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Il
y a un excellent livre, mais très ancien, sur l'histoire de
l'Observatoire de Paris. Il s'agit d'un bouquin assez épais écrit par
Charles Wolf (Histoire de l'Observatoire de Paris de sa fondation à
1793, Gauthiers Villars, 1902). Mais, il est évident que les choses ont
complètement changé au début du XXème siècle ou à la fin du XIX ème. Il
y a une centaine d'années, on a créé des observatoires dans pas mal
d'universités en France, Strasbourg, Besançon, Lyon, Marseille,
Nice, Toulouse et Bordeaux. Ces établissements reçurent un statut
d'instituts d'université. Ils dépendaient des universités, mais avec
une relative autonomie. Ces observatoires de province ont gardé ce
statut jusqu'en 1968, après quoi ils sont devenus des UER dérogatoires.
J'ai été Directeur de l'Observatoire de Besançon de 1957 à 1964 et j'ai
connu cette structure d'institut d'université. Nous avions un budget
autonome, un personnel propre, etc. Le personnel jouissait d'un statut
qui était parallèle à celui des universités. Ils étaient traités par
analogie avec le corps des enseignants, mais avec ses propres conseils,
ses procédures de nomination et d'avancement. Il y avait des
assistants, des aides astronomes (qui correspondaient à peu de choses
près aux chefs de travaux), des astronomes adjoints (maîtres de
conférences) et des astronomes titulaires (professeurs). Pour
l'Observatoire de Paris, il faudrait relire attentivement la réforme du
statut pour savoir à quel moment il est devenu un établissement de
recherche. A mon avis ça doit remonter à la création du Bureau des
longitudes, c'est-à-dire à 1795. Avant la Révolution, l'Observatoire de
Paris était très lié à l'Académie des Sciences. C'était le fief de la
famille Cassini dont tous les membres se sont succédés de père en fils
pour diriger la maison.
Par la suite on a créé des instituts de
physique du globe (I.P.G.), c'est-à-dire des institutions analogues,
mais pour faire de la géophysique et l'on a calqué le statut des
observatoires. On a ainsi créé un corps de géophysiciens parallèle à
celui des astronomes. Cela doit remonter aux années 1930. Jean Coulomb,
par exemple, a été Directeur de l'I.P.G. d'Algérie puis de celui de
Paris. Mais revenons à une période plus actuelle. Il existait donc
avant le CNRS, des organismes de recherche à temps plein en astronomie
qui disposaient d'un corps de fonctionnaires. La notion de technicien
n'existait pas, mais les assistants d'observatoire disposaient d'un
statut. J'ai connu la fin de cette période. J'ai commencé à venir à
Paris en 1942. J'étais étudiant et il y avait encore des assistants
ancien type, mais très vite on n'a plus nommé que des licenciés, des
gens qui avaient des diplômes et le profil des assistants de fac.
La mesure de l'heure
On retrouve la même chose en Allemagne. Les universités allemandes s'étaient dotées à peu près à la même époque d'observatoires. Comment expliquer ces développements? A cause de besoins pratiques évidents. Pourquoi Louis XIV et son collègue le roi d'Angleterre ont-ils créé en même temps des observatoires à Paris et Greenwich? C'était pour connaître mieux la terre, pour faire des cartes avec des arrières pensées très pratiques, la navigation. Puis s'est greffé le problème de l'heure. Pour les astronomes, l'horloge est aussi importante que la lunette. Toute observation astronomique est un rendez-vous. En plus, une branche de l'astronomie concerne l'étude des mouvements célestes. Si on considère les instruments de l'astronomie, on y trouve autant d'horloges que de lunettes. Ainsi, aux origines des observatoires de Greenwich et de Paris, on passait beaucoup de temps - en particulier chez les anglais - à développer les instruments horaires. Les astronomes travaillaient sur les manières de déterminer l'heure avec précision puis de la conserver et ces besoins ont pu occuper les observatoires pendant deux siècles. Ils ont disparu il y a une vingtaine d'années, depuis que la physique permet de mesurer le temps grâce à des fréquences extrêmement stables et beaucoup plus précises. Quand j'étais jeune, les gens qui entraient ici, étaient quasi automatiquement voués à s'occuper de l'heure, c'est à dire à suivre la marche des horloges ou à recevoir des signaux horaires par radio. C'était une activité de service public. Quand je suis devenu l'adjoint de Jean-François Denisse à l'Obervatoire de Paris en 1964, avant de lui succéder en 1967 lorsqu'il est parti au CNES, on a vu les problèmes de l'heure passer des mains des astronomes dans celles des physiciens. Bien sur, les problèmes de l'heure nous préoccupent toujours, mais plutôt en relation avec l'étude de la rotation de la terre avec le problème géophysique des irrégularités et celui de la détermination des plans de référence fondamentaux pour la mécanique céleste. Il y a un deuxième facteur qui explique l'organisation précoce de l'astronomie. N'oubliez pas que lorsque on a fondé les Observatoire de Paris et de Greenwich, il y avait peu de temps qu'Isaac Newton avait fait ses travaux. Il y avait donc un très grand besoin de développer l'analyse mathématique et les grands mathématiciens du XVIIème, XVIIIème siècle, étaient liés aux astronomes, comme aux académies des sciences. L'astronomie est donc une discipline qui s'est organisée très tôt, mais ce qui a aussi rendu les astronomes très conservateurs.
