M.Charpentier. Avez vous connu Henri Longchambon, le directeur du CNRS Appliqué ?
C.Sadron.
Bien sûr. En 1939 Longchambon avait réuni autour de lui un certain
nombre de scientifiques dont Mlle Lapierre, M. Bouteiller et moi même,
pour recenser l'appareillage et le potentiel scientifique dans le cadre
de la mobilisation scientifique pour la Défense Nationale. Un
inventaire des laboratoires fut dressé. Nous étions affectés
spéciaux, et nous avons fait un travail important d'organisation pour
le CNRS A qui a disparu ensuite.
A.Prost. Oui, il a disparu sous Vichy; Charles Jacob fut nommé avec
comme consigne la suppression du CNRS, mais Jacob, homme honnête a fait
sa propre enquête. Il a conclu que le CNRS était très bien et a unifié
les deux sections, fondamentale et appliquée.
M.C. Dans les archives j'ai retrouvé également un rapport daté de 1941
où vous expliquez déjà ce que sera votre centre, avec deux idées force.
La première est "l'interdisciplinarité, un regroupement de physiciens,
de chimistes et de biologistes, afin d'élever le niveau de la recherche
en science pure dûe aux origines différentes des scientifiques, et à la
mise en commun de techniques de pointe". La deuxième est la liaison
science-industrie : vous dites que "le centre fonctionnerait comme un
laboratoire d'essai; de cette manière l'état fournirait aux industries
intéressées l'aide d'un laboratoire puissamment équipé en matériel et,
en échange, le centre gagnerait en moyens financiers et techniques. Et,
chose d'importance considérable, l'équipe des savants du Centre serait
tenue au courant des problèmes industriels qui se posent dans son
domaine d'activité. C'est ainsi que le Centre d'Etudes s'élèverait au
rôle d'un agent puissant et efficace dans une organisation souhaitable
de la technique et de l'économie nationale."
C.S. Ce n'est pas si mal que ça !
A.P. C'est très bien! Vous aviez donc soumis dès 1941 un projet complet d'Institut au CNRS.
C.S. Oui, c'est exact et la création du Centre d'Etudes de Physique
Moléculaire a été demandée immédiatement après guerre. J'étais maitre
de conférences à la faculté de Strasbourg.
M.C. J'ai en effet plusieurs pièces datées de 1945-46 relatives à la la
création d'un Centre d'études des macromolécules, mais apparemment il y
avait des problèmes avec Magat et Champetier. Il a été un moment
question de créer un laboratoire du caoutchouc à Bellevue, avec Magat
comme Directeur. Ce Laboratoire des caoutchoucs synthétiques, selon la
Direction du CNRS aurait été intégré dans le Centre d'études des
grosses molécules, incluant également le laboratoire de recherche pure
de Sadron. Or parallèlement dès Janvier 1945 Champetier, chimiste
organicien, chef de travaux à Paris, collaborateur très proche de
Joliot au CNRS, montait lui aussi à Bellevue un Laboratoire des grosses
molécules qui était le développement d'un laboratoire qu'il avait fait
créer pendant la guerre à l'Institut de chimie de Paris, en liaison
avec le comité d'organisation des Peintures et Vernis.
C.S. Champetier et Magat étaient effectivement tous deux peu
favorables à mon travail. Il y avait une tension à ce moment là, avec
Champetier qui voulait son laboratoire, et nous étions en concurrence.
C'est ensuite de Strasbourg que nous avons mené la bagarre définitive
pour la création de l'Institut. Après une période assez confuse avec
Champetier et Magat, tout cela s'est décanté et, en 47 la décision a
été prise de créer le Centre de Recherche des Macromolécules.
Je me souviens très bien aussi d'une autre histoire. Un certain nombre
de postes de Mâitre de Conférences avaient été créés, à Paris
notamment, pour des scientifiques qui avaient été lésés dans leur
travail et leur liberté, et là on m'avait oublié.
A.P. Qui a aidé à la création de l'Institut, et qui au contraire l'a combattue ?
C.S. Je crois bien que je n'ai pas eu beaucoup d'aides. Par contre, à
Paris j'avais eu le soutien de Fauré Frémiet, Professeur au Collège de
France, qui avait été séduit par mon projet; il voulait me faire nommer
au Collège de France: il y a même eu un début de campagne en ma faveur.
