématicien André  Lichnérowicz et le physicien Alfred Kastler (Nobel 1966) contestent le classement de la section théories physiques en 'C', la dernière, contraignant la direction à abandonner ce projet de classement devant "...la nécessité de faire avancer simultanément tous les fronts de la science" [26].

Néanmoins, en 1966 le physicien Pierre Jacquinot lance une série réformes dont l'objet est de rééquilibrer les responsabilités entre la direction du CNRS et le Comité national. Six départements, ou directions scientifiques, sont introduits au sein de l'organisme (Physique, Chimie, Terre-océan-espace, Sciences de la Vie,  Sciences humaines et Sciences sociales), ultérieurement complétés par la division de la physique en trois départements, (Physique nucléaire, Maths physique de base et Sciences pour l'ingénieur) et par la fusion des humanités et des sciences sociales en un département unique (SHS).  En outre, le CNRS instaure un dispositif d'association des laboratoires universitaires et des équipes de recherche extérieurs au CNRS (universités, Institut Pasteur, Inserm, INRA,...) en vue de les soumettre aux procédures d'évaluation du Comité national. Ces dispositions appelées à se généraliser pour donner les 'unités mixtes' (UM) que l'on connait aujourd'hui. Reste que ce renforcement du pouvoir exécutif au CNRS ne manque pas de provoquer des tensions avec le Comité national. Au cours des années 1970, les relations se durcissent entre des départements scientifiques soucieux de piloter la recherche et le Comité national intransigeant défenseur de la liberté des chercheurs. Afin d'orienter l'activité des laboratoires, le CNRS lance des Programmes de recherche inter-disciplinaires (PIR) et les Actions thématiques programmées (ATP) dont il a été question plus haut. En réalité, ces ATP n'ont pas tardé à être phagocytées par un Comité national hostile à toute vélléité de programmation scientifique. En 1976, la section de biologie cellulaire évoque le risque que "...toute forme de programmation n'aboutisse à la médiocratisation (sic) de la recherche" [27], pendant que le pasteurien François Gros dénonce à leur propos un système de recrutement qui "stérilise l'humus (re sic) indispensable à la recherche fondamentale" [28]. La section 31, sociologie, qui a introduit ses représentants dans les comités d'appels d'offres d'ATP oriente les crédits destinés aux laboratoires vers leur budget de fonctionnement, évidemment au détriment de la réorientation de leur activité. En définitive, "les ATP n’ont jamais vraiment fait souche regrette le directeur du CNRS, le physicien Robert Chabbal, alors que l'ambition initiale était de leur confier la moitié du budget d'équipement du CNRS, elles n'en ont au mieux mobilisé que le dixième".

D'autres dysfonctionnements concernent la gestion des ressources humaines. Les départements scientifiques instaurent un fléchage des postes ouverts au recrutement afin de couper court aux dissensions en commissions sur le classement des candidats.  Moyennant quoi en 1976, la section 22, biologie des interactions cellulaires,  dénonce un "viol de ses prérogatives" lors du recrutement sur poste fléché d'un chercheur classé treizième alors qu'il ne lui en avait attribué que sept [29]. En fait, l'instauration d'un statut des chercheurs, progressivement étendu à la fonctionnarisation, a handicapé le rôle évaluateur du Comité national. L'instance est coincée entre le suivi de carrières dans la fonction publique, l'avancement à l'ancienneté, et les rigueurs de l'évaluation scientifique indispensable au tonus de la recherche. Les archives du Comité national révèlent la des débats entre des élus syndicaux qui défendant leurs mandants, "des chercheurs qui n'ont pas démérité", face à des responsables d'unités qui déplorent de passer plus de temps "à résoudre le cas de chercheurs à problèmes" qu'à évaluer la performance des plus inventifs [30]. En conséquence, une fois révolue la vague d'expansion des années 1960 qui a vu les effectifs quadrupler en dix ans, dans la décennie suivante les capacités de recrutement du CNRS pâtissent de l'indisponibilité de postes budgétaires ouverts aux entrants. La moyenne d'âge qui y voisinait la trentaine en 1962, dépasse la cinquantaine vingt ans plus tard. Désormais, le rajeunissement des équipes se trouve soumis aux coups d'accordéon d'aléas politico-budgétaires éloignés de préoccupations proprement scientifiques.