L'astrophysique
Dans
les années trente, une nouvelle discipline, l'astrophysique, était en
plein développement. Née au début du siècle grâce elle avait bénéficié
du développement de certaines techniques, comme la spectroscopie. Dans
les années 1930, elle était en plein essor aux Etats-Unis à la suite de
la mise en service d'un télescope de 2,50 m d'ouverture au Mont
Wilson. Mais les astronomes français ont eu du mal à prendre le virage
vers l'astrophysique et c'est là que le CNRS a joué un rôle absolument
fondamental.
Quand je suis arrivé à Paris, il y avait un petit groupe animé par Henri Mineur,
un mathématicien qui a été mon premier patron de thèse. Il avait des
problèmes compliqués, notamment de santé, mais ce petit groupe avait le
vent en poupe car il était lié au Front Populaire.... Outre
Mineur, il y avait un type plus âgé qui s'appelait Daniel Chalonge et
Daniel Barbier. Quoique mathématicien, Mineur s'intéressait à des
problèmes assez nouveaux de structure galactique, c'est d'ailleurs la
raison pour laquelle je l'avais choisi comme patron. Pendant la guerre,
il était compliqué de le rencontrer, il avait une activité clandestine.
Il donnait des rendez vous dans son appartement à Montmartre...
Chalonge était physicien ainsi que Barbier. Tous les trois étaient
astronomes à l'Observatoire de Paris, mais ils n'étaient pas soutenus
par le directeur Ernest Esclangon. En fait leur groupe était davantage
rattaché à l'ENS qu'à l'Observatoire. Ils avaient quelques locaux dans
le vieux bâtiment de l'Observatoire, mais ils étaient le plus souvent
rue Lhomond. Esclangon était un septuagénaire au moment de la guerre et
il a pris sa retraite en 1945. C'était un homme qui apparemment n'avait
pas saisi l'intérêt de l'astrophysique. Quand je suis venu à Paris et
que je lui ai dit que je voulais préparer une thèse, il m'a dit:
"pfffou... l'astrophysique!! Faîtes plutôt de la mécanique
céleste!" Je crois qu'il a fait cette réflexion à tout le monde
ou presque. Il ignorait cet aspect de l'astronomie et dans son cours
que j'ai suivi, il n'en parlait pas.
Parallèlement, le
directeur de l'Observatoire de Strasbourg, André Danjon, avait
constitué dès le début des années 1930 un autre groupe, plus officiel,
dont faisait partie le directeur de l'Observatoire de Lyon, Jean Dufay.
Ce groupe était soutenu par le général Férrié et par le directeur
de l'Enseignement supérieur, Jacques Cavalier. Ce deuxième groupe avait
élaboré un plan pour le développement de l'astrophysique en France.
L'affaire était mure en 1936 et je pense que le succès des
astrophysiciens est aussi lié aux relations très étroites qu'il y avait
entre ces deux groupes et Jean Perrin qui fut sous-secrétaire d'Etat à
la Recheche. Donc en 1936, les efforts conjugués du petit lobby
'Mineur-Barbier-Chalonge' et du groupe 'Danjon-Dufay' davantage
introduit dans les circuits officiels autour du CNRS ont abouti à la création de l'Observatoire de Haute Provence (OHP)
dont la construction a été confiée à Charles Fehrenbach et de
l'Institut d'Astrophysique de Paris (IAP) à Henri Mineur. Quand j'ai
commencé à Paris, tout était en chantier. Evry Schatzman
pourrait en parler mieux que moi, car il s'est caché à l'OHP.