On avait repris, dans le cadre du Collège de France, mon idée d'
Institut des grosses molécules, l'idée du CEPM : tout était
administrativement au point, nous étions même allés voir les lieux où
devait s'installer le laboratoire; c'était à Orsay, mais bien sûr
dépendant du Collège de France. Mais il y eut une opposition très
nette, en particulier de Magat qui a combattu, victorieusement
d'ailleurs, contre ma nomination au Collège de France. Ce fut Abragam
qui fut élu au Collège de France, un excellent scientifique, mais qui
n'avait toutefois pas fait tellement d'étincelles. J'ai été très
furieux contre Magat.
A.P. Comment avez vous été accueilli par le milieu scientifique en revenant de déportation ?
C.S. Avec gentillesse, mais aussi avec beaucoup de réticences, car il y
avait concurrence pour les trois ou quatre postes de chimies organique
ou de physico-chimie à pourvoir. J'ai été gentiment évincé, mais j'ai
vivement protesté et c'est à ce moment là qu'on a adopté l'idée de la
création du Centre de chimie physique macromoléculaire à Strasbourg.
A.P. La création de l'Institut est un peu une compensation pour la chaire à Paris?
C.S. Oui, c'est ça. C'est à ce moment là aussi que s'est produit
l'épisode du Collège de France dont je parlais tout à l'heure.
A.P. Est ce que le milieu scientifique était très politisé en 1946-47 ?
C.S. Non, en tout cas ce n'est pas apparu dans mon cas, les positions
politiques ont joué plus tard, mais pas à ce moment là. J'avais la
réputation d'être de gauche, et même d'extrême gauche.
M.C. En simplifiant je dirai que les physico-chimistes étaient plutôt
de gauche, et les chimistes organiciens, qui ont freiné Sadron comme
Champetier, beaucoup plus de droite. Il y avait clivage à la fois
scientifique et politique.
C.S. Kirrmann était plutôt de droite, mais c'était un homme très intègre. Il avait une rigueur toute alsacienne.
M.C. C'est tout à fait exact. J'aimerais aussi vous demander quelles relations vous avez eues avec les industriels ?
C.S. J'ai été conseil chez CIBA, chez Dunlop. J'ai été soumis une fois
à un interrogatoire serré par la Banque de Paribas. Ils m'ont invité un
jour à déjeuner alors que je ne m'y attendais pas du tout; pendant le
repas ils m'ont harcelé de questions sur la science et les
personnalités scientifiques. J'ai aussi été conseil à l'Institut
Français du Pétrole avec Méssénat où j'ai fait la connaissance de
Giraud qui était une personnalité très sympathique. J'allais tous les
mois à une réunion sur l'industrie du pétrole, on me faisait monter
chez le directeur avec Giraud, mais souvent on bavardait à n'en plus
finir, au détriment des problèmes concernant le pétrole.
Mme Sadron. Tu as aussi été conseil chez Péchiney St Gobain .
A.P. Est-ce que vos contacts industriels avaient des retombées sur le
labo, est-ce que cela aboutissait à des contrats d'études ?
C.S. Pas à ce moment là, cela ne se faisait pas, seules jouaient les
relations personnelles. L'organisation officielle des relations entre
la recherche appliquée et la recherche fondamentale n'était pas
poussée. Le problème avait été parfaitement posé, plusieurs fois, par
moi même notamment , mais sans résultat. L'argent dépensé par
l'industrie, pour la science, était donné à un individu.
Mme S. L'industrie payait des thésards.
C.S. Oui, mais ça n'atteignait pas de loin l'importance actuelle. Les
scientifiques étaient sollicités à titre personnel, mais il n'y avait
pas de contrats avec l'industrie; à ma connaissance en tout cas, car
les gens étaient remarquablement discrets dans ce domaine là.
M.C. En chimie, une personne comme Champetier travaillait beaucoup avec
l'industrie; il en était de même, en métallurgie, pour M.Chaudron.
C.S. Oui, c'est vrai mais ces personnes là, étaient payés pour elles
mêmes, mais n'avaient pas de laboratoire subventionné. J'ai travaillé à
Péchiney-St Gobain avec Pierre Piganiol. A propos, que devient il ?
