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Entretien avec Jean Delhaye

Jean-François Picard, le 2 juin 1986 (source : https://www.histcnrs.fr/temoignages.html)

Le statut des observatoires                                                                                                     1995  http://www.aheck.org/or_sxb_fasc.pdf

Il y a un excellent livre, mais très ancien, sur l'histoire de l'Observatoire de Paris. Il s'agit d'un bouquin assez épais écrit par Charles Wolf (Histoire de l'Observatoire de Paris de sa fondation à 1793, Gauthiers Villars, 1902). Mais, il est évident que les choses ont complètement changé au début du XXème siècle ou à la fin du XIX ème. Il y a une centaine d'années, on a créé des observatoires dans pas mal d'universités en France, Strasbourg,  Besançon, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse et Bordeaux. Ces établissements reçurent un statut d'instituts d'université. Ils dépendaient des universités, mais avec une relative autonomie. Ces observatoires de province ont gardé ce statut jusqu'en 1968, après quoi ils sont devenus des UER dérogatoires. J'ai été Directeur de l'Observatoire de Besançon de 1957 à 1964 et j'ai connu cette structure d'institut d'université. Nous avions un budget autonome, un personnel propre, etc. Le personnel jouissait d'un statut qui était parallèle à celui des universités. Ils étaient traités par analogie avec le corps des enseignants, mais avec ses propres conseils, ses procédures de nomination et d'avancement. Il y avait des assistants, des aides astronomes (qui correspondaient à peu de choses près aux chefs de travaux), des astronomes adjoints  (maîtres de conférences) et des astronomes titulaires (professeurs). Pour l'Observatoire de Paris, il faudrait relire attentivement la réforme du statut pour savoir à quel moment il est devenu un établissement de recherche. A mon avis ça doit remonter à la création du Bureau des longitudes, c'est-à-dire à 1795. Avant la Révolution, l'Observatoire de Paris était très lié à l'Académie des Sciences. C'était le fief de la famille Cassini dont tous les membres se sont succédés de père en fils pour diriger la maison.
Par la suite on a créé des instituts de physique du globe (I.P.G.), c'est-à-dire des institutions analogues, mais pour faire de la géophysique et l'on a calqué le statut des observatoires. On a ainsi créé un corps de géophysiciens parallèle à celui des  astronomes. Cela doit remonter aux années 1930. Jean Coulomb, par exemple, a été Directeur de l'I.P.G. d'Algérie puis de celui de Paris. Mais revenons à une période plus actuelle. Il existait donc avant le CNRS, des organismes de recherche à temps plein en astronomie qui disposaient d'un corps de fonctionnaires. La notion de technicien n'existait pas, mais les assistants d'observatoire disposaient d'un statut. J'ai connu la fin de cette période. J'ai commencé à venir à Paris en 1942. J'étais étudiant et il y avait encore des assistants ancien type, mais très vite on n'a plus nommé que des licenciés, des gens qui avaient des diplômes et le profil des assistants de fac.

La mesure de l'heure

On retrouve la même chose en Allemagne. Les universités allemandes s'étaient dotées à peu près à la même époque d'observatoires. Comment expliquer ces développements? A cause de besoins pratiques évidents. Pourquoi Louis XIV et son collègue le roi d'Angleterre ont-ils créé en même temps des observatoires à Paris et Greenwich? C'était pour connaître mieux la terre, pour faire des cartes avec des arrières pensées très pratiques, la navigation. Puis s'est greffé le problème de l'heure. Pour les astronomes, l'horloge est aussi importante que la lunette. Toute observation astronomique est un rendez-vous. En plus, une branche de l'astronomie concerne l'étude des mouvements célestes. Si on considère les instruments de l'astronomie, on y trouve autant d'horloges que de lunettes. Ainsi, aux origines des observatoires de Greenwich et de Paris, on passait beaucoup de temps - en particulier chez les anglais - à développer les instruments horaires. Les astronomes travaillaient sur les manières de déterminer l'heure avec précision puis de la conserver et ces besoins ont pu occuper les observatoires pendant deux siècles. Ils ont disparu il y a une vingtaine d'années, depuis que la physique permet de mesurer le temps grâce à des fréquences extrêmement stables et beaucoup plus précises. Quand j'étais jeune, les gens qui entraient ici, étaient quasi automatiquement voués à s'occuper de l'heure, c'est à dire à suivre la marche des horloges ou à recevoir des signaux horaires par radio. C'était une activité de service public. Quand je suis devenu l'adjoint de Jean-François Denisse à l'Obervatoire de Paris en 1964, avant de lui succéder en 1967 lorsqu'il est parti au CNES, on a vu les problèmes de l'heure passer  des mains des astronomes dans celles des physiciens. Bien sur, les problèmes de l'heure nous préoccupent toujours, mais plutôt en relation avec l'étude de la rotation de la terre avec le problème géophysique des irrégularités et celui de la détermination des plans de référence fondamentaux pour la mécanique céleste. Il y a un deuxième facteur qui explique l'organisation précoce de l'astronomie. N'oubliez pas que lorsque on a fondé les Observatoire de Paris et de Greenwich, il y avait peu de temps qu'Isaac Newton avait fait ses travaux. Il y avait donc un très grand besoin de développer l'analyse mathématique et les grands mathématiciens du XVIIème, XVIIIème siècle, étaient liés aux astronomes, comme aux académies des sciences. L'astronomie est donc une discipline qui s'est organisée très tôt, mais ce qui a aussi rendu les astronomes très conservateurs.

