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Entretien avec Lucienne Plin

Jean-François Picard, 1 juil. 1986 à Saint Maurice (source : https://www.histcnrs.fr/temoignages.html)


Quelles sont les circonstances de votre recrutement au CNRS madame Plin?

Je suis entré au CNRS en 1946. J'étais auparavant à la Direction de l'enseignement technique au ministère de l'Education. Avant cela j'étais professeur de sciences naturelles et j'avais fait des suppléances au Lycée Racine sous l'Occupation. Je fus ensuite nommé au Lycée de Versailles, mais quand il y eu le bombardement sur la ligne Billancourt, ça n'a pas été drôle, transfert en autocar, alerte qui sonne quand on reprend le train... Je me suis dit que je ne revivrais jamais une deuxième année pareille. Il y avait un emploi de rédacteur vacant au ministère et je me suis dit, je vais essayer trois mois. Je suis donc devenue rédactrice, puis administrateur civil.  C'est là que j'ai rencontré Georges Teissier qui était devenu Directeur du CNRS. Il avait dirigé le laboratoire de Roscoff et lorsque j'avais fait mon certificat de zoologie, il avait été mon professeur.  Je me souviens qu'il portait des chaussures pendant qu'on faisait les marais pour chercher des coquillages. J'étais très bien avec lui. On allait danser chez lui tous les soirs. Je connaissais Madame Teissier et ses trois filles... Donc, il me demande :  "Que faites-vous là ?
- je fais les comptes.
- Vous n'allez pas rester là dedans. On ne m'envoie que des juristes qui ne me servent à rien et j'ai besoin de quelqu'un pour s'occuper des commissions du Comité national ".  Le lendemain j'étais recruté et je suis restée 32 ans au CNRS.

Le secrétariat du Comité national de la recherche scientifique

Quand je suis arrivée au CNRS, aucun fichier ne donnait les noms des membres des commissions du Comité national. Je suis arrivée au mois de juillet 1946 et j'ai dû les convoquer en octobre pour la seconde session de l'année. Je ne savais donc pas qui faisait partie des sections. Jacqueline Peyroutet me disait qu'il lui semblait qu'untel était à telle section, alors je lui téléphonais: "voilà, je remplace madame Mineur qui est partie sans laisser de fichier, est-ce que vous pourriez m'aider? Est-ce que vous pourriez me dire qui, d'après vos souvenirs, fait partie du Comité national? " A l'époque, les membres étaient nommés puisqu'il n'y avait pas eu d'élections. Bref, j'ai pu reconstituer le Comité national, surtout auprès des présidents que je connaissais.

Quel était le statut des premiers employés des services centraux?

Il n'y avait pas de statut. Le personnel administratif était composé de fonctionnaires qui avaient été détachés par leurs administrations. Certains sont restés toute leur vie détachés. Moi, je n'étais pas détachée parce que le CNRS était déjà une direction de l'Education nationale. L'organisme était la seule direction qui avait une autonomie financière  - on avait un contrôleur financier particulier, ce n'était pas celui du ministère - et un agent comptable particulier.
On m'a installé dans le bureau de Joliot avec ses deux chaises, son fauteuil tournant et ses deux fauteuils en cuir. J'étais très fière. Joliot occupait le bureau de la rotonde, avec les deux fenêtres sur la Seine. Ce bureau a toute une histoire. Je suis arrivée un matin et tout le mobilier était remplacé par des meubles en formica. Le chef du service intérieur, Le Metayer, n'était pas quelqu'un de très ouvert et quand il a vu que je préférais le mobilier de Joliot à ses meubles en formica. Horrifié par ma demande, il a fait remonter ces "horreurs" du sous-sol. Quand je suis partie à la retraite, mon fils Frédéric a été nommé à l'Administration déléguée et grâce à Pierre Creyssel, j'ai pu lui en faire récupérer une partie. C'est un mobilier que Joliot avait fait faire pour lui. Si vous voulez venir le voir, il est aujourd'hui dans ma salle à manger.

Quel souvenir avez vous de Georges Teissier comme directeur du CNRS?

Assez peu, il n'est pas resté très longtemps. C'était un protestant assez rigide. Au moment de sa destitution, en 1950, j'avais fait circuler une pétition contre son départ. J'avais recueilli plusieurs milliers de signatures. On m'a délégué Monsieur Farral, administrateur du Collège de France, qui est venu au CNRS me prier de garder ma pétition. Ce que j'ai refusé. Monsieur Teissier ne voulait pas renier son parti, c'était un homme intègre.