A.P. Il ne décolère pas contre la Villette: selon lui il aurait fallu
s'inspirer du Palais de la Découverte, au lieu de prendre modèle chez
les américains qui ont d'ailleurs pris eux même comme modèle le Palais
de la Découverte !
C.S. C'est Piganiol qui s'est substitué à moi comme délégué général.
Mme.S. Tu avais refusé !
C.S. Oui. Mais c'est à moi qu'on avait proposé le poste en premier.
A.P. Je suis étonné que l'on vous l'ait proposé alors que vous étiez connu comme très à gauche.
C.S. Le Comité des Douze n'était pas vraiment de droite. Il y avait
Dumont(ancien futur candidat président de la République), Chevalier,
Lichnerowicz, qui n'étaient pas de droite. Il y avait aussi Jean
Bernard, Maurice Letort, Pierre Aigrain, etc.
Mme S. Il y avait en fait deux projets d'organisation de la Recherche.
Un projet de Haut Commissaire à la Recherche Scientifique rattaché
directement à la Présidence de la République (comme le Haut
Commissariat de l'Energie Atomique), et un autre qui était celui de la
DGRST. Le projet de Haut Commissaire était intitulé "Projet Malraux",
l'autre le "Projet Jaquinot". Le projet de Haut Commissaire était pour
Charles qui le voulait bien à condition d' avoir les pleins pouvoirs,
mais il ne voulait pas être Délégué Général dans le projet DGRST.
Piganiol t'a alors dit: "Si tu ne veux pas être délégué, je veux bien
l'être."
C.S. Ma position était tout à fait antidémocratique, mais si on voulait
réussir il fallait y aller à fond et ne pas avoir de discussions à n'en
plus finir.
A.P. Est-ce-que vous aviez fait partie du Conseil Supérieur de la
Recherche et du Progrés Technique de Longchambon à la fin de la
quatrième république?
C.S. Non.
A.P. Quels souvenirs avez vous du premier Comité des Sages ?
C.S. Je pense que c'était une excellente initiative, prise je ne sais
pas par qui; je sais que de Gaulle s'en est occupé personnellement.
C'était une tentative de réorganisation sérieuse dans le domaine
scientifique et technique .
A.P. Vous êtes vous bagarré avec Lichnérowicz?
C.S. Oui, mais en toute cordialité. Lichnérowicz était déjà partisan de
l'union de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique. Il
n'a pas changé.
A.P. Vous, vous étiez partisan des usines à recherche.
C.S. Oui. L'université était pour moi autre chose, j'étais pour des
Instituts Nationaux de la Recherche. Nous avons fait des choses très
sérieuses, mais sans profit puisque le projet de Haut commissariat du
comité a été supprimé.
A.P. Dans le groupe qui faisait la politique scientifique, à ce moment
là, il y avait des hommes três proches les uns des autres comme
Aigrain, Jacquinot, Maréchal et même Curien. J'ai l'impression que ce
sont eux qui ont mis en avant l'idée soit d'un Haut Commissariat, soit
d'une Délégation Générale.
C.S. Oui. Bien sûr, ce fut le point de départ. Il y eut de longues
discussions qui avaient abouti à un accord majoritaire sur le système
Haut Commissariat. Puis, on n'en a plus voulu, vraisemblablement à
cause de la politique autoritaire que je représentais. L'idée de Haut
Commissariat date en fait de fin 1958.
A.P. En Février 1950 un texte de Lichnérowicz lance l'idée d'un Haut Commissariat à la recherche scientifique.
C.S. Peut-être, mais Lichnérowicz a toujours été partisan de l'union de la Recherche et de l'Université.
A.P. En 1950 un Haut Commissariat pouvait ne pas être créé contre les
Universités,elles n'étaient pas du tout ce qu'elles deviendront par la
suite. En 58-59 des crédits sont alloués aux Universités, des locaux
sont batis, de nouvelles créations comme la Halle aux Vins, comme Orsay
sont envisagées. Il y a un certain dynamisme.
C.S. Zamansky était allié à Lichnérowicz. Il y a eu récemment une
émission à la télévision, en présence, notamment, de Lichnérowicz et de
Curien où ces problèmes ont été abordés.