L'astrophysique

Dans les années trente, une nouvelle discipline, l'astrophysique, était en plein développement. Née au début du siècle grâce elle avait bénéficié du développement de certaines techniques, comme la spectroscopie. Dans les années 1930, elle était en plein essor aux Etats-Unis à la suite de la mise en service  d'un télescope de 2,50 m d'ouverture au Mont Wilson. Mais les astronomes français ont eu du mal à prendre le virage vers l'astrophysique et c'est là que le CNRS a joué un rôle absolument fondamental.
Quand je suis arrivé à Paris, il y avait un petit groupe animé par Henri Mineur, un mathématicien qui a été mon premier patron de thèse. Il avait des problèmes compliqués, notamment de santé, mais ce petit groupe avait le vent en poupe car il était lié au Front Populaire....  Outre Mineur, il y avait un type plus âgé qui s'appelait Daniel Chalonge et Daniel Barbier. Quoique mathématicien, Mineur s'intéressait à des problèmes assez nouveaux de structure galactique, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je l'avais choisi comme patron. Pendant la guerre, il était compliqué de le rencontrer, il avait une activité clandestine. Il donnait des rendez vous dans son appartement à Montmartre... Chalonge était physicien ainsi que Barbier. Tous les trois étaient astronomes à l'Observatoire de Paris, mais ils n'étaient pas soutenus par le directeur Ernest Esclangon. En fait leur groupe était davantage rattaché à l'ENS qu'à l'Observatoire. Ils avaient quelques locaux dans le vieux bâtiment de l'Observatoire, mais ils étaient le plus souvent rue Lhomond. Esclangon était un septuagénaire au moment de la guerre et il a pris sa retraite en 1945. C'était un homme qui apparemment n'avait pas saisi l'intérêt de l'astrophysique. Quand je suis venu à Paris et que je lui ai dit que je voulais préparer une thèse, il m'a dit: "pfffou... l'astrophysique!! Faîtes plutôt de la mécanique céleste!"  Je crois qu'il a fait cette réflexion à tout le monde ou presque. Il ignorait cet aspect de l'astronomie et dans son cours que j'ai suivi, il n'en parlait pas.
Parallèlement, le directeur de l'Observatoire de Strasbourg, André Danjon, avait constitué dès le début des années 1930 un autre groupe, plus officiel, dont faisait partie le directeur de l'Observatoire de Lyon, Jean Dufay. Ce groupe était soutenu par le général Férrié  et par le directeur de l'Enseignement supérieur, Jacques Cavalier. Ce deuxième groupe avait élaboré un plan pour le développement de l'astrophysique en France. L'affaire était mure en 1936 et je pense que le succès des astrophysiciens est aussi lié aux relations très étroites qu'il y avait entre ces deux groupes et Jean Perrin qui fut sous-secrétaire d'Etat à la Recheche. Donc en 1936, les efforts conjugués du petit lobby 'Mineur-Barbier-Chalonge' et du groupe 'Danjon-Dufay' davantage introduit dans les circuits officiels autour du CNRS ont abouti à la création de l'Observatoire de Haute Provence (OHP) dont la construction a été confiée à Charles Fehrenbach et de l'Institut d'Astrophysique de Paris (IAP) à Henri Mineur. Quand j'ai commencé à Paris, tout était en chantier. Evry Schatzman pourrait en parler mieux que moi,  car il s'est caché à l'OHP. Schatzman, c'est le type qui est tombé du ciel, un jeune intelligent et enthousiaste qui a formé les premiers astrophysiciens après s'être formé lui-même. C'était un hyper rationaliste. Il a joué un rôle énorme, d'ailleurs probablement inconsciemment. Quand il a commencé à travailler dans le bâtiment de l'IAP, il devait avoir 25 ans, comme moi, mais je suis persuadé qu'il ne se rendait pas compte du rôle qu'il y jouait.
On peut donc dire que pour le développement de l'astrophysique en France, la création du CNRS a été un événement fondamental. C'est le CNRS qui a permis de développer cette discipline, grâce aux gros instruments. Mais il y a eu aussi la mise en place d'un corps de chercheurs et de techniciens. C'est le CNRS qui a fait que l'astrophysique ait pignon sur rue en France, qui a fait que ces jeunes chercheurs puissent être entendus, malgré le conservatisme du directeur de l'Observatoire. Certes il ne faut pas tout mettre sur le dos d'Esclangon, mais il occupait une place où il pouvait bloquer des choses. En 1945, lorsqu'il a pris sa retraite, André Danjon lui a succédé et Mineur a été nommé directeur de l'IAP.