Schatzman, c'est le type qui est tombé du ciel, un jeune intelligent et
enthousiaste qui a formé les premiers astrophysiciens après s'être
formé lui-même. C'était un hyper rationaliste. Il a joué un rôle
énorme, d'ailleurs probablement inconsciemment. Quand il a commencé à
travailler dans le bâtiment de l'IAP, il devait avoir 25 ans, comme
moi, mais je suis persuadé qu'il ne se rendait pas compte du rôle qu'il
y jouait.
On peut donc dire que pour le développement de
l'astrophysique en France, la création du CNRS a été un événement
fondamental. C'est le CNRS qui a permis de développer cette discipline,
grâce aux gros instruments. Mais il y a eu aussi la mise en place d'un
corps de chercheurs et de techniciens. C'est le CNRS qui a fait que
l'astrophysique ait pignon sur rue en France, qui a fait que ces jeunes
chercheurs puissent être entendus, malgré le conservatisme du directeur
de l'Observatoire. Certes il ne faut pas tout mettre sur le dos
d'Esclangon, mais il occupait une place où il pouvait bloquer des
choses. En 1945, lorsqu'il a pris sa retraite, André Danjon lui a
succédé et Mineur a été nommé directeur de l'IAP.
Avec
Danjon, on était sous une forme de despotisme et c'est comme cela que
je suis allé à Besançon en 1945. J'avais alors 24 ans. Son influence a
été profonde. Si je n'ai pas été son étudiant au sens universitaire du
terme, d'une certaine manière il a été mon professeur. Il n'y avait pas
beaucoup de postes, mais il en trouvait toujours pour les membres de
son écurie. Les plus anciens comme Charles Fehrenbach
à Strasbourg, avaient été ses étudiants. Voilà comment l'astronomie
était dirigée. Nous avions confiance en lui, ce qui était un facteur de
cohésion remarquable, mais il ne nous ménageait pas. Je me suis fait
engueuler plusieurs fois, mais on savait que ça ne durait pas et que ça
ne laissait pas de traces. En réalité André Danjon effrayait bien plus
les gens de son niveau, comme Pierre Jacquinot le directeur du CNRS.
Là, il pouvait être insupportable. D'abord il n'admettait pas de
participer à une commission sans la présider, ce qui fut le cas dans la
section du CNRS pendant de nombreuses années avant que Jean Coulomb ne lui succède.
Quand j'étais jeune, on allait à l'observatoire de Meudon une fois par
an, mais il y avait beaucoup plus de personnel ici à Paris. Les choses
ont changé quand Danjon est arrivé, on ne pouvait pas construire à
Paris. A Meudon, c'était plus facile et André Danjon a commencé à
construire, puis Jean-François Denisse a continué. Il y avait une bonne
tradition d'astronomie solaire à Meudon. La première Union scientifique
internationale y a été créée dans les années 1890, tant il est vrai que
les astronomes sont plus ouverts sur le plan international, que
national. L'observatoire de Meudon où l'on s'est très vite spécialisé
dans l'observation du soleil avec Jules Janssen avait mis au
point une technique d'observation très astucieuse qui est d'ailleurs
toujours employée. C'est ainsi que Meudon est devenu - et est resté -
un centre mondial de coordination des observations solaires. Moyennant
quoi, il y avait une masse de personnel à l'Observatoire ici à Paris,
mais beaucoup moins de scientifiques qu'à Meudon. Tout mon labo est à
Meudon, mais je suis resté à Paris. Quand je suis revenu de l'INAG
en 1979, les gens de Meudon m'ont dit de les rejoindre. J'ai
répondu que je préférais rester à Paris, sinon ici, il ne serait resté
que l'administration.
