De la nationalisation au TGV
Recherche & développement à la SNCF
Pour citer cet article : J-F Picard (2024) https://www.histcnrs.fr/H-SNCF.html
Si au XIX° siècle le chemin de fer a tenu un rôle central
dans l’essor des sociétés
industrielles, au siècle suivant il devient l'opérateur d'un
service public chargé des transports dans un marché devenu
concurrentiel. Ainsi en
France, alors que se développe les transports routiers, voire aériens,
une convention de 1921 affirme la volonté des pouvoirs publics
de garder la main sur le rail pour des raisons à la fois politiques,
sociales et
économiques, notamment
en matière tarifaire. Loin de n'être qu'une spécificité de notre pays,
ces préoccupations expliquent les nationalisations opérées en Europe
tout au long du XX° siècle, en Suisse en 1902 avec les chemins de fer
fédéraux (CFF-SBB), en
Italie en 1905
avec les 'Ferrovie dello Stato' (FS), en Belgique en
1926 avec la 'SNCB', en Allemagne avec la 'Deutsche Reichsbahn' en
1937, en 1938 aux Pays-Bas avec les 'Nederland Spoorwegen' (NS), en
Espagne
en 1941 avec la 'RENFE' et en Grande-Bretagne en 1947 avec les 'British
Railways'. Or ces nationalisations n’ont pas affecté les efforts
de recherche-développement et les capacités modernisatrices du système
ferroviaire. C'est ce que l'on
voudrait illustrer ici dans le cas de la 'Société Nationale des Chemins
de fer Français' (SNCF) où fut conçue l’électrification en
alternatif à fréquence industrielle et développés plus récemment les
trains à grande
vitesse
*.
Dès avant la création de la SNCF,
une partie du réseau ferroviaire français était exploitée par les pouvoirs publics. Lourdement déficitaire la 'Cie des
chemins de fer de
l’Ouest' fut intégré en 1909 au réseau de l’'État', tandis qu'au lendemain
de la Première Guerre mondiale, celui
d’'Alsace-Lorraine' passait des mains de l'administration prussienne dans
celles de la IIIème République. Dans un contexte de déficit
généralisé, la crise économique provoque en 1934
la fusion de la 'Cie. du Paris-Orléans' (P.-O.) et des 'Chemins de
fer du Midi' pour tenter de
réduire les frais d’exploitation de deux réseaux responsables d'un
vaste programme d'électrification. En 1931, le projet de
nationalisation fait l’objet d’un rapport du socialiste
Jules Moch
et s'inscrit dans les revendications du syndicalisme cheminot qui, à
la suite des grandes grèves de 1910 et de 1920, a obtenu un statut
unique des travailleurs du rail,
l’unification des grilles salariales et celle des caisses de retraite. En
1936, le gouvernement de Front populaire procède à l'embauche de
90 000 cheminots et lance le débat qui aboutira à la création de la
SNCF le premier janvier 1938. En dépit des réticences
syndicales, le décret de nationalisation a décidé la création d’une
société d'économie mixte composée à
51% de représentants de l'Etat et à 49% des anciennes
compagnies - Nord, Est, PLM, PO-Midi et Etat -, moyennant quoi la SNCF
hérite à sa naissance d’une dette cumulée de 37 milliards de francs,
tout en disposant de 500.000 cheminots, auxquels s'ajoute la charge de
400.000 retraités.
A la naissance de la SNCF, la
répartition du trafic est très inégale puisque 60 % des mouvements y
assurent
80 % du trafic. Ainsi, la ligne impériale, Paris-Lyon, procure à elle
seule le douzième de ses recettes. 25.000 locomotives,
30.000 voitures de voyageurs et 450 000 wagons de marchandises
circulent sur un réseau découpé en cinq régions - puis six avec celle
de
Méditerranée formée en 1947 - correspondant à l'emprise géographique
des
anciennes compagnies. La direction de la SNCF est assurée par un
conseil
d’administration et un directeur général, le premier nommé à ce poste
étant
Robert Le Besnerais. Trois
directions fonctionnelles sont chargées d'animer cet ensemble. L'infrastructure relève d'un service ‘Voies et
Bâtiments’ (VB), la marche des trains d'un service ‘Exploitation’ (EX), les
locomotives et leur combustible, les voitures et wagons d'un service
‘Matériel et Traction’ (MT). Ce dernier dispose de ses propres divisions
d'études, l'une pour les locomotives à vapeur (DEL) attachée au
Sud-est, l'autre pour la traction électrique (DETE) au Sud-Ouest,
celle des voitures (DEV) à l'Est et des autorails (DEA)
à l'Ouest. A sa naissance, la SNCF gère un
réseau de 42.000 km, dont 2.400 km
électrifiées en courant continu 1500 volts,
un système développé par Hippolyte Parodi au 'P.O.-Midi', entre
Culoz et Modane par le 'PLM' et à l''Etat' sur Paris-Le Mans équipé par
Raoul Dautry grâce au plan Marquet.