André Danjon

Avec Danjon, on était sous une forme de despotisme et c'est comme cela que je suis allé à Besançon en 1945. J'avais alors 24 ans. Son influence a été profonde. Si je n'ai pas été son étudiant au sens universitaire du terme, d'une certaine manière il a été mon professeur. Il n'y avait pas beaucoup de postes, mais il en trouvait toujours pour les membres de son écurie. Les plus anciens comme Charles Fehrenbach à Strasbourg, avaient été ses étudiants. Voilà comment l'astronomie était dirigée. Nous avions confiance en lui, ce qui était un facteur de cohésion remarquable, mais il ne nous ménageait pas. Je me suis fait engueuler plusieurs fois, mais on savait que ça ne durait pas et que ça ne laissait pas de traces. En réalité André Danjon effrayait bien plus les gens de son niveau, comme Pierre Jacquinot le directeur du CNRS. Là, il pouvait être insupportable. D'abord il n'admettait pas de participer à une commission sans la présider, ce qui fut le cas dans la section du CNRS pendant de nombreuses années avant que Jean Coulomb ne lui succède. 
Quand j'étais jeune, on allait à l'observatoire de Meudon une fois par an, mais il y avait beaucoup plus de personnel ici à Paris. Les choses ont changé quand Danjon est arrivé, on ne pouvait pas construire à Paris. A Meudon, c'était plus facile et André Danjon a commencé à construire, puis Jean-François Denisse a continué. Il y avait une bonne tradition d'astronomie solaire à Meudon. La première Union scientifique internationale y a été créée dans les années 1890, tant il est vrai que les astronomes sont plus ouverts sur le plan international, que national. L'observatoire de Meudon où l'on s'est très vite spécialisé dans l'observation du soleil avec Jules Janssen  avait mis au point une technique d'observation très astucieuse qui est d'ailleurs toujours employée. C'est ainsi que Meudon est devenu - et est resté - un centre mondial de coordination des observations solaires. Moyennant quoi, il y avait une masse de personnel à l'Observatoire ici à Paris, mais beaucoup moins de scientifiques qu'à Meudon. Tout mon labo est à Meudon, mais je suis resté à Paris. Quand je suis revenu de l'INAG  en 1979, les gens de Meudon m'ont dit de les rejoindre. J'ai répondu que je préférais rester à Paris, sinon ici, il ne serait resté que l'administration.
Au point de vue humain, la situation de Meudon me paraissait malsaine et elle explique vraisemblablement les événements de 1968. Il y a un problème sociologique des astronomes français. Ils sont à 50% enfermés dans un ghetto qui est l'Observatoire de Meudon. Ces gens sont mono disciplinaires ou presque. Ils passent toutes les heures de chaque journée ensemble. Ils arrivent le matin, ils mangent sur place, ils rentrent le soir et ça recommence chaque jour de l'année. Ce n'est pas sain au point de vue psychologique. En 1968, ils ont voulu ouvrir les portes. Ils souhaitaient que les gens voient comment les astronomes se débrouillaient bien, eux au moins. Il y a eu une assemblée générale permanente à Meudon pendant plusieurs semaines. La proximité de Billancourt énervait les masses. Mais vous savez, pour un ouvrier de chez Renault un astronome n'est pas un travailleur.