Gaston Dupouy lui succède en 1950

Après un long intérim car nous n'avons pas eu de Directeur pendant six mois. Joseph Pérès, le Directeur adjoint, me disait de faire pour le mieux. J'ai donc organisé les élections du Comité national en quatrième vitesse et le 2 mai 1950, je réunis tout le monde à la Sorbonne. J'avais Jacqueline Peyroutet dans une section, Madame Gigon dans une autre, etc... et moi je me promenais entre toutes les sections. J'arrive en physique et je vois un tout petit monsieur qui me dit : "Madame, je n'admets pas que l'on fasse des réunions le 2 mai parce que le 1er, les provinciaux ne peuvent pas venir.
- Monsieur, je n'ai pas de directeur depuis six mois, j'ai fait pour le mieux.
- Et bien Madame, maintenant vous avez un directeur. C'est moi".
La nomination de Gaston Dupouy a jeté un froid, du moins entre le nouveau directeur et moi puisque j'avais pétitionné pour Teissier. Pendant deux mois il m'a tenu la dragée haute. Puis au bout de deux ou trois mois, quand il s'est aperçu que je n'avais pas gardé de contacts clandestins avec Teissier, qu'il a compris que les solutions que je proposais n'étaient pas inspirées par son prédécesseur et il a commencé à me consulter pour tout.
En fait, monsieur Dupouy a été un très bon directeur du CNRS, ce qui n'a pas été le cas de tous ses successeurs. Il voyait tout. Il travaillait énormément. Il a été le meilleur de nos directeurs au point de vue humain. Il avait une chaufferette sous les pieds dans son bureau et quand Frédéric, mon fils, était petit et qu'il le prenait sur ses genoux, il disait: "qu'est-ce que c'est le monsieur qu'il a sous les pieds, maman? " Il me rapportait des calissons quand il allait à Aix, j'étais au mieux avec lui. Il est mort en 1984. J'ai eu des remords. A Noël je me suis dit que je ne lui avais pas envoyé ma carte de vœux et la photo de ma petite fille. Tous les ans il la voulait pour la mettre sur son bureau à Toulouse. Il répondait toujours par une lettre de quatre pages. Quand il venait à Paris il venait dîner chez moi avec madame Dupouy.

Dupouy est responsable de l'agrandissement du siège du CNRS quai Anatole France
 
Un jour son adjoint Champetier entre dans mon bureau: " je viens de la commission de reconstruction. On va démolir votre rotonde, celle de l'ancien immeuble du 13 dans laquelle se trouvait mon bureau.
-Démolir ma rotonde!? Le jour où on fait ça, moi, je m'en vais! " Champetier m'explique qu'il a été obligé de céder pour qu'on ait le droit de construire l'immeuble à côté. On a laissé glisser et on peut le constater,  ma rotonde est toujours là.

Comment fonctionnait le CNRS à l'époque?

Il y avait plusieurs Bureaux. Celui de monsieur Rivière était chargé de je ne sais pas exactement quoi. Il est parti pas très longtemps après mon arrivée. J'avais en charge tout le Comité national et les nominations des chercheurs ainsi que les créations des postes d'ITA. Mais je ne gérais pas ce personnel qui relevait d'un autre Bureau dont s'occupait Charles Gabriel. J'allais donc à toutes les commissions du Comité national qui donnait les subventions pour matériel, pour publications et les missions. Je ne faisais pas les ordres de missions ni les achats de matériel que je transmettais aux autres services une fois la décision prise. Mais  mon Bureau avait une fonction clé puisque c'était là que tout se décidait. Les Commissions proposaient, mais évidemment il y avait quatre fois plus de propositions que d'argent. Le Directeur devait donc choisir, et il le faisait d'après les dossiers que je lui avais préparés. Je faisais classer les demandes par les Commissions. Pour les propositions de recrutement des chercheurs, je leur faisais classer les candidatures en leur affectant une priorité de numéros de 1 à 20. Mais il y avait des commissions qui avaient mauvais caractère et qui me présentaient vingt ex aequo. Je leur disais puisque c'est ainsi, vous n'aurez rien. Ils finissaient alors par en classer cinq ex aequo, puis les autres après, ce n'était pas toujours facile.