Ces électrifications sont interrompues par la guerre, à l'exception de
la section Brive-Montauban qui sera achevée en 1943 sur la ligne Paris-Toulouse.
Avec la guerre, la SNCF devient un acteur majeur de l'histoire, nourrissant une
abondante bibliographie comme une filmographie illustrée par ‘
La Bataille du Rail’ de René Clément. Les opérations de l’
été 1940 entrainent un lot de destructions,
souvent dues à des coupures de ponts pratiquées par une armée en
retraite. L’armistice est signé dans le wagon de 1918 installé en
forêt de Compiègne. Sous l'occupation les deux tiers du réseau de la SNCF sont placés
sous la tutelle militaire de la Wehrmacht Verkehrs Direktion (WVD),
puis remise à une administration civile (‘HVD’) en 1942. Dès l'été 1940,
l'occupant effectue d’importantes réquisitions de matériel portant sur 1 000 locomotives et 35 000 wagons, une partie des 260 000 wagons enlevés outre-Rhin à la
fin de la
guerre, moyennant d'éventuelles compensations financières.
L’exploitation du réseau est restée aux mains de la SNCF, ses
cheminots placés sous l'étroite surveillance de personnel de la
Reichsbahn’. Conséquences de restrictions de tous
ordres, le rail est le mode de
transport irremplaçable des voyageurs et des marchandises dans un pays
occupé. Ayant fourni
la
centaine de convois de la déportation, notamment au lendemain des rafles de juillet 1942 ou de la région marseillaise en
janvier 1943, la SNCF sera poursuivie en justice soixante ans plus tard
pour se voir finalement déboutée de toute complicité. A
tous les échelons, du cheminot de base au
directeur de la traction comme
Louis Armand, elle a d'ailleurs été un acteur majeur de la
Résistance, que ce soit en fournissant des renseignements aux Alliés
ou en effectuant des sabotages, comme l'atteste son impressionnant martyrologe :
800 cheminots exécutés, 1200 déportés, 2361 tués
lors de mitraillages ou de bombardements. En 1944, la bataille de
la Libération voit ainsi s’opposer les tenants de bombardements destinés à
'encager' le front de Normandie aux actes de sabotages qui entravent les transports militaires
allemands. Sur le plan humain et matériel, la SNCF a incontestablement payé un lourd tribut à la
libération du pays.
A la Libération, la capacité de
transport du réseau ferré n'est plus qu'au tiers de son niveau
d'avant-guerre. 3.000 kilomètres de voies, 2.000 ouvrages d'art, 570
postes de signalisation, 10 000 appareils de voie sont détruits ou
avariés. Sur 322 gares importantes, 170 sont totalement démolies ou
gravement endommagées, sur 30 triages 24 sont
inutilisables. Dès le mois de décembre 1944, grâce à un effort soutenu
près de 1.250 ouvrages sont rendus à l'exploration. Parmi ceux-ci le
pont d'Orléans
sur la ligne de Toulouse et de Montlouis sur Paris-Bordeaux, le viaduc
de Maintenon sur celle de Bretagne,
le pont de Verberie sur l'Oise ou le viaduc d'Anthéor vers l'Italie.
En janvier 1945 la SNCF prend les dispositions nécessaires pour faire
rouler près de 8.000 wagons, dont 400 par jour pour les seuls besoins
de la
région parisienne. Elle optimise leur
déchargement et leur réemploi grâce à un personnel mobilisé tous
les jours de la semaine.
En un an, la circulation des trains est
pratiquement rétablie sur l'ensemble du réseau.
Concernant le parc de traction, il ne restait que 2.000 locomotives à vapeur en état de
marche à la Libération. Dès
le début 1945,
André
Chapelon, le responsable de la DEL propose la construction d’une série
de locomotives de grande puissance, mais ce projet s’avère hors de
portée d'une l'industrie nationale affectée par la guerre. Pour
mémoire, il faudra quatre ans pour que la firme Schneider fournisse les trente cinq 241-P commandées par la SNCF.