La carte du ciel

En tant que directeur de l'IAP, c'est moi qui fut chargé de  tuer le 'Service des mouvements propres stellaires'. La 'Carte du Ciel', c'est un vieux truc, certes un bon sujet intéressant du point de vue historique, mais finalement limité. Cette entreprise est née ici et on va fêter son centenaire en  1986. Je vous parlais tout à l'heure des assistants 'ancien type'. Il y en avait deux ici, Paul et Prosper Henry, deux frères qui se sont passionnés pour la photographie et qui ont construit un instrument destiné à  photographier le ciel. Ils ont obtenu des résultats qui ont soulevé l'enthousiasme du directeur de l'Observatoire de l'époque, l'Amiral Ernest Mouchez. Ce dernier les a encouragés et ils ont construit le premier astrographe, en tout cas celui qui a eu le plus de succès dans les observatoires. L'astrographe Henry était fabriqué dans le quartier dans un atelier d'instruments astronomiques.
 Les observatoires se sont donc partagés l'observation du ciel à réaliser avec ces astrographes. Mais ils avaient un tout petit champ, deux degrés d'ouverture, et vous imaginez le nombre de clichés à prendre, d'autant que chaque photo devait recouvrir au moins le quart de sa voisine. C'était une entreprise invraisemblable. Bref, une douzaine d'observatoires se sont donc partagés le ciel et ont pris les clichés. Cela fait, il fallait les mesurer et faire des calculs pour en tirer des listes de position pour des millions d'étoiles. Le but était de prendre des clichés à différentes époques et de suivre leurs déplacements, en mesurant leurs vitesses angulaires. Entreprise grandiose, les Français se sont enthousiasmés les premiers pour la méthode et ont équipé les Observatoires de Paris, Bordeaux, Toulouse et Alger. En 1887, c'est la fondation à l'Observatoire de Paris du 'Service des mouvements propres stellaires'. On a recruté une masse de hors statuts. Dans le bouquin de Henri Bouasse (Astronomie théorique et pratique, Delagrave, 1918), on mentionne "(ces) bataillons mâles et femelles de la carte du Ciel". Il y avait à Paris une petite équipe, essentiellement composée de dames qui mesuraient la longueur des clichés et faisaient des calculs. A la création du CNRS, on est entré dans une période favorable pour recaser ces dames dans des postes de collaborateurs techniques. On s'est donc trouvé dans ces observatoires avec des techniciens CNRS sans rattachement, c'est la raison pour laquelle on a créé un laboratoire propre qui s'appelait 'Service des mouvements stellaires' et qui était implanté en différents endroits.
Parallèlement, dans les années 1950, le Directeur de l'observatoire de Strasbourg, Pierre Lacroute, s'intéressait à la Carte du Ciel et au parti qu'on pourrait en tirer grâce à une série d'observations faites par des Allemands, avait mis au point une méthode permettant de la moderniser. Pour cela, il fallait informatiser les mesures et Lacroute m'a demandé de l'aider à défendre son idée et on est allé au CNRS. "D'accord, on vous donne des crédits, mais quand la manip sera finie, on ferme le Service des mouvements stellaires". Autant que je m'en souvienne Pierre Jacquinot avait ajouté: "on va vous nommer président du comité de direction de ce service, mais à la fin de votre mandat il ne devra plus y avoir de labo." Il y a donc eu deux opérations parallèles, la première, scientifique,  a consisté à mettre toute la carte du ciel sur informatique et à faire les calculs que Lacroute avait projetés, ce qui a été mené à bien dans les délais voulus. La deuxième, plus administrative, a consisté à prendre le train pour aller dans les observatoires expliquer que l'on ne pouvait pas arrêter le progrès et que l'astronomie comportait d'autres activités qui renouvèleraient leurs fonctions. J'ai été bien reçu partout, même ici par les dames de l'Observatoire de Paris, mais Paul Couderc son responsable est parti lorsqu'il a pris sa retraite sans me dire au revoir, définitivement fâché. Il n'avait pas fait de recherche et il ne savait pas bien exactement à quoi servaient les mouvements propres, mais il savait bien les "emballer". Paul Couderc était entré à l'Observatoire au lendemain de la guerre, professeur de taupe, normalien, et il a fait énormément de bouquins et de conférences de vulgarisation. De plus, il avait du style, il écrivait très bien. C'était le Hubert Reeves de l'époque si l'on veut. Il me reprochait donc d'avoir cassé une équipe bien soudée et, quoique ancienne, de haut rendement. En fait, les dames étaient très heureuses. Il y en a eu une qui est devenue mon assistante. A Meudon, il y a une ingénieure informaticienne qui vient de cette équipe, il y en a enfin deux ou trois qui ont pris leurs retraites. Maintenant qu'on va disposer du satellite astrométrique Hipparcos (HIgh Precision PARallax COllecting Satellite) de l'Agence spatiale eureupéenne, l'opération Lacroute va être valorisée. Il y a là une dynamique étonnante pour ce genre d'astronomie, bâtie sur un programme vieux de 30 ou 40 ans et qui trouve là sa revalorisation.