Au point de vue humain, la situation de Meudon me paraissait malsaine
et elle explique vraisemblablement les événements de 1968. Il y a un
problème sociologique des astronomes français. Ils sont à 50% enfermés
dans un ghetto qui est l'Observatoire de Meudon. Ces gens sont mono
disciplinaires ou presque. Ils passent toutes les heures de chaque
journée ensemble. Ils arrivent le matin, ils mangent sur place, ils
rentrent le soir et ça recommence chaque jour de l'année. Ce n'est pas
sain au point de vue psychologique. En 1968, ils ont voulu ouvrir les
portes. Ils souhaitaient que les gens voient comment les astronomes se
débrouillaient bien, eux au moins. Il y a eu une assemblée générale
permanente à Meudon pendant plusieurs semaines. La proximité de
Billancourt énervait les masses. Mais vous savez, pour un ouvrier de
chez Renault un astronome n'est pas un travailleur.
La carte du ciel
En
tant que directeur de l'IAP, c'est moi qui fut chargé de tuer le
'Service des mouvements propres stellaires'. La 'Carte du Ciel', c'est
un vieux truc, certes un bon sujet intéressant du point de vue
historique, mais finalement limité. Cette entreprise est née ici et on
va fêter son centenaire en 1986. Je vous parlais tout à l'heure
des assistants 'ancien type'. Il y en avait deux ici, Paul et Prosper
Henry, deux frères qui se sont passionnés pour la photographie et qui
ont construit un instrument destiné à photographier le ciel. Ils
ont obtenu des résultats qui ont soulevé l'enthousiasme du directeur de
l'Observatoire de l'époque, l'Amiral Ernest Mouchez. Ce dernier les a
encouragés et ils ont construit le premier astrographe, en tout cas
celui qui a eu le plus de succès dans les observatoires. L'astrographe
Henry était fabriqué dans le quartier dans un atelier d'instruments
astronomiques.
Les observatoires se sont donc partagés
l'observation du ciel à réaliser avec ces astrographes. Mais ils
avaient un tout petit champ, deux degrés d'ouverture, et vous imaginez
le nombre de clichés à prendre, d'autant que chaque photo devait
recouvrir au moins le quart de sa voisine. C'était une entreprise
invraisemblable. Bref, une douzaine d'observatoires se sont donc
partagés le ciel et ont pris les clichés. Cela fait, il fallait les
mesurer et faire des calculs pour en tirer des listes de position pour
des millions d'étoiles. Le but était de prendre des clichés à
différentes époques et de suivre leurs déplacements, en mesurant leurs
vitesses angulaires. Entreprise grandiose, les Français se sont
enthousiasmés les premiers pour la méthode et ont équipé les
Observatoires de Paris, Bordeaux, Toulouse et Alger. En 1887, c'est la
fondation à l'Observatoire de Paris du 'Service des mouvements propres
stellaires'. On a recruté une masse de hors statuts. Dans le bouquin de
Henri Bouasse (Astronomie théorique et pratique, Delagrave, 1918), on
mentionne "(ces) bataillons mâles et femelles de la carte du Ciel". Il
y avait à Paris une petite équipe, essentiellement composée de dames
qui mesuraient la longueur des clichés et faisaient des calculs. A la
création du CNRS, on est entré dans une période favorable pour recaser
ces dames dans des postes de collaborateurs techniques. On s'est donc
trouvé dans ces observatoires avec des techniciens CNRS sans
rattachement, c'est la raison pour laquelle on a créé un laboratoire
propre qui s'appelait 'Service des mouvements stellaires' et qui était
implanté en différents endroits.
Parallèlement, dans les années 1950, le Directeur de l'observatoire de
Strasbourg, Pierre Lacroute, s'intéressait à la Carte du Ciel et au
parti qu'on pourrait en tirer grâce à une série d'observations faites
par des Allemands, avait mis au point une méthode permettant de la
moderniser. Pour cela, il fallait informatiser les mesures et Lacroute
m'a demandé de l'aider à défendre son idée et on est allé au CNRS.
"D'accord, on vous donne des crédits, mais quand la manip sera finie,
on ferme le Service des mouvements stellaires". Autant que je m'en
souvienne Pierre Jacquinot avait ajouté: "on va vous nommer président
du comité de direction de ce service, mais à la fin de votre mandat il
ne devra plus y avoir de labo." Il y a donc eu deux opérations
parallèles, la première, scientifique, a consisté à mettre toute
la carte du ciel sur informatique et à faire les calculs que Lacroute
avait projetés, ce qui a été mené à bien dans les délais voulus. La
deuxième, plus administrative, a consisté à prendre le train pour aller
dans les observatoires expliquer que l'on ne pouvait pas arrêter le
progrès et que l'astronomie comportait d'autres activités qui
renouvèleraient leurs fonctions. J'ai été bien reçu partout, même ici
par les dames de l'Observatoire de Paris, mais Paul Couderc son
responsable est parti lorsqu'il a pris sa retraite sans me dire au
revoir, définitivement fâché. Il n'avait pas fait de recherche et il ne
savait pas bien exactement à quoi servaient les mouvements propres,
mais il savait bien les "emballer". Paul Couderc était entré à
l'Observatoire au lendemain de la guerre, professeur de taupe,
normalien, et il a fait énormément de bouquins et de conférences de
vulgarisation. De plus, il avait du style, il écrivait très bien.