En février 1945, une
mission SNCF est donc dépêchée aux Etats-Unis pour passer commande à
la firme Baldwin de 700 locomotives dont les premiers
exemplaires sont livrés à Marseille en décembre suivant. Prévues pour un service mixte, voyageur et marchandise, ces 141-R à
simple expansion bénéficient de procédés de fabrication performants de
l’industrie américaine, chassis monoblocs en acier moulé, roulements à rouleaux, alimentation
par stocker, bientôt suivies d’une deuxième tranche
de 500 machines du même type
chauffées au fuel.
Prévues pour être
conduites en banalité, ces locos - parfois qualifiées de 'Libération' - révolutionnent la traction vapeur à
une époque où chaque équipe était affectée à sa locomotive, souvent de
type compound, donc d'un fonctionnement plus complexe.
Alors
que la SNCF disposait de 800 autorails à
la nationalisation, il n’en reste que 450 en état de marche en 1945.
L’année
suivante la Fédération nationale des cheminots (FNC) de la CGT lance la
construction d'un engin dont le coût est théoriquement inférieur à
celui d'un autocar. A partir de 1946, ces FNC (X-5600) sont affectés au
service
omnibus de quelques lignes secondaires, bientôt suivis par une série
d’autorails plus puissants (X-3800) appelés à circuler sur l'ensemble
du réseau. En matière de voitures et wagons, au
printemps 1945, la SNCF ne dispose plus que de 10 000 voitures
voyageurs, contre 17.000 avant-guerre. En 1949, elle passe commande de
350 voitures de
grandes lignes de type unifié conçues par l'ingénieur Denis Forestier de la DEV. Alors qu'elle a remise en service environ 130 000 wagons de
marchandises début 1946, elle commande 80 000 wagons couverts en
Amérique, dont la moitié sous forme de 'kits' à assembler dans les
ports où ils sont débarqués.
Forts de leur rôle dans la Résistance, les
cheminots n’ont pas ménagé leur peine dans la période de
reconstruction. Sous l’impulsion de la CGT et du Parti communiste, ils
ont tenu un rôle majeur dans la bataille de la production.
Mais au printemps 1947,
la sortie du Gouvernement des ministres communistes provoque une vague
de grèves dures dans les charbonnages, bientôt relayée par celle des
chemins de fer. A la suite de l'évacuation musclée des piquets de
grève dans les dépôts ordonnés par le ministre de l'Intérieur, Jules
Moch, un sabotage commis
à proximité d’Arras, provoque le déraillement d'un train, une vingtaine
de morts
et une quarantaine de blessés. La CGT proteste de son innocence
et dénonce "
une canaillerie sans nom",
mais
voit ses deux représentants au
conseil d’administration de la SNCF, Tournemaine et Crapier, suspendus
de leurs
fonctions, tandis que le directeur de la SNCF, Maurice Lemaire, entré en
fonctions à la Libération est remercié.
En 1949, l'Assemblée de la
IVème République dresse un rapport sur le fonctionnement des
entreprises
nationalisées, si le rôle de la SNCF dans la remise en marche du pays
n'est pas contesté, il n'en va pas de même du coût de l'opération pour
les finances publiques.
Les investigations confiées au sénateur du
Vaucluse, Marcel Pellenc, précisent d'abord les causes d'un déficit d'origine tarifaire, «
depuis 1918
en France a toujours été en retard sur la hausse des prix. Il est deux
choses que les Français ne veulent pas payer à leur prix normal, leurs
transports et leurs loyers. En 1914 le retard des tarifs de chemin de
fer sur l'indice des prix était de 32 % pour les voyageurs alors qu’il
atteignait déjà 77 % en 1939».
Le rapport Pellenc pointe les
dépenses de personnel qui constituent 60 % du budget d'exploitation de
la SNCF. Certes, l'entreprise nationale a entrepris de réduire ses
effectifs et compte
désormais moins de 400 000 cheminots. Mais cette mesure n’a
guère d'effets immédiats puisqu'elle doit supporter le
nombre correspondant de retraités. Les syndicats s'élèvent
évidemment contre ces dispositions au nom de revendications parfois corporatistes - 'Le Monde' ironise sur la
prime au chat des gardes-barrières
- et le trafic se retrouve complètement paralysé en août 1953 au
cours
de la grève la plus dure dans l'histoire de la SNCF. Les accès des gares parisiennes restent fermés deux
semaines, tandis que des trains de grande ligne sont garés et
immobilisés à Lyon et à Dijon. Il n’empêche, accompagnés de grèves à
répétions, les effectifs de la
SNCF ne cesseront de décroitre au fil des ans, 360
000 agents en 1958, 270 000 en
1974.