A.P. Oui effectivement il y a eu une émission de télé avec Curien. Nous
avons interviewé Crémieux Brilhac qui ne nous a rien dit de tout ça.
Or, des documents montrent qu'il était au centre de cette toile
d'araignée.
C.S. Crémieux Brilhac a joué le rôle de secrétaire. Il visait une
situation de haut fonctionnaire . Son rôle n'était pas très clair.
A.P. C'est un diplomate, mais sa souplesse ne me parait pas nécessairement un signe de double jeu.
C.S. Je ne veux pas dire exactement double jeu, mais il jouait le rôle
qui l'avantageait personnellement. Il cherchait une tête sur laquelle
se reposer .Quand on a parlé de moi pour le Haut Commissariat il était
extrêmement actif auprès de moi, puis quand Piganiol a été Délégué
Général il est devenu très actif auprès de lui.
A.P. Piganiol nous a raconté une histoire peu crédible de sa nomination comme Délégué Général.
Mme S. On n'a jamais su le rôle exact de Piganiol, il a toujours eu des positions étranges.
A.P. D'après les archives, il a joué un rôle important dans la
réflexion sur les statuts du CNRS. Autre question, quand vous faisiez
partie du Comité des Sages en 1958 vous faisiez la navette entre
Strasbourg et Paris?
C.S. En principe j'étais beaucoup plus à Paris qu'à Strasbourg. Je ne
faisais pas de cours à la Faculté de Strasbourg. Puis en 1961 j'ai été
nommé professeur au Muséum, ainsi le problème a été résolu puisqu'au
Muséum on n'est pas obligé de faire de cours. Nous avons toutefois
continué à habiter Strasbourg.
A.P. Je voudrais aussi vous poser le problème de votre centre de recherche à Orléans ?
C.S. C'est une affaire politique dans laquelle la municipalité
d'Orléans, a joué un rôle certain. Charles Secrétain, Pierre Sudreau et
Lucien Paye désiraient voir Orléans prendre de l'importance et
recherchaient un moyen d'y parvenir. Quelqu'un a exhumé mes travaux et
a dit qu'il était possible d'envisager à Orléans la création d'un
centre de recherches assez important . On m'a demandé ce que j'en
pensais. J'ai répondu:" Vous me dites qu'il va y avoir une installation
fastueuse, et qu'Orléans sera l'Oxford français. Dans ces conditions on
peut imaginer une concentration scientifique très importante; je suis
donc pour." Je l'étais d'autant plus que la position d'Orléans était
bonne au point de vue géographique et que tous les invités passant par
Paris pouvaient aisément prendre un peu de leur temps pour venir à
Orléans. Puis il y eut un changement complet de politique à la suite de
la démission de Sudreau du gouvernement de Gaulle, et de la mort de
Paye. L'impulsion politique est tombée un beau jour parce que les
protagonistes n'étaient plus là; les choses sont allées péniblement,
néanmoins on a créé le Centre de Recherche de Biophysique Molèculaire,
et ce fut le premier laboratoire créé à Orléans. Mais ensuite la
Direction du CNRS a fait un peu n'importe quoi; j'avais demandé une
concentration de moyens sur la biologie, sur la biologie
physico-chimique, de sorte que le centre se trouve flanqué à droite par
des animaleries nécéssaires à l'étude du vivant, et à gauche par des
équipes se préoccupant d'études théoriques particulièrement importantes
dans le domaine de la biologie. Mais, curieusement, le deuxième
laboratoire que le CNRS a créé fut le laboratoire de Hautes
Températures, un domaine qui est on ne peut plus éloigné de la
biophysique. A partir de ce moment là, ce fut la débandade. J'ai
rouspété sérieusement, j'ai dit être victime d'une escroquerie puisqu'
astreint à une solution qui n'était pas du tout celle prévue
initialement.
A.P. A quelle date le Centre a-t-il été ouvert ?
C.S. Fin 1966 début 1967, et parallèlement l'Institut de Strasbourg a
continué à se développer. Quand je l'ai quitté c'était une grosse
affaire, il y avait deux cent cinquante personnes. A Orléans il n'y en
avait que soixante quinze environ.
A.P. Finalement votre grand labo ce fut Strasbourg, ce n'est pas du tout Orléans.