C'était le Hubert Reeves de l'époque si l'on veut. Il me reprochait
donc d'avoir cassé une équipe bien soudée et, quoique ancienne, de haut
rendement. En fait, les dames étaient très heureuses. Il y en a eu une
qui est devenue mon assistante. A Meudon, il y a une ingénieure
informaticienne qui vient de cette équipe, il y en a enfin deux ou
trois qui ont pris leurs retraites. Maintenant qu'on va disposer du
satellite astrométrique Hipparcos (HIgh Precision PARallax COllecting Satellite)
de l'Agence spatiale eureupéenne, l'opération Lacroute va être
valorisée. Il y a là une dynamique étonnante pour ce genre
d'astronomie, bâtie sur un programme vieux de 30 ou 40 ans et qui
trouve là sa revalorisation.
La radioastronomie
Curieusement, le CNRS est moins intervenu dans l'apparition de la radioastronomie. Il y a eu de nouvelles difficultés des astronomes pour accepter le virage. La radioastronomie est née à l'Ecole Normale Supérieure, du fait d'un petit groupe animé par Jean-François Denisse qui travaillait dans le labo d'Yves Rocard. Cependant André Danjon a considéré qu'il était inconcevable que la radioastronomie se développe en dehors des observatoires et il a tout fait pour que l'Observatoire de Paris la récupère. A la fin des années 1940, on a décidé de faire le centre de Nançay et Danjon s'est inscrit dans le projet de Rocard. L'ENS avait acheté le terrain dont elle est toujours propriétaire. Quant à l'équipement scientifique, il était pris en charge par l'Observatoire de Paris avec des crédits de l'Enseignement supérieur. Danjon, quoique très ouvert scientifiquement, s'inscrivait malgré tout dans la tradition universitaire. Il considérait que les observatoires devaient rester des institutions universitaires, mais on se rendait compte qu'un très gros investissement dans le cadre de l'Enseignement supérieur - en fait l'administration de l' Observatoire de Paris - constituait une véritable gageure et l'idée a germé de créer une sorte d'agence spécialisée. Jean-François Denisse qui avait supervisé la construction du grand radiotélescope de Nançay et qui commençait à construire un téléscope de 3,50 m., s'est rendu compte qu'on ne pouvait pas continuer avec les procédures antérieures. J'ai participé à l'affaire et nous avons imaginé un Institut National d'Astronomie. Mais à quoi le rattacher? A l'époque, J.-F. Denisse était membre du CCRST et il est apparu que le meilleur rattachement était le CNRS. Ce projet est à l'origine de l'Institut national d'astronomie et de géophysique (INAG) qui regroupait des établissements universitaires, mais avec une organisation CNRS.
L'Institut national d'astronomie et d'astrophysique (INAG)
En
1965-66, initialement l'INAG était conçue selon la terminologie
actuelle comme une agence d'objectifs, I.e. un organisme disposant des
structures nécessaires pour la construction de gros instruments. Quand
on a présenté ce projet au ministère des Finances, on nous a dit :
"d'accord , mais vous gérerez aussi les conventions de recherche ". A
l'époque les observatoires et les instituts de géophysique
travaillaient avec un grand nombre de conventions, en particulier avec
le Centre national d'études spatiales (CNES), mais qui étaient gérées
en dépit du bon sens. En particulier il y avait trois ou quatre cent
hors-statuts qui se promenaient dans divers établissements. Les
Finances ont estimé que l'INAG était un bon moyen de remédier à cette
situation, moyennant quoi l'organisme est devenu un établissement
plus important que ce qui avait été prévu à l'origine. En plus de la
division technique, nous avons dû mettre en place une administration
gestionnaire.