L’autre cause du déficit est la
concurrence routière qui ne cesse de croître. Une première tentative de coordination rail-route avait fait l'objet d'un
décret-loi du 19 avril 1934 préconisant
la fermeture de lignes déficitaires. En 1939, cette
procédure touche environ 9000 km de ligne,
mais qui restent exploitées en trafic marchandise. Passée la
guerre, une nouvelle loi de coordination rail-route est adoptée en
juillet 1949, alors que 80% du trafic marchandise
n'utilise plus
que 50 % du réseau. "
Lorsque l'on sait que l'autorail le plus
économique a un coût de circulation de 4,50 F au kilomètre (en 1950), alors que
celui de l'autocar peut descendre à 1,50 F, on devine immédiatement que
l'autocar a un immense domaine où il peut offrir aux populations une
desserte à la fois plus économique et plus fréquente", cela pour ne rien dire de la concurrence des voitures particulières
que dénonce le démographe Alfred Sauvy.
Outre la différence des coûts, grâce à leur souplesse d'exploitation les
routiers 'écrèment', selon le terme consacré, les transports les plus
rémunérateurs d'abord au
niveau local, puis sur les grandes distances. Mais la
proposition de fermer 3000 kilomètres de lignes se
heurte à l'opposition de parlementaires locaux et le rapport Pellenc
constate en juillet 1952 que "l
a SNCF qui n'est ni maîtresse du niveau
des tarifs qui commande ses recettes, ni
des salaires ou des prix qui conditionnent ses dépenses.../ (et) vit
pour les deux tiers des fonds de l'État, (mais qu'elle) constitue l'un
des
services essentiels de la vie nationale". Ces conclusions conduisent le
gouvernement Antoine Pinay à
transférer à l'État 60 % des frais d'entretiens du réseau ferré.
Louis Armand, un modernisateur
Sorti second de l'École polytechnique et
premier de l'École des mines, entré eu PLM en
1934, devenu directeur du matériel à la SNCF,
Louis Armand est nommé
directeur de la société nationale en 1949.
En saint-simonien du vingtième siècle, ce cheminot un sens aigu du rôle que le progrès scientifique et technique
doit tenir dans l'organisation d'une société moderne. Ainsi, Armand a-t-il eu une place importante
dans le développement de l'énergie nucléaire dont il pressent d'ailleurs l'intérêt
pour l'électrification ferroviaire. Mais il est avant tout cheminot et ses réflexions portent sur «
cette
nécessaire discipline du monde de demain qui donne un autre atout au
chemin de fer que la route ne possède pas : le guidage».
Loin de n'être que source de déficit, il avance que le rail
recèle des possibilités de productivité susceptibles de soutenir la
croissance économique, ce qu'il entend démontrer grâce à un ensemble
d'innovations qui seront menées sous sa houlette, de la pose
des rails en barres longues, en passant par
l'automatisation de l'exploitation
et évidemment par le développement de la traction électrique.
En
1939, la SNCF projette d'adopter le 1500 volts continu pour
équiper la ligne Paris-Lyon-Marseille. Mais l'occupation l'amène à
surseoir alors qu'elle se trouve confrontée à
d'autres dispositions comme le recours au continu 3000 volts des
italiens ou à l'alternatif à fréquence spéciale (16 2/3) de la
Reichsbahn. En
définitive, dans le souci de mutualiser son parc de traction, voire
d'adopter des dispositions qui ont fait leur preuve, la ligne
Paris-Lyon sera électrifiée en continu 1500 volts pour une mise en service en 1950
. Mais depuis l'avant-guerre,
Louis Armand s'intéresse aux expériences de traction en monophasé à
50 Hz réalisées par le dr. Paul Müller du service traction de Siemens sur la petite ligne de Freiburg im
Brisgau à Titisee en Forêt Noire. Sous l'occupation, il dépêche
des
ingénieur de la firme Schneider-Westinghouse, Charles Rossignol et Paul de Giacomoni, afin d'examiner cette
installation. Le 7 juin 1944, soit le lendemain du débarquement allié en
Normandie et quinze jours avant son arrestation par la Gestapo qui le soupçonne de participer à la résistance, Armand
rédige une note destinée à la direction de la SNCF dans
laquelle il recommande l’adoption «
…du
courant monophasé à 50 pps. (périodes par seconde) sur des lignes de
trafic moyen dont l'électrification en continu basse tension ne saurait
se justifier, Clermont-Ferrand-Nîmes par exemple, pour lesquelles on
pourra se contenter de locomotives moins puissantes qu'avec l'ancien
système».