La radioastronomie

 Curieusement, le CNRS est moins intervenu dans l'apparition de la radioastronomie. Il y a eu de nouvelles difficultés des astronomes pour accepter le virage. La radioastronomie est née à l'Ecole Normale Supérieure, du fait d'un petit groupe animé par Jean-François Denisse qui travaillait dans le labo d'Yves Rocard. Cependant André Danjon a considéré qu'il était inconcevable que la radioastronomie se développe en dehors des observatoires et il a tout fait pour que l'Observatoire de Paris la récupère. A la fin des années 1940, on a décidé de faire le centre de Nançay et Danjon s'est inscrit dans le projet de Rocard. L'ENS avait acheté le terrain dont elle est toujours propriétaire. Quant à l'équipement scientifique, il était pris en charge par l'Observatoire de Paris avec des crédits de l'Enseignement supérieur. Danjon, quoique très ouvert scientifiquement, s'inscrivait malgré tout dans la tradition universitaire. Il considérait que les observatoires devaient rester des institutions universitaires, mais on se rendait compte qu'un très gros investissement dans le cadre de l'Enseignement supérieur - en fait l'administration de l' Observatoire de Paris -  constituait une véritable gageure et l'idée a germé de créer une sorte d'agence spécialisée. Jean-François Denisse qui avait supervisé la construction du grand radiotélescope de Nançay et qui commençait à construire un téléscope de 3,50 m., s'est rendu compte qu'on ne pouvait pas continuer avec les procédures antérieures. J'ai participé à l'affaire et nous avons imaginé un Institut National d'Astronomie. Mais à quoi le rattacher? A l'époque, J.-F. Denisse était membre du CCRST et il est apparu que le meilleur rattachement était le CNRS. Ce projet est à l'origine de l'Institut national d'astronomie et de géophysique (INAG) qui regroupait des établissements universitaires, mais avec une organisation CNRS.

L'Institut national d'astronomie et d'astrophysique (INAG)