C.S. Bien sûr. D'ailleurs on a bien voulu le consacrer en l'appelant
'Institut Charles Sadron'. Je ris parce qu' un certain nombre de
collègues étaient vexés. C'est vrai que ce fut, à mon avis, une
distinction imméritée, en tout cas précipitée.
M.C. J'aimerais vous soumettre encore une question. Vous avez écrit en
1950 à propos de la création des laboratoires propres que vous ne
comptiez pas diriger seul, mais vous entourer d'un état-major qui vous
aiderait d'une manière permanente. Vous mettez: "en cas de disparition
pour une raison quelconque du directeur , cet état-major assurerait
provisoirement la bonne marche des laboratoires qui pourrait ainsi
survivre à la disparition de son chef en attendant qu'un autre le
remplace". C'est une très belle idée, mais dans les faits, la
succession du fondateur pose souvent de gros problèmes.
C.S. Absolument. La déclaration que j'ai faite là j'y crois, mais elle
est un peu théorique. Je suis tout à fait d'accord avec vous, la
difficulté est d'avoir un bon directeur.
M.C. Il faudrait peut être une formule plus souple pour les laboratoires propres du CNRS.
C.S. Dans l'esprit du début du CNRS, un laboratoire propre devait
fonctionner tant que le directeur-fondateur était là, puis être rasé à
son départ pour permettre de recommencer autre chose. Il est difficile
d'éditer une régle, chaque cas est un cas particulier. Une des
difficultés de l'organisation de la recherche est d'ailleurs le rôle de
l'individu dans un système collectif. La recherche fondamentale doit
être entièrement libre avec les risques que cela comporte.
A.P. Oui mais, avec une recherche complètement libre et les structures
universitaires telles qu'elles sont, on ne peut pas développer
facilement des secteurs nouveaux de recherche fondamentale.
C.S. Absolument. Je pense maintenant que les solutions les meilleures
sont souvent des solutions individuelles qui n'entrent pas dans un
schéma logiquement organisé. C'est un peu génant comme conclusion de
tout le travail collectif auquel j'ai participé, travail orienté
uniquement vers l'organisation de la Recherche .
A.P. Par ailleurs, comment expliquez vous votre cheminement de la physique à la biologie ?
C.S. En gros on peut dire ceci. Mon premier travail de recherche a été
à l'Université de Poitiers où j'ai passé le Diplôme d'Etudes
Supérieures avec comme sujet l'étude de la propagation des anneaux de
fumée en tourbillon dans l'air . C'était assez curieux comme sujet,
mais je ne m'en étais pas trop mal sorti. Puis il y eut alors une
petite révolution dans ma carrière : la Fondation Rockfeller avait
envoyé à Strasbourg une équipe pour rechercher d' éventuels candidats
pour un poste de chercheur dans une université américaine. J'ai été
choisi et envoyé en Californie où j'ai passé un an et demi à faire de
la mécanique des fluides, des études de physique moléculaire; j'ai
notamment étudié les processus de comportement des éléments solides au
sein d'un milieu liquide en écoulement. J'ai étudié l'effet Maxwell
dans des solutions macromoléculaires et à partir du moment où je me
suis intéressé aux macromolécules les problèmes biologiques se sont
imposés à moi puisque beaucoup de macromolécules se trouvent dans les
milieux biologiques. Je me suis ainsi orienté vers le domaine
physico-chimique de la biologie, d'où la biophysique. J'aurais dû
apporter mon exposé de titres et travaux, dans la mesure où vous êtes
intéressés, mais ce n'est pas votre pôle d'intérêt.
A.P. Oui et non, car l'un de nos problèmes centraux est de savoir quel
a été l'effet du CNRS sur l'évolution de la recherche scientifique en
France, et de ce point de vue vous êtes assez représentatif. On ne vous
a nommé ni à Paris ni au Collège de France, mais le CNRS a créé un
laboratoire pour vous, c'est très intéressant.
A.P. Une autre question, vous avez siégé dans les commissions du CNRS?
C.S. Oui! J'ai été président de la commission de physique pendant 18 ans je crois.
A.P. Vous avez vu le CNRS changer ?
C.S. Pas tellement. Il y a toujours eu des bagarres exténuantes pour
obtenir davantage de chercheurs et de matériel . C'était là l'essentiel
du travail. La grande politique était finie.