Au Congrès pour l'avancement des sciences à Biarritz
en 1947, il rappelle "
qu'une fois achevé Paris-Lyon en courant
continu, il ne restera que quelques centaines de kilomètres à équiper
sur le réseau français avec ce système, soit moins de la moitié des
lignes susceptibles de l'être à moindre coût".
En puisant directement l’énergie
nécessaire à la traction auprès du fournisseur d’électricité, comme EDF
créée en 1946, la SNCF pourrait faire une économie du simple au
double par rapport au système Parodi pénalisé par ses imposantes
sous-stations et la lourde caténaire du 1500 volts continu. Ainsi
dit-il,
pourrait s'alléger la consommation de charbon de la SNCF qui
représente encore le cinquième de la
production nationale.
La Division d'étude de la traction électrique
Placé à la tête de la DETE en
1945,
Marcel Garreau a un rôle crucial dans la mise au point de la traction en
courant industriel. Recruté aux chemins de fer l’ETAT, cet ingénieur
X-Supélec avait conçu le système de télécommande des
sous-stations de la ligne Paris - Le Mans. A la
DETE, il est secondé un groupe de jeunes ingénieurs, parmi
lesquels Fernand Nouvion, venu comme lui de l’ETAT, Marcel Teissier (X - 1939)
ou André Cossié. La principale contrainte posée par l’usage du
monophasé cinquante périodes concerne la commutation des moteurs à collecteurs dit Garreau, «
...si le
monophasé à fréquence industrielle peut faire ressortir une économie
des coûts d'équipement par rapport au continu, encore faut-il que cette
simplification apportée à l'alimentation ne rejette pas sur les
locomotives des difficultés susceptibles de manger le bénéfice »
*. A la suite du fonctionnement médiocre des locomotives
du Höllental, la Reichsbahn a abandonné l'expérience. Mais
comme la ligne est située dans la zone française d'occupation en Allemagne, en 1946
la SNCF décide de les reprendre à son compte, puis de la
poursuivre en France sur la ligne savoyarde
d’Aix-les-Bains à la Roche-sur-Foron.
La priorité concerne la mise au
point d’une machine à moteur direct à laquelle s'étaient heurtés les
ingénieurs de Siemens, alors que, selon Armand, là réside la
manière la plus logique d’utiliser l'alternatif haute-tension. De fait,
la
'CC-6051' construite par Örlikon donne satisfaction
en s'inscrivant dans le cahier des charges fixé par la SNCF, mais
outre sa complexité, le moteur direct présente certains
inconvénients comme une commutation délicate qui fait craindre un
entretien onéreux. Une autre solution passe par
l'usage de redresseurs statiques permettant de
transformer l'alternatif en continu pour alimenter des moteurs de facture classique.
L'ignitron est un redresseur mono-anodique
à impulsion d'allumage développé par la firme Westinghouse pour les
besoins de l'électrométallurgie. En 1947, à l’issue d’une mission
d'étude aux
Etats-Unis, Marcel Garreau décide de monter des ignitrons
sur une vieille automotrice de la banlieue
Saint-Lazare.
Le courant alternatif monophasé à 50 Hz
En octobre 1951, alors que l’électrification du Nord-Est de
la France est lancée,
Louis Armand convie à Annecy les délégués de vingt
deux pays pour leur présenter les progrès réalisés par la SNCF en matière de
traction électrique. Malgré l’intérêt des
participants, certains critiques s’y expriment, notamment celle
d’Hippolyte Parodi qui dénonce : «.