Initialement il n'y avait que l'astronomie à l'INAG, mais les géophysiciens ont très vite demandé à en faire partie. Jean Coulomb
en particulier, par attachement aux astronomes et parce que les
géophysiciens qui avaient des préoccupations comparables étaient
habitués à travailler avec eux. Mais il y avait aussi Jacques Blamont
qui était en train de développer un gros labo à Verrière (Aéronomie) et
qui estimait que l'Institut pouvait représenter une bonne tutelle pour
la partie spatiale.
J'ai été Directeur de l'INAG en 1971 et
c'est vers 1975 je crois que Bernard Grégory a proposé que le Directeur
de l'INAG soit en même temps le Directeur scientifique du département
TOAE (Terre, océan, astronomie, espace) du CNRS. Auparavant, il avait
été décidé que l''INAG, première version, ne devait pas enlever au CNRS
ses tâches de gestion des chercheurs et des labos. Il pourrait
éventuellement créer des structures, mais pour un temps limité jusqu'à
ce qu'elles soient reprises par les organismes en place et l'on n'avait
pas tout touché au secteur du CNRS dont dépendaient l'astronomie et la
géophysique. Wladimir Mercouroff était le directeur scientifique des
TOAE et il avait des états d'âme que je n'ai pas envie de commenter. Il
n'y avait donc aucune connexion avec l'INAG si ce n'est par le biais
d'opérations scientifiques comme une ATP en géodynamique à laquelle les
géologues se sont beaucoup intéressés, mais sans que leurs aient un
lien officiel avec l'INAG. Vers 1975, Mercouroff a demandé à être
déchargé de sa fonction et Bernard Grégory m'a expliqué qu'il
souhaitait donner à la même personne la direction de l'INAG et celle du
secteur TOAE. J'ai accepté et lorsque Petit m'a succédé, on a fait
entrer l'ensemble du secteur dans l'Institut national des sciences de
l'univers (INSU) en 1985.
De l'INAG à l'Institut national des sciences de l'univers (INSU)
Je
n'étais pas très favorable à cette évolution qui nous conduisait à nous
éloigner de la notion initiale d'INAG. D'autre part il n'était pas
mauvais qu'il y ait deux directeurs à la tête de l'INAG, car il y a une
question de temps au sens de nombre d'heures disponibles par jour et de
jours dans l'année. Quand j'ai repris les fonctions de Mercouroff, j'ai
décidé que je ne m'occuperais pas moins qu'avant de l'INAG et je me
suis bâti un mode de vie qui s'est révélé totalement insupportable. Je
ne voulais pas que les géologues soient lésés ou que les géophysiciens
puissent croire que je les trahissais. Il aurait fallu reprendre l'idée
de deux instituts. C'est une idée que nous avons essayée de pousser
Denisse et moi à l'époque où l'on a commencé à parler d'INSU. On aurait
créé un Institut des sciences de la terre en laissant l'INAG à côté.
Cet institut se serait occupé des sciences de la terre et de l'océan,
avec un transfert d'un peu de géophysique en provenance de l'INAG, la
géophysique interne par exemple. Ce projet a été barré. Je pense que le
CNRS avait la volonté de ne pas créer de nouvel institut national. Le
problème est la crainte de son éclatement. Je me rappelle que l'une des
objections faite par certains au moment de la création de l'INAG, était
que si notre exemple était suivi, on pouvait craindre l'explosion du
Centre.
Ce qui m'a étonné à l'époque, c'est qu'on a fait avec
l'IN2P3 ce que nous ne voulions pas faire avec l'INAG. Puisqu'on a tout
donné à l'IN2P3, la politique scientifique, les grands moyens et la
gestion. Il est vrai que le secteur est quand même très étroit, c'est
la physique nucléaire et des particules. Lorsque Bernard Grégory a fait
sa réforme, je le lui avais d'ailleurs proposé de transformer l'INAG
sur le modèle de l'IN2P3, c'est à dire en considérant dans le CNRS le
secteur géophysique astronomie au sens de l'INAG. Il était difficile
pour les sciences de la terre de faire le découpage entre géophysique
et géologie. La géologie a son avenir dans sa capacité à évoluer vers
la géophysique, autrement dit de passer du stade des sciences
naturelles à celui de la physique, une évolution qu'elle a entrepris
dans certains secteurs, en particulier depuis qu'on dispose des
méthodes qui permettent d'étudier la tectonique des plaques.