Vous avez participé à la mise en place du statut des ITA en 1952

Ne m'en parlez pas, j'y ai même travaillé dans le train en allant aux sports d'hiver, dans notre projet, après son passage à l'Education nationale et aux Finances, il ne restait rien de nos propositions, mais on ne pouvait pas continuer sans règles pour donner une promotion d'échelons ou de classe... On m'avait demandé de préparer
un statut et j'avais consulté les instances avant de rédiger un texte revu par la Direction, le Directoire. C'est le statut des chercheurs qui présentait des difficultés, pour les techniciens il n'y avait pas de problème. Il était prévu deux statuts distincts, pour les chercheurs et pour les techniciens (ITA). Il y avait du personnel administratif dans les labos et on présentait en bloc leurs promotions en commissions paritaires qu'ils soient en physique, en chimie ou ailleurs. Quand Lefort s'en occupait,  il refusait de préparer des tableaux par sections, pas pour les administratifs, mais pour les techniciens. Il les présentait tous en 3A. Je lui disais qu'un 3A en SHS il fallait le signaler, on ne convoque pas les mêmes représentants du personnel, ni de l'administration, pour les lettres et pour la physique.

Quelles étaient les fonctions du directoire?

Il intervenait pour harmoniser les propositions des sections. Parfois on hésitait pour savoir si il fallait mieux nommer six chercheurs en physique corpusculaire et cinq en électronique ou vice versa. Pour ces cas litigieux, on demandait son avis au Directoire afin d'éclairer la direction générale. J'expliquais par exemple que dans une section, on avait classé quelqu'un cinquième au printemps, mais qu'il était important de le recruter maintenant parce qu'il serait détaché de l'enseignement en octobre.

On imagine que les présidents de commissions devaient faire votre siège...

Evidemment. De même pour les publications, on m'envoyait tout de suite le premier exemplaire dédicacé. Mais leur comportement dépendait beaucoup des présidents de commissions. Ainsi en médecine, c'était toujours agréable, sauf lors d'une séance particulière dont je garde un souvenir particulier. C'était l'époque où Delbarre était Président. J'avais un abcès dentaire et ils m'ont proposé un médicament que je prends sur leur indication et ...je me suis réveillée à cinq heures et demi après avoir dormi toute la journée... Bien entendu, ils avaient classé leurs propositions pendant ce temps là. Quand je me suis réveillé, j'ai dit "bon, maintenant il n'y a plus qu'à recommencer" et on a terminé la séance à onze heures du soir. Ils m'avaient droguée!

La section de médecine était auparavant entre les mains de Louis Bugnard le directeur de l'Institut national d'hygiène

Le CNRS leur a donné des crédits pour embaucher des chercheurs après 1946 et il a fallu que je sépare mes chercheurs de la section de médecine en deux, ceux qui allaient à l'INH et ceux qui restaient au CNRS. Le critère, c'était la recherche pure chez nous et la recherche expérimentale chez eux. Mais en médecine le distinguo est souvent difficile à opérer. Ce qui a été plus lourd de conséquence pour le CNRS, c'est la transformation de l'INH en INSERM. Auparavant, grâce à Bugnard, il y avait une bonne osmose entre les deux organismes. Bugnard comme vous le savez avait la double casquette. En revanche, quand l'INSERM a été créé en 1964 ça a créé un nouveau concurrent pour le CNRS et c'était embêtant, parce que le secteur concerné était - à mon avis - l'un des plus intéressants, mais il ne faut pas que je dise ça devant les physiciens... En médecine, il y a beaucoup de patrons qui n'ont pas d'équipes et qui font de la recherche à l'hôpital. Quand on défendait aux médecins d'avoir de la clientèle si ils étaient chercheurs au CNRS, je le regrettais. Je disais qu'il valait mieux les laisser à mi-temps médecins et à mi-temps chercheurs. J'ai souvenir d'un cas précis. Nous avions un contrôleur financier qui s'appelait Bertin Moureu (?). Un jour il m'appelle: "Madame Plin, vous avez un directeur de recherches à plein-temps qui s'appelle Bernard Halpern?
- Oui
- Et bien, il fait de la clientèle.
- Vous m'étonnez, il a signé sur l'honneur sa déclaration disant qu'il n'en a pas.
- Montez-moi le dossier ". Je  le lui monte, pas le dossier scientifique auquel il n'avait pas droit, mais l'accusé réception et la partie comptable. Il m'explique qu'il a un fils asthmatique et qu'il a consulté le dr. Halpern, le premier spécialiste en allergie de France et c'est ainsi que l'intéressé a été passé à mi-temps.