..la
remise en cause, à l'issue d'une étrange discussion, d'un
dispositif (le courant continu) que l'on pensait
définitivement adopté après la guerre de 1914-18, contre le
système allemand et suisse.../ Même les Allemands ont adopté le
continu pour les banlieues de Hambourg et de Berlin» souligne
l’académicien. Alors que la Bundesbahn s’apprête à lancer un ambitieux
programme d’électrification, son patron le dr. ing. Peters, rappelle son peu
d'enthousiasme pour les essais du Höllental, niant qu'un bilan
d'électrification en monophasé 50 périodes se présente mieux qu'en 16
2/3. De même, le directeur des CFF, le dr. ing. Mayer, confirme que
son pays totalement électrifié reste très satisfait du 16 2/3 Hz. Quoi
qu'il en soit, avec la mise en service du monophasé 50 Hz sur la ligne
Valenciennes-Thionville et sur les
Chemins de fer luxembourgeois (CFL), cinq 'BB-12000' équipées d’ignitrons révèlent
leur extraordinaire capacités de traction, pratiquement le double de ce
qu'imaginaient les ingénieurs, une réussite évoquée par Garreau qui souligne ".
..que leur moteur à
courant continu se révèle capable d'avaler les ondulations du
courant redressé, en fait du cent périodes, beaucoup plus facilement
qu'on ne l'imaginait ». Si la polémique relancée
aux journées d'information de Lille en mai 1955 confirme l’opposition
allemande au monophasé 50 Hz,
celui-ci est adopté en Turquie et au
Portugal, puis en Grande-Bretagne, en URSS et en Chine. En France,
l’équipement de la ligne Paris-Lille est
achevée en 1959,
Dijon-Vallorbe en 1960,
puis Paris-Strasbourg,
Paris-Le Havre, Le Mans-Rennes, Marseille-Vintimille,
etc. au cours des années 1960. En 1970, 10 000
km de
lignes SNCF sont électrifiées avec les deux systèmes, continu et
alternatif, et acheminent 80 % du trafic de la SNCF. La mise sous tension
de la ligne Dijon-Neufchâteau qui relie le Nord-Est au Sud-Est requiert
l’emploi de
machines capables de passer en pleine voie d’un type de courant à un
autre.
La 'BB-20005' modifiée par André Cossié au début des années
1961, la mère des machines 'grand bi-courants' met fin au besoin de
gares commutables.
Adhérence totale
Issu de Sup'Elec,
Fernand Nouvion est nommé aux cotés de Marcel Garreau à la DETE en
1945. Cet ingénieur est davantage attiré par la mécanique que par
l'électrotechnique. Dans une conférence donnée à l'Ecole polytechnique
dix ans plus tard, il affirme que : «
le
plus important dans une locomotive, ce n'est pas le mode de traction,
mais la partie mécanique dont l'électricité ne doit être que le
serviteur
"
*. Alors que les locomotives électriques de grande puissance reposent
sur un lourd chassis et leurs essieux directeurs, l’innovation vient de Suisse lorsqu'en 1943 la compagnie helvétique du
'Bern-Lotschberg-Simplon' met en service des machines légères de quatre essieux
(BB), dotés de moteurs
entièrement suspendus. A la suite, la SNCF
passe commande à Alsthom d'une machine à six essieux (CC) et à
MTE-Schneider d'une autre à quatre essieux (BB). En 1955, lors d'une
conférence donnée à
Polytechnique, Fernand Nouvion explique pourquoi il a choisi ces
locomotives à adhérence totale pour réaliser des expériences de grande vitesse : «
on
avait choisi la ligne des Landes parce que ses grands alignements
permettaient d'aller vite. Le premier jour, nous avons utilisé la CC
7107. Mais on a rencontré des difficultés de captage du courant et on a
fondu un panto. Vers 300 km/h on avait aussi commencé à percevoir une
odeur de brûlé, indice de la destruction des silentblocs de la
transmission. Il y a d'ailleurs un chiffre qui ne peut être divulgué,
c'est celui de la vitesse vraiment réalisée par la CC, soit 320 km/h au
moment où l’on a tout arrêté »
*. L’essai de la BB 9004 réalisé le lendemain apporte aussi son lot d’émotions : «
lorsqu'on
a enfin atteint les 300 km/h avec le BB 9004 le panto arrière était hors
service. J'ai fait lever celui d'avant. J'étais inquiet à cause de ce
qui était arrivé la veille, mais ça a tenu et on a atteint 331 km/h au
moment du 'couper courant'. C'est d’ailleurs là que les accélérations
subies par la locomotive ont brusquement changé de nature. Il s’est
produit des oscillations qui ont duré une dizaine de
secondes. On a cru à une avarie dans la transmission et j’ai craint le déraillement. Les appareils de mesure
avaient enregistré des accélérations de 0,25 g sur la machine et
une poussé de six tonnes sur le rail»
*. Si ces expériences largement médiatisées relèvent de l'exploit,
un 'ruban bleu du rail' dit la presse spécialisée,
elles se révèlent aussi riches d’enseignements. «
On apprend beaucoup
lorsque on va sur le terrain au lieu de rester dans les bureaux dit
Nouvion
. C'est
l'essai de la BB qui nous a montré la nécessité de monter sur les
bogies des amortisseurs antilacets à action rapide /.../ (ils) nous
ont aussi appris que pour aller vite, il fallait des roues monoblocs... Ensuite
qu'il y avait un problème de captage. Il fallait remplacer le continu
moyenne tension par de l'alternatif haute tension.../ [En 1990] le TGV
a battu son record de 515 km/h en prenant 700 Ampères à la caténaire,
moi, j'en avais pompé plus de 5000 à 331 km/h!"
