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Entretien avec Jacques Sevin
M. Connat, J-F. Picard, 3 fév 1992
Vous avez participé à la direction du CNRS
Je suis arrivé au CNRS fin 1980 pour prendre la Direction de la
stratégie et des programmes (DSP). Le principe de l’organigramme est
assez simple. Au CNRS, il y a un échelon direction générale qui
représente, disons par assimilation un holding, et des directions
opérationnelles qui sont les départements scientifiques (DS). Leurs
directeurs sont à la tête d'une structure autonome et à la tête de
laboratoires. Ce sont les sept départements scientifiques, ce sont les
directions opérationnelles. L'échelon central, la direction générale
qui assure la cohésion de l’ensemble s’appuie sur deux sous ensembles,
la Direction stratégique et le Secrétariat général.
Au DSP, tout ce qui concourt à la définition de la politique du
CNRS, tout ce qui concourt aux arbitrages de répartition des
moyens entre les différents éléments et tout ce qui concerne les
aspects plurisectoriel chaque fois que des départements collaborent
dans des programmes communs. Au SG, tout ce qui relève d’une
administration performante en termes de gestion des moyens, de
formation permanente, de ressources humaines, de systèmes
informatiques, valorisation, communication, etc. Cela aboutit à un
schéma discutable où chaque département pèse du même poids avec des
difficultés d’arbitrages budgétaires concernant la coordination des
activités inter-départementales (programmes interdisciplinaires,
politiques de grands investissements scientifiques et informatiques).
Quelles différences avec les autres établissements publics ?
Cet organigramme diffère de ceux d'autres organismes comme celui du CEA
où il y a un directeur de la stratégie et de l'évaluation qui n'a pas
les mêmes fonctions que moi au CNRS. Au CEA, il interfère d’avantage
sur l'évaluation des programmes en aval, mais il a moins de
responsabilités budgétaires. Quant à l’Inserm, on peut le considérer
comme l’équivalent d’un département du CNRS. Comme au CNRS, à l’Inserm
il y a des départements administratifs qui s'occupent de l'évaluation,
des affaires financières, du personnel, des missions de relation
internationale, de communication et valorisation, mais il n'y a
pas de départements scientifiques puisque l’Inserm est un département
scientifique en soi.
A l’Inserm un conseil scientifique chapeaute des commissions scientifiques spécialisées
Nous parlions des structures exécutives. Au CNRS, comme à l’Inserm, les
structures comité national ou commissions n’ont pas cette vocation.
Mais il y a effectivement des différences. Il me semble qu’il y a moins
d’interventionnisme individuel dans les CSS de l’Inserm que dans les
commissions du CNRS. Il doit d’agir d’une différence de culture. Cela
dit, il est vrai que le conseil scientifique de l'INSERM a un rôle
d'orientation, de prospective et que ses avis font autorités. Soit dit
en passant il est intéressant de constater qu'à partir de principes et
de textes très semblables – la loi de 1982 sur les EPST – on aboutit à
des solutions différentes, mais l’on peut dire qu’il y a derrière cela
la forte personnalité de Philippe Lazar.
Une différence de vocation
L'INSERM a certes une vocation santé humaine, mais derrière une
postulat en vigueur depuis quinze ans au moins, I.e. depuis Constant
Burg, qui considère que la recherche en santé humaine s’appuie sur les
avancées fondamentales en sciences de la vie. Bien sûr, il remplit
aussi des missions qui relèvent de la recherche clinique, mais elles
restent extrêmement minoritaires.
Suivant la position très volontariste
de Philippe Lazar, le positionnement de l’Inserm est identique à celui
du CNRS. Son hypothèse est qu’il n'y a pas d'autre voie vers la santé
que de développer la biologie fondamentale. Il y a identité absolue
entre ce que fait le département des sciences de la vie au CNRS et
l’INSERM en dehors du végétal et d'un certain nombre de choses que ne
fait pas ce dernier.
Comment coordonner les établissements scientifiques?