Cette question des cumuls a suscité pas mal de remous dans l'administration

Vous pensez, et c'est moi qui les démêlais! Je me souviens d'un jésuite, le Père Legerme, astronome, qui touchait deux traitements. Quand je l'ai découvert, je l'ai dit en commission en sa présence. Il n'était pas content et on a échangé des propos peu amènes. Quand il y avait cumul, la règle devait  être de le déclarer. Ensuite, il fallait une limite. Ainsi beaucoup de chercheurs faisaient deux heures d'enseignement par semaine pendant un an. Mais à une condition, qu'ils nous le déclarent car le risque était que ces chercheurs enseignants fassent trop d'enseignement et moins de recherche.

En sommes, vous étiez le cerbère du Comité national

J'ai un souvenir. Il paraît que c'est de ma faute si un prix Nobel a été donné à un français parti aux Etats Unis, Roger Guillemin. Les journaux en ont parlé à l'époque. Je lui avais refusé je ne sais quelle subvention pour acheter des milliers de souris. Je l'avais fait parce que son patron, Robert Courrier, professeur au Collège de France, m'avait téléphoné en me disant qu'il n'en voulait plus chez lui. Guillemin était aux Etats-Unis pour finir sa thèse et il était revenu, espérant prendre la direction du labo. Il s'est très mal conduit, il a volé des papiers de son patron et les a publiés. Le résultat, c'est donc qu'on lui a refusé sa subvention de matériel et il est reparti aux Etats-Unis où il a eu son Nobel en 1977.
J'ai aussi eu des problèmes avec Jacques Monod. Un jour, à propos du classement des chercheurs de la section de médecine, j'avais signalé qu'on ne pouvait pas les prendre tous. Ils avaient fait exprès de mettre le nom du candidat de Monod en cinquième, le dernier. L'idée étant, Monod a le Nobel, on ne pourra pas rejeter sa demande. Or j'avais annoncé quatre postes et je leur ai dit :  "je vous préviens c'est quatre, et quatre ça ne fait pas cinq. "
Alors Monod : "Madame Plin, vous êtes une imbécile.
- Et vous monsieur, vous en êtes un autre ".
Ca a jeté un froid, mais tout le monde a applaudi.  Il y avait quatre postes, on ne pouvait pas leur en donner cinq. Si on leur en donnait cinq, c'est une autre section qui en avait un de moins, ce qui n'était pas juste. C'était dur. Mais ça a été résumé par une phrase qu'un représentant syndical à dit un jour à mon fils : " ta mère était vache, mais on la regrette parce qu'elle était juste ".  Dans les sciences humaines, il y avait des commissions comme celle de philosophie avec Gaston Bachelard, qui donnaient tout à tout le monde. Il y en avait d'autres qui étaient très strictes au contraire, comme celle de Mario Roques. Pour entrer au CNRS en linguistique, il fallait montrer patte blanche, il fallait drôlement travailler. Les autres, quand ils avaient discuté, le président disait: "maintenant taisez-vous, l'oracle va parler " et il se tournait vers moi.  Je disais à la section, "cette année , vous avez un maitre de recherches, mais vous n'en aurez pas d'autre pendant deux ans". Ceux eux qui proposaient un nom. Moi, j'avais fait le calcul sur un grand tableau que je présentais au DG. Je rappelais combien  il y avait de chercheurs en tout, combien j'en proposais cette année, mais sans les noms.

Ne vous est-il pas arrivé de subir des interventions pour l'embauche de chercheurs ?