*.
Locomotive universelle
Fruit de l'expérience de terrain,
Nouvion présente sa
'locomotive universelle', la série des 'BB-16500' introduite sur la ligne Paris-Lille en 1958. Ces locomotives sont dotées
de bogies monomoteurs et d’une transmission à double rapport de
réduction qui les rend aptes à remorquer un train de
marchandises de 1500
t. à 90 km/h ou de voyageurs à 140 km/h. Rapidement ce type de locomotives s'étend sur le
réseau de la
SNCF que ce soit en continu avec les 'BB-8500' ou en bicourant avec les ‘25500'. La bi-réduction
reste néanmoins
critiquée par les services d’entretiens. Lors d’une réunion organisée
par le Service matériel et traction à Salins-les-Bains, Nouvion doit monter au créneau
pour
défendre ses conceptions : «
personne
au monde n'est capable de faire une machine aussi légère, aussi
performante, aussi universelle que la '16500' et si vous avez des
problèmes c'est que vous ne savez pas les entretenir !».
Reste
que leur tenue de voie vacillante due au faible empattement de leurs
bogies
et à la raideur de leur suspension leur valent le sobriquet
de 'danseuses'. Au vrai, le bogie monomoteur à bi-réduction nécessite
une pose de voie impeccable, comme le révèlera des années plus tard
l'échec d'une ‘CC-21000' essayée par l'Amtrak entre Boston et New-York.
La bi-réduction est d’ailleurs contestée par le nouveau
directeur du matériel à la SNCF, Jean Dupuy, qui nie son intérêt
économique : «
des bogies à deux
rapports d'engrenage ne servent à rien si on relève la vitesse des
trains de marchandise de 90 km/h à 120 Km/h puisqu'on perd ainsi le
bénéfice d'une économie de 8% sur le nombre de machines du parc
»
*. Moyennant quoi la bi-réduction est abandonnée sur les nouvelles locomotives à bogies monomoteurs
commandées par la SNCF dans les années 1970, électriques (BB
15000 et 7200) ou diesel-électriques ( BB 67 000 et CC 72 000) .
Le 'Pool Europ' de wagons de marchandises
En 1946, la SNCF réforme le transport marchandise en séparant un régime
ordinaire (RO) d'un régime dit ‘accéléré’ (RA), appelé à représenter
le tiers du trafic.
Elle modernise ses gares de
triages en conséquence, sur le Sud-Est, celui de Gevrey-Chambertin est inauguré en 1951, celui de
Villeneuve Saint-Georges bat le record du nombre de wagons traités en
1957.
Au Bourget, à Miramas (Marseille), Sotteville (Rouen), Woippy
(Metz), Hourcade (Bordeaux), Sibelin (Lyon), Saint-Jory (Toulouse), les
triages bénéficient d’équipements destinés à en améliore
le rendementv machines de débranchement télécommandées, postes à
billes, freins de voies,
transmissions radio, téléscripteurs, etc. En 1955, le trafic
marchandise atteint un sommet inégalé à la SNCF avec 46 milliards de
‘tonnes-kilomètres’, en augmentation de 4 milliards par rapport au record
de 1929. Compte tenu des facteurs géopolitiques dans l'Europe
d'après-guerre,
l'évolution du trafic est lié aux relations
franco-allemandes. En octobre 1940, la nécessité d’empêcher la
réquisition des wagons minéraliers sur le Nord-Est fut à l’origine de
la création de la Société de gérance des wagons à grande capacité
(SGW). Dans les années 1950, l’électrification de la ligne
Valenciennes-Thionville et ses antennes suscite la
construction de wagons trémies de 60 tonnes de charge utile, permettant
le
formation de trains de minerais tractés par les puissantes 'CC 14
000' de la ligne Valenciennes-Thionville. La création de la
Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) donne une forte
impulsion à l’européanisation du trafic.