On a discuté de ce problème avec
François Kourilsky (DG CNRS) et Philippe
Lazar (INSERM). J'ai aussi rencontré le directeur de l'INRIA, Alain
Bensoussan. En ce qui le concerne, son positionnement est complètement
différent. Le positionnement de l’INRIA est complémentaire, un peu aval
par rapport à celui du CNRS. L’INRIA n’assume pas le substrat de la
recherche fondamentale qui lui est utile et, au contraire, a besoin du
CNRS pour la faire. Dans le cas de l'INSERM, c’est différent. Il faut
rappeler que le passage de l’INH à l’INSERM se justifie sans doute par
le fait qu'il y ait eu création d'une agence spécialisée, ce qui
correspondait à la volonté de gens comme
Pierre Royer. C’est le moment
où apparait le concept de recherche biomédicale, le moment où les
médecins ont été en quelque sorte, non pas battus, mais où s'est
imposée l'idée que la biologie moléculaire modifiait les sciences de la
vie.
En matière de recherche médicale, Philippe Lazar fustige les empiètements du CNRS sur l’INSERM
Le CNRS n'a jamais dit qu'il abandonnait le terrain de la recherche
médicale et comme cela se fait dans un climat de franche camaraderie,
le DSV Claude Paoletti a noué des conventions avec les centres
hospitaliers pour bien marquer la présence du Centre. Reste que la
question se pose. L'avenir va nécessairement marquer une évolution,
mais dans quel sens? A mon avis Lazar a tort s'il pense qu'il est
logique qu'un institut national prenne toute la responsabilité dans tel
ou tel domaine. Il y a différentes types d'organisation comme en
Angleterre où il y a des research councils sectoriels. Un autre type
consiste à agglomérer différentes domaines comme le fait le CNRS. Un
troisième type consiste à dire que si on fait des métiers
complémentaires, on peut devenir des partenaires dans des actions
conjointes. Mais Lazar a du mal avec la mixité! Alors qu'au CNRS, on a
la mixité décontractée depuis très longtemps. Il est vrai que
l'organisme est chargé de recherche fondamentale, on peut créer autant
d'INRA et de CSTB que l'on veut, cela ne l'ampute en rien.
Comment voyez-vous le rôle du Comité national?
Je crois qu'il y a plus de séparations au CNRS qu'ailleurs entre
l'exécutif et le consultatif. Le Comité national est statutairement
consulté sur les créations d'unité, sur les promotions de chercheurs.
Il émet des avis, mais si la direction du CNRS est obligée de le
consulter, elle n'est pas obligée d'en tenir compte. Elle peut inverser
les ordres du comité national. En fait, la relation entre l'exécutif et
le consultatif relève de la pratique. Il n'y a qu'un seul cas où la
direction ne peut pas inverser les avis, non pas du comité national,
mais dans celui des jurys de recrutement. Mais quand les sections
siègent pour un jury elles ne le font pas dans le cadre du comité
national. En définitive, c'est le directeur général qui nomme ou qui ne
nomme pas. Dans un classement il y a le un, le deux, le trois, etc. Le
directeur du CNRS peut nommer le numéro un, c'est tout, mais il ne peut
pas nommer le numéro un et le numéro trois sans nommer le numéro deux.
Sinon il y aurait des recours liés au statut de la fonction publique.
Le rôle des sections du comité national
Sur l'évaluation des labos, je n'en sais rien. A mon niveau, je
n'interviens pas directement et j'entends dire qu'ils ne font pas mal
leur travail. Reste qu'on leur adjoint d'autres structures,
comités scientifiques, ex-comités de direction des laboratoires.
Néanmoins, l'examen dans les commissions est considéré dans l'ensemble
comme d'inspiration conservatrice, c'est-à-dire assurer la normalité de
la discipline. L'aspect stratégique, c'est autre chose. Le Comité
national n'a jamais eu à définir une stratégie, son rôle se cantonnait
à l'analyse de la conjoncture scientifique. Je ne sais pas si à
certains moments on considérait qu'il devait définir des politiques
scientifiques, mais on n'a jamais dit qu'il devait en sortir une
stratégie pour le CNRS.