Bien sur, il faut que je vous raconte ça. Mon fils Frédéric n'a pas eu de chance dans ses études. La première année je le mets à l'annexe de Charlemagne à Vincennes en 6ème. On lui fait remplir une fiche, profession des parents: mère au CNRS. Le lendemain son professeur de lettres dit à la classe: " ah, on va enfin savoir ce qui se passe au CNRS. Plin va nous faire un exposé ". Le surlendemain mon fils me dit:  "tu ne sais pas ce qu'il m'a dit, il m'a dit que deux fois il avait posé sa candidature au CNRS et qu'on ne lui avait même pas répondu parce qu'il était trop petit". Le jeudi, jour de congé, Frédéric vient au bureau l'après-midi, conduit par ma mère. Il va chez Jacqueline Peyroutet. C'est elle qui lui avait appris a téléphoner quand il avait deux ans. Frédéric était bien avec toutes mes rédactrices. Bref, ce soir là, il rentre à la maison tout content. Il s'était fait  montrer l'endroit où étaient les dossiers périmés et il était allé chercher celui de sont prof. Il avait fauché les pelures des lettres de refus que j'avais signées pour les montrer à ses camarades. Il a été renvoyé de l'annexe de Charlemagne, mais il avait pu dire à son prof : "vous voyez Monsieur que ma mère vous avait répondu ".
Mais j'ai aussi eu de véritables interventions. Un jour, Georges Pompidou me fait téléphoner par sa secrétaire pour me rappeler que le Premier Ministre m'avait envoyé une lettre au sujet de la candidature d'un monsieur untel, chercheur en mathématiques : " Il voudrait savoir si vous l'avez bien reçue et si vous l'avez mise au dossier.
- Vous direz à Monsieur le Premier Ministre que je l'ai bien reçue mais que je ne l'ai pas jointe au dossier".
Pompidou, furieux me donne l'ordre de la mettre dans le dossier. Je lui explique: "si je ne l'ai pas mise, c'est dans votre intérêt, quand la commission de mathématiques voit un candidat proposé par un littéraire, automatiquement elle ne le prend pas. Je n'ai donc pas mis votre lettre au dossier, mais soyez assuré que je tiendrai le plus grand compte de votre recommandation quand je transmettrai ce dossier à la direction". Mais plus tard, Narbonne un ancien chercheur du CNRS qui était conseiller scientifique au Cabinet du Général de Gaulle, m'envoie un petit pour me dire que le Général vient de signer ma nomination à la Légion d'Honneur. Il me conseille de lire le J.O., ce que je fais. Rien.  Recherche. Monsieur Pompidou avait fait rayer mon nom ainsi que celui de monsieur Poulain, un administrateur civil à la direction de l'Enseignement supérieur, il pensait que le Général s'était trompé et que "nous n'avions pas l'ancienneté de service suffisante "! Mais cette erreur n'en était pas une et nous étions nommés à la série de nominations suivante.
Le Général lui, était très pro CNRS. Il savait tout ce que j'avais fait pour le Centre, il savait que j'avais négocié des conventions d'échanges avec l'étranger. Ces conventions étaient un système mis en place dans les années soixante pour procéder à des échanges de chercheurs entre le CNRS et les pays étrangers. On en avait avec les pays de l'Est, avec l'Allemagne, avec la Belgique, avec la Hollande. C'est comme ça que j'ai été décoré de l'Ordre du Roi Léopold. Les collègues de Jean Coulomb (le successeur de Dupouy) quand il allait à Moscou, lui demandaient de mes nouvelles. Champetier aimait beaucoup voyager et Jacquinot l'avait envoyé en Roumanie. Mais les roumains ont écrit qu'ils voulaient madame Plin!

Les services centraux ont été plusieurs fois refondus au cours de l'histoire du CNRS
 
La première grande réforme que j'ai vécue, a eu lieu du temps de Dupouy. Le CNRS avait embauché des administrateurs civils qui venaient de l'Ecole d'Administration et qui voulaient leurs parts du gâteau.  Dupouy m'a dit qu'on allait modifier mon organisation. Alors que jusque là, je distribuais les résultats du Comité National, on va créer des divisions verticales. "D'accord, j'aurai beaucoup moins de travail et je ne resterai pas jusqu'à deux heures du matin aux Commissions comme  cela m'arrive parfois". Les publications on va les donner à Andreu dit Dupouy, "d'accord, mais alors il ira à la Commission quand on parlera des publications".
Les techniciens, on devait les donner à Pernod (?). Les chercheurs faisaient partie d'une autre subdivision gérée par Charles Gabriel, mais je dis: "je prends le paiement des chercheurs, puisque dans cette nouvelle organisation verticale, chacun prend sa part du début jusqu'à la fin " et je me suis retrouvée avec cent vingt employés au lieu de la quarantaine que j'avait précédemment. Je m'amusais bien. Andreu par exemple, venait en Commission à neuf heures du matin. Il disait, "aujourd'hui on commence par les publications car je suis forcé de partir à cinq heures pour aller chercher ma fille à l’école,
- Je regrette on a toujours commencé par le personnel, on continuera par le personnel."
Madame Plin a raison disait la Commission et il partait. A neuf heures du soir, quand les autres commençaient à parler des publications et il n'y avait qu'une petite dactylo pour prendre des notes...