Le chant du cygne du Comité national

En 1981 les élections présidentielles avec le retour de la gauche au pouvoir et les réminiscences d'un Front populaire qui avait vu la naissance du CNRS, offrent aux syndicats l'opportunité de reprendre le contrôle de la situation. Le principal syndicat de chercheurs, le SNCS, réclame et obtient la tête des directeurs du CNRS et de l'Inserm, responsables dit-il d'avoir soumis les organismes qu'ils dirigent à un pilotage par l'aval, c'est-à-dire de les avoir pliés au cours de la décennie précédente "...aux objectifs du gouvernement Giscard-Barre, c'est-à-dire aux intérêts des grands trusts privés et aux impératifs idéologiques du conservatisme". Aux quatre Nobel (F. Jacob, A. Lwoff, A. Kastler, L. Néel) qui expriment dans Le Monde (25 juil. 1981) leur indignation de ces positions partisanes, les élus syndicaux du Comité national rétorquent que "...les membres du SNCS sont tous des scientifiques qui luttent pour la recherche, parce que précisément l'excellence ne peut en être assurée que dans le respect de ceux qui la font, des lois propres au développement scientifique et des besoins de la nation entière" [31].

Cependant, à l'imitation du ministère japonais de l'économie (MITI), le CNRS est détaché de la tutelle de l'Education nationale pour se lier au ministère de la recherche et de la technologie (MRT) dont le porte-feuille est confié à Jean-Pierre Chevènement. Simultanément, François Gros et Philippe Lazar organisent des 'assises de la recherche' pour répondre aux revendication syndicales. A leur issue, une loi d'orientation donne au CNRS et à l'Inserm le statut d’’Établissements publics scientifiques et techniques' (EPST), parachève la fonctionnarisation de leur personnel (15 juillet 1982), tandis qu'un décret d'application instaure le statut d'enseignant-chercheur pour rapprocher les deux corps professionnels (6 juin 1984). Néanmoins, la contradiction inhérente au souhait ministériel de rapprocher le CNRS de l'Industrie et à la fonctionnarisation des chercheurs provoque l'étonnement de Maurice Avonny, le chroniqueur scientifique du journal Le Monde qui évoque : "la priorité donnée à la question des besoins des chercheurs (plutôt que) de ceux auxquels ils doivent répondre, davantage de leurs droits que de leurs devoirs et surtout de l'accent mis sur la recherche fondamentale, (qui) ni en volume, ni en nombre d'hommes, ni en utilité pratique, ni peut-être en valeur culturelle, n'est supérieure aux autres.../ (Mais qui) reste la référence par rapport à laquelle 'on' raisonne (et qui) est un peu trop l'arbre qui cache la forêt, (tant) le mythe du chercheur, individualiste, spécialisé dans un étroit domaine où il est candidat au prix Nobel reste enfoui dans bien des subconscients" [32].

En réaction, un changement de majorité ramène la droite au pouvoir en 1986. Au cabinet du Premier ministre (Jacques Chirac), le juriste Yves Durant se révèle le principal représentant des syndicats autonomes qui dénoncent "l'impérialisme du CNRS vis-à-vis de la recherche universitaire" et l'emprise des syndicats de Gauche sur le Comité national. A la suite de sa saisine, le Conseil d'Etat annule des élections où les deux tiers de ses membres avaient été élus au scrutin de liste. Une fois de plus le CNRS se trouve contesté dans son mode de fonctionnement. L’Union nationale interuniversitaire' (UNI) préconise la suppression de l'organisme et le versement des moyens au profit de l'Enseignement supérieur. Cependant, défendu par le ministre chargé de la recherche (A. Devaquet), la direction du CNRS est renforcée avec la mise en place d'un Comité exécutif, tandis que le Comité national dont le nombre de sections est réduit de 25 à 22 voit les représentants des organisations syndicales exclus des instances chargées d'en organiser les élections [33]. A la manœuvre jusque-là, le SNCS le cède désormais à un mouvement moins structuré de jeunes chercheurs, 'Sauvons la recherche' (SLR), lequel malgré un important remue-ménage médiatique n'aura jamais la même influence organisationnelle que le syndicat historique. En 2004, à l'heure d'engager de nouvelles réformes, l'Académie des sciences dresse un bilan critique des difficultés rencontrées pour rapprocher la recherche du milieu universitaire en évoquant "...des enseignants-chercheurs absorbés dans la massification de l'enseignement supérieur, comme la caducité des dispositions d'un emploi fonctionnarisé dans les établissements publics, caractérisés par trop de promotions à l'ancienneté et pas assez de promotions au mérite, d'où une reconnaissance beaucoup trop tardive des jeunes talents qui asphyxie l'ensemble du  système.../ Trop de mécanismes électifs qui, dans l'évaluation par les pairs, n'offrent pas de garantie d'optimisation des compétences et introduisent à l'inverse une certaine forme de consanguinité au détriment d'une évaluation internationale.../ Tout en donnant un poids aux syndicats dont certains sont devenus trop corporatistes" [34] Bref, la nécessité de nouvelles réformes s'impose au CNRS.