Le rapport de conjoncture scientifique
Je vais avoir à relancer le rapport de conjoncture, autrement dit
d'analyser ce qu'était la demande des pouvoirs publics à l'origine de
cette demande. Le terme rapport de conjoncture est assez vague. Comment
l'expliciter? C'est une question que je me suis posée encore récemment
puisqu'on aborde un nouveau comité national. Il me semble que l'on
aborde aujourd'hui le rapport de conjoncture comme "on vous demande de
nous dire où en est la science dans vos domaines et quelles sont les
grandes lignes de force scientifiques". Je ne crois pas qu'on y mette
explicitement des connotations d'arbitrage et cela facilite le travail.
Les choix stratégiques ne sont-ils pas le fait des départements
scientifiques? Aujourd'hui Claude Paoletti a une politique assez
volontariste consistant à soutenir la génétique et la biologie
moléculaire
Pas du tout! il vous en voudrait beaucoup de dire ça. Le temps du
réductionnisme est paraît-il passé. On en vient désormais aux ensembles
organisés. Paoletti a atténué la tendance de ses prédécesseurs, le
réductionnisme triomphant c'était Jacques Demaille.
Mais si le dossier est confié au Comité national, vous allez voir tous les botanistes, les zoologistes pleurer misère
Je le sais bien, mais comment aborder le problème. On a fait un certain
détour la dernière fois. On a abordé le rapport de conjoncture de façon
transverse avec l'adoption de vingt deux thématiques autour desquelles
devait s'organiser le rapport de conjoncture. Parmi tout ce qui bouge
actuellement ce qui me frappe le plus ce sont les dynamiques
régionales. J'ai connu la période des administrateurs délégués. Je les
connaissais tous, mais je ne travaillais pas avec eux, puisqu'en tant
qu'administration déconcentrée ils me fournissaient des renseignements
que je demandais et c'est tout. C'était l'époque où la vogue en
management était de croiser les structures fonctionnelles,
opérationnelles, la comptabilité analytique, etc. Mais je me demande
s'il n'y a pas là l'origine des plus grands déséquilibres dans le
budget. Je trouvais singulier que l'évolution du CNRS soit appréciée en
francs courants et à taux constant. Tout se passait comme s'il y avait
15% par an à distribuer. Quand il y avait 10% d'inflation, il restait
5, quand il y avait 5% d'inflation il restait 10! Si on regarde la
structure sectorielle du CNRS, on avait un budget SDV en 1989 de 27,
84%, en 1976 de 28,85%, en 1970 de 28,94%! Soit une structure
sectorielle immuable.
Les réformes au profit d'une logique d'orientation (PIR, ATP,...) ont été dénoncées par le Comité national
Pas trop au départ, mais c'est vrai par la suite. Reste qu'il me semble
normal que l'exécutif du premier organisme de recherche fondamentale en
Europe prenne du poids. Tel est en tout cas l'analyse du directeur
général du CNRS, François Kourilsky. Elle garantit en même temps le
l'unité de l'institution. Il est vrai qu'il y a des forces centrifuges
en interne pour départementaliser le CNRS, qui poussent pour doter les
départements du maximum d'autonomie. Mais il n'est pas mauvais de les
contrer par certains des atouts de l'organisme, c'est-à-dire l'effet de
taille et l'omni-disciplinarité. Les développements de la science se
font toujours lorsque l'on réunit plusieurs spécialités. Plus on mêle
les disciplines entre elles, plus on révèle le génie propre du CNRS et
plus on va dans le sens de l'histoire des sciences. Il faut parfois
passer par l'échelon quai Anatole France pour associer les milieux
scientifiques. Et je peux vous dire que si quelqu'un à cela en tête,
c'est François Kourilsky qui cherche toutes les occasions pour ne pas
bâtir la politique du CNRS uniquement avec les gens qui travaillent au
siège.