Le rôle des syndicats de chercheurs

Dans les années cinquante, les syndicats n'avaient aucune représentation au Comité national. On les voyait seulement intervenir pour les techniciens, pas pour les chercheurs. Du reste, comme les délibérations des commissions étaient secrètes, ils ne devaient même pas connaître le classement décidé. A l'origine, les laboratoires propres ne passaient pas en commissions. Puis il y a eu au Comité national des représentants du syndicat qui ont exigé la lumière. Puis, Pierre Jacquinot le directeur général ayant cédé à la pression, ils sont entrés dans les commissions. Je lui ai dit qu'il avait eu tort. Mais il m'a répondu que ça ne dépendait pas de lui.
1968 a été une année difficile. Alain Gesmar faisait partie de la commission de physique. Elle se réunissait le jour où il a annoncé à la radio qu'il donnait sa démission d'assistant à la faculté parce qu'il allait être appelé à d'autres fonctions. Il pensait être le lendemain à l'Hôtel de Ville. Bref, toute cette nuit là, il a utilisé le téléphone de mon bureau.
Un jour on était dans le bureau du DG, enfermés parce qu'il avait peur de l'intrusion des chercheurs qui étaient sur le palier, comme dans tous les étages. Mais ils n'ont jamais pénétré dans mes services. Le directeur voulait un dossier, tout le monde était barricadé, personne ne voulait sortir:
 " Madame Plin, allez-y!
- Pourquoi moi ?
- Parce que vous, ils ne vous feront pas de mal, ils vous connaissent bien ". Et je suis passée, évidemment, mais quand même!" Jacquinot lui, avait des W.C. particuliers auxquels on accédait par le couloir secret de la direction, mais les autres? Je leur ai dit, il faudra bien que vous alliez, aux toilettes.
C'était incroyable. Le Crédit Lyonnais, la banque du CNRS, téléphone à Mérot : "venez prendre l'argent de votre paye, nous risquons d'être envahi" . Ils préféraient que l'argent disparaisse au CNRS plutôt qu'au siège ! Mérot m'appelle. Il faudrait donner un acompte aux chercheurs. Je vais vous donner de l'argent. C'était parfaitement irrégulier. Il a fallu trouver un biais, le contrôleur financier a accepté et on a versé un acompte à chacun. Ca a été annoncé à 5 heures du soir et le lendemain à 9 h., ils étaient tous là, alors qu'il n'y avait plus de transports. Je pensais que le plancher de mon étage allait s'effondrer.

La réforme de 1966 n'a t'elle pas contribué à faire passer le pouvoir des mains des présidents de sections dans celles des directeurs scientifiques

C'est exact. Ca a augmenté le nombre d'instances, ça a tout compliqué. Maintenant que c'est chaque direction scientifique qui gère les chercheurs, j'aime mieux ne plus y être. Il y a d'ailleurs des absurdités, la Direction donne pour instruction de recruter des chercheurs  à concurrence de 10 % de l'effectif de chacune d'elle. Mais il y a des sections où 10%, ça ne donnerait même pas un poste! Quant à la création d'un poste de directeur administratif et financier aux côtés du DG, je pense que c'était inutile. Je sais que Pierre Jacquinot trouvait le CNRS sous administré, mais je pense qu'il se trompait.

Et la décentralisation?

Cela a donné des trucs idiots pour les questions de personnel. Je pense par exemple à la décision de faire des commissions paritaires locales pour régler le problème des ITA. Promouvoir tous les 3A en 2A sur le plan national, c'était homogène, c'était une seule commission qui  choisissait sur un tableau complet. Aujourd'hui, c'est par régions et il y a une commission paritaire où il y a cinq 3A. Ils en proposent quatre médiocres et ça passe. A l'échelon national,  c'était un peu long, mais au moins c'était plus juste pour les ITA. C'est comme si on voulait faire un Comité national par province, c'est idiot.

Geneviève Niéva a pris votre succession au Comité national

Il y a longtemps qu'elle en avait envie. On mangeait notre gamelle ensemble avec Gabriel et Madame Rongière(?). On se crêpait le chignon, bien sûr! Auparavant, elle était administrateur civil et elle était chargée d'exécuter les décisions que je lui passais pour le matériel de laboratoires.


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