Externalisation


Dans la première décennie du XXI° siècle, un nouveau train de réformes destiné à réorganiser le CNRS ampute le Comité national de ses fonctions en matière de pilotage et d'évaluation de la recherche. Inspiré par les modes de fonctionnement du CEA habitué de longue date à gérer de la 'Recherche - Développement' [35], le ministère de tutelle installe une Agence Nationale de la Recherche (ANR) avec l’objectif de contractualiser l'activité des établissements publics scientifiques et techniques (EPST). L'ANR est chargée des crédits affectés aux EPST en fonction de labels de qualité qu'elle décerne à leurs unités de recherche (LaBex). L'autre changement concerne l'évaluation scientifique dont les modalités ont profondément évolué, passant du niveau individuel des chercheurs comme la pratiquait le Comité national, à l'évaluation d'entités collectives, laboratoires, voire instituts ou centres de recherche où il avait montré ses limites. Les pratiques de publications s'orientent vers un anonymat lié à la multiplication des participants à des programmes scientifiques interdisciplinaires et internationaux. Par exemple, la publication de la carte du génome humain à la source des plus récentes avancées en biomédecine ne comporte pas moins d'une centaine de signatures dont celle de Jean Weissenbach l'un de ses principaux acteurs [36]. Désormais, qu'elle soit menée dans les EPST ou à l'université, l'évaluation de la recherche est confiée à un Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) et s'inscrit dans des critères de comparaisons internationales (Thomson Reuters, ARWU Shanghaï,...). Le recours aux publications sur lesquelles elle repose implique la généralisation de l'anglais scientifique dont l'usage s'est d'ailleurs plus facilement imposé aux sciences naturelles que dans les sciences humaines et sociales évidemment plus à l’aise pour s’exprimer dans leur culture d’origine. Désormais, le CNRS inséré dans le cadre d’une politique scientifique fixée en dehors de ses murs voit le recrutement de ses chercheurs soumis aux impératifs économico-politiques d’une loi de finances. Seule, l'évaluation de son personnel statutaire reste l'apanage de son Comité national, dans un contexte qui a d’ailleurs vu des post'docs formés aux travaux de laboratoire se substituer aux doctorants-boursiers de ses débuts, «...ces cerveaux si fâcheusement pourvus d'estomacs » disait Jean Perrin devant le Conseil supérieur de la recherche au siècle précédent [37].
 

NOTES

[1] Bourquin J-C, Bungener M, Picard J-F, 'Soixante ans d'évaluation de la recherche française, le Comité national du CNRS', CNRS délégation à l'audit, 3-1994. Ce rapport a bénéficié du dépouillement des archives du Comité national dont sont issues les notes prises par A-L et R. Benilan. Il est aussi nourri d'une série de témoignages qui évoquent sur ce site le fonctionnement de cette institution (A. Berkaloff, P. Creyssel, R. Chabbal, J. Coulomb, H. Curien, P. Jacquinot, M. Ferrand, C. Gabriel, J. Lautman, M. Lejeune, A. Lichnérowicz, P. Monbeig, G. Niéva, P. Papon, L. Plin, J-M. Schwartz)
[2] Perrin J., 'Proposition de loi pour la création d'un service national de la recherche', 1930 (Arch. CNRS, AN 80-284, liasse 1)
[3] Perrin J., 'La recherche scientifique', Paris, Hermann, 1933
[4] Note du directeur de l'Enseignement supérieur au ministre de l'Education nationale, janv. 1935 (Arch. CNRS, AN 80-284, 1)
[5] Zay J. , 'Souvenirs et solitude', Paris, Le Talus d'approche, 1987
[6] Picard J-F, Pradoura E., 'La longue marche vers le CNRS (1901-1945)', Cahiers pour l'histoire du CNRS, 1988-1
[7] Picard J-F, 'La République des Savants, la recherche française et le CNRS', Flammarion, 1984
[8] Joliot F., Comité de direction du CNRS, 18 sept. 1944 (AN 80-284, 205)
[9] Teissier G., 'Une politique française de la science', Union française universitaire, 21 juin 1946 (Ibid.).
[10] Sur le fonctionnement du CNRS à la Libération, voir D. Guthleben, 'Histoire du CNRS de 1939 à nos jours', Armand Colin, 2013 ainsi que M. Pinault, 'Frédéric Joliot-Curie', Paris, O. Jacob, 2000
[11] Joliot F., conférence donnée au CNRS le 7 juin 1945 (AN 80284, 55)
[12] Bourquin, J.C., 'Le Comité national de la recherche scientifique, sociologie et histoire, 1950-1967', Cahiers pour l'histoire du CNRS, 3-1989
[13] Sect. 5, 'thermodynamique et cinétique', printemps 1971 (archives du Comité national, AN 83-008)
[14] Voir Guthleben D., Op. cit. p. 176 et sq. A l'inverse on, relève que les mathématiques où la recherche requiert peu de moyens matériels et dont la pratique est essentiellement individuelle se sont bien accomodés des modes de fonctionnement du Comité national (G. Kropfinger, Les mathématiques au CNRS dans les années 1970, pap. de recherche, 1998)
[15] Pestre D., 'Louis Néel, le magnétisme et Grenoble', Cahiers pour l'histoire du CNRS, 1990 - 8
[16] Darmon G., 'La mise en place d'un institut national au sein du CNRS, l'INAG', Ibid., 1988. 1
[17] Darmon G.,'La mise en place des instituts nationaux, la difficile naissance de l'IN2P3', Ibid., 1990-10
[18] Barrier J., 'Aux frontières de l'industrie. Travail de démarcation et émergence d'un champ de recherche universitaire sur la microélectronique en France (1978 - 1986)' in Le gouvernement des disciplines acédémiques (J. P. Leresche dir.), Paris, E.A.C. 2017. Voir aussi Ramunni G., Les sciences pour l'ingénieur. Histoire du rendez-vous des sciences et de la société, Numilog.com, 1996
[19] Intervention de Roger Heim, directeur du Museum, au Conseil d'administration du CNRS, 9 mars 1945 (AN 80-0284, 55)
[20] Picard J-F., 'Les femmes dans les laboratoires de biologie', in Les Femmes dans l'histoire du CNRS, G. Hatet-Najar ed., Paris, CNRS, 2004.
[21]  Intervention de Pierre Chambon à la session d'automne 1977 de la sect. 22 (AN 83-008)
[22] Joliot, F., conférence donnée au CNRS, 7 juin 1945 (AN 80-0284)
[23] Astruc J., Le Maguer J., Picard J-F, Le CNRS et l'information scientifique et technique en France, Solaris, janv. 1997
[24] Par exemple dans les années 1970 en sociologie, les premières études féministes menées au CNRS revendiquent ouvertement leur inspiration marxiste (entretien avec M. Ferrand, juin 2019)
[25] Prost A, 'Les origines de la politique de la recherche en France, 1939 - 1958', Cahiers pour l'histoire du CNRS, 1-1988 et  'Les réformes du CNRS 1959 1966',  (Ibid.), 10-1990
[26]  Interventions de L. Néel, A. Lichnérowicz et A. Kastler au directoire du CNRS, juin 1965 (AN  94-0035)
[27]  Sect. 21 Biologie cell., session d'automne 1978 (Ibid.)
[28] Gros F., intervention au directoire du 5-6 juillet 1977 (Ibid.)
[29] Sect. 22, Biologie des interactions cellulaires, session de printemps 1976 (Ibid.)
[30] Voir, entre autres, la sect. 23, Thérapeutique expérimentale, session de printemps 1976 (Ibid.)
[31] Le syndicat obtient le démission du directeur du CNRS, Jacques Ducuing,  Le Monde, 9 juillet et 3 aout 1981. A la direction de l'Inserm Philippe Laudat est remplacé  par Philippe Lazar en janvier 1982
[32] Avonny M., 'Questions', Le Monde, 13 janv. 1982
[33] La crise du CNRS en 1986 à travers les archives du journal Le Monde
[34] 'La contribution de Nobel français au débat sur la recherche. La crise de la recherche académique, une opportunité de changement', Le Monde, 9 mars 2004
[35] Picard J-F, 'Physique des rayonnements et sciences du vivant — Le CEA et la recherche biomédicale, un aperçu historique', Med. Sci. 2016 ; 32 : 634–639
[36] 'A Gene Map of the Human genome', Science, vol. 274, 25. 10. 1996, p. 540
[37] Perrin J., 'discours devant le CSRS', avril 1938 (AN 80-284, liasse 1)




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