En 1951, une
convention est passée entre la Deutsche Bundesbahn et la SNCF pour constituer un 'pool'
de 100 000 wagons utilisés indifféremment de part et d’autre de la
frontière franco-allemande.
L’opération s'avère un succès et s’étend en
1954 aux autres partenaires de l'Europe occidentale et
concerne 150 000 pièces par l’apport de 4 500 wagons autrichiens
(ÖBB), 20 000 Belges , 600 danois (DSB), 15 000 italiens, 1
250
luxembourgeois, 3 750 hollandais, 4 100 des Chemins de fer
de
la Sarre et 4 000 suisses. Cette mise en commun incite à
standardiser la construction de ces véhicules en respectant des
prescriptions techniques normalisées - dimensions, charges, barres de traction
continue, etc. - telles que définies par l’Office de recherches et d’essais créé
en 1948 au
sein de l’Union internationale des chemins de fer (UIC-ORE).
En 1963,
il est envisagé d’adapter un attelage automatique au
million de wagons appelés à circuler sur les réseaux européens, mais cette perspective
probablement irréaliste, compte tenu de son coût et du
tassement du trafic, reste dans suite sur le matériel marchandises.
Rail et route
De fait, à compter des années 1960, la
concurrence routière et la construction d'autoroutes amorce
l’irrésistible déclin du
trafic des marchandises confié au rail. En France, la SNCF qui détenait
80 %
des transports
de produits pondéreux, est victime du déclin des charbonnages du nord
et de la sidérurgie lorraine, en outre elle se heurte à la concurrence
de la
voie d’eau pour les produits de construction et au développement d'un
réseau d'oléoducs pour les hydrocarbures. Mais le chemin de fer est
surtout victime de l'essor d'une concurrence routière qui assure au
milieu des
années soixante plus des trois quarts des transports, dont 53% de
produits alimentaires, et bénéficie d'un taux
de
progression deux fois plus élevé que celui de l’économie nationale. En
outre, dans
l’Europe des années 1970, la libéralisation des échanges invalide toute
velléité de politique des transports. Les Pays-Bas qui sont liés à la
prospérité de Rotterdam, défendent la libre navigation sur le Rhin et
la circulation des poids lourds, en Italie la faiblesse du
maillage ferroviaire fait que le rail n’assure que 20 % du trafic, de
même en Grande-Bretagne où l’insularité et un
gabarit ferroviaire étriqué font que la route en capte désormais les
trois quarts. La SNCF envisage certaines contre-mesures, comme le
lancement d’un ‘Provence-Express’ destiné à acheminer fruits et légumes
du Vaucluse vers la région parisienne ou
les
'wagons-kangourous' destinés aux remorques routières,
voire
en imaginant une ‘route roulante’ destinée à charger des
semi-remorques. En vain. Ces initiatives se heurtent à certaines
contraintes
techniques, comme des limites de gabarit, et surtout économiques dues
aux délais de transbordements et
d’acheminements propres au transport ferroviaire. Dans les dernières
décennies du vingtième siècle en France, rien n'empêche plus la part du
transport marchandise de régresser d’environ 3 à 4% par
an ce que
la SNCF n'hésite pas à qualifier de catastrophe, tandis que le
journal ‘Le Monde’ constate que ‘l’Europe des transports ferroviaires
n’existe pas’; peut-être faudrait-il dire qu’elle n’existe plus, à
l'exception de trains blocs de céréales et au transit de containers
déchargés à Marseille à destination de l'Europe du Nord.
Banlieue parisienne
Dans ses premières décennies, la
SNCF ne s'est guère occupée de la banlieue parisienne. Il est vrai
qu'elle a hérité d’un réseau de banlieue développé par les anciennes
compagnies, en particulier sur la
Banlieue Saint-Lazare,
profondément modernisée dans la période de l’entre-deux-guerres par les
chemins de fer de l'Etat.
Après la ligne Invalides - Versailles Rive-Gauche électrifiée au
début du
XX° siècle, l''Etat' a procédé à son électrification en
continu 750 volts et à mis en service des ‘rames standards’
reversibles,
adaptées aux quais hauts des gares
desservies, ainsi qu'une signalisation spécifique à la fréquence des
circulations. Sur