En 1965-66, initialement l'INAG était conçue selon la terminologie actuelle comme une agence d'objectifs, I.e. un organisme disposant des structures nécessaires pour la construction de gros instruments. Quand on a présenté ce projet au ministère des Finances, on nous a dit : "d'accord , mais vous gérerez aussi les conventions de recherche ". A l'époque les observatoires et les instituts de géophysique travaillaient avec un grand nombre de conventions, en particulier avec le Centre national d'études spatiales (CNES), mais qui étaient gérées en dépit du bon sens. En particulier il y avait trois ou quatre cent hors-statuts qui se promenaient dans divers établissements. Les Finances ont estimé que l'INAG était un bon moyen de remédier à cette situation, moyennant quoi l'organisme est devenu un établissement  plus important que ce qui avait été prévu à l'origine. En plus de la division technique, nous avons dû mettre en place une administration gestionnaire.
Initialement il n'y avait que l'astronomie à l'INAG, mais les géophysiciens ont très vite demandé à en faire partie. Jean Coulomb en particulier, par attachement aux astronomes et parce que les géophysiciens qui avaient des préoccupations comparables étaient habitués à travailler avec eux. Mais il y avait aussi Jacques Blamont qui était en train de développer un gros labo à Verrière (Aéronomie) et qui estimait que l'Institut pouvait représenter une bonne tutelle pour la partie spatiale.
 J'ai été Directeur de l'INAG en 1971 et c'est vers 1975 je crois que Bernard Grégory a proposé que le Directeur de l'INAG soit en même temps le Directeur scientifique du département TOAE (Terre, océan, astronomie, espace) du CNRS. Auparavant, il avait été décidé que l''INAG, première version, ne devait pas enlever au CNRS ses tâches de gestion des chercheurs et des labos. Il pourrait éventuellement créer des structures, mais pour un temps limité jusqu'à ce qu'elles soient reprises par les organismes en place et l'on n'avait pas tout touché au secteur du CNRS dont dépendaient l'astronomie et la géophysique. Wladimir Mercouroff était le directeur scientifique des TOAE et il avait des états d'âme que je n'ai pas envie de commenter. Il n'y avait donc aucune connexion avec l'INAG si ce n'est par le biais d'opérations scientifiques comme une ATP en géodynamique à laquelle les géologues se sont beaucoup intéressés, mais sans que leurs aient un lien officiel avec l'INAG. Vers 1975, Mercouroff a demandé à être déchargé de sa fonction et Bernard Grégory m'a expliqué qu'il souhaitait donner à la même personne la direction de l'INAG et celle du secteur TOAE. J'ai accepté et lorsque Petit m'a succédé, on a fait entrer l'ensemble du secteur dans l'Institut national des sciences de l'univers (INSU) en 1985.

De l'INAG à l'Institut national des sciences de l'univers (INSU)

Je n'étais pas très favorable à cette évolution qui nous conduisait à nous éloigner de la notion initiale d'INAG. D'autre part il n'était pas mauvais qu'il y ait deux directeurs à la tête de l'INAG, car il y a une question de temps au sens de nombre d'heures disponibles par jour et de jours dans l'année. Quand j'ai repris les fonctions de Mercouroff, j'ai décidé que je ne m'occuperais pas moins qu'avant de l'INAG et je me suis bâti un mode de vie qui s'est révélé totalement insupportable. Je ne voulais pas que les géologues soient lésés ou que les géophysiciens puissent croire que je les trahissais. Il aurait fallu reprendre l'idée de deux instituts. C'est une idée que nous avons essayée de pousser Denisse et moi à l'époque où l'on a commencé à parler d'INSU. On aurait créé un Institut des sciences de la terre en laissant l'INAG à côté. Cet institut se serait occupé des sciences de la terre et de l'océan, avec un transfert d'un peu de géophysique en provenance de l'INAG, la géophysique interne par exemple. Ce projet a été barré. Je pense que le CNRS avait la volonté de ne pas créer de nouvel institut national. Le problème est la crainte de son éclatement. Je me rappelle que l'une des objections faite par certains au moment de la création de l'INAG, était que si notre exemple était suivi, on pouvait craindre l'explosion du Centre.
Ce qui m'a étonné à l'époque, c'est qu'on a fait avec l'IN2P3 ce que nous ne voulions pas faire avec l'INAG. Puisqu'on a tout donné à l'IN2P3, la politique scientifique, les grands moyens et la gestion. Il est vrai que le secteur est quand même très étroit, c'est la physique nucléaire et des particules. Lorsque Bernard Grégory a fait sa réforme, je le lui avais d'ailleurs proposé de transformer l'INAG sur le modèle de l'IN2P3, c'est à dire en considérant dans le CNRS le secteur géophysique astronomie au sens de l'INAG. Il était difficile pour les sciences de la terre de faire le découpage entre géophysique et géologie. La géologie a son avenir dans sa capacité à évoluer vers la géophysique, autrement dit de passer du stade des sciences naturelles à celui de la physique, une évolution qu'elle a entrepris dans certains secteurs, en particulier depuis qu'on dispose des méthodes qui permettent d'étudier la tectonique des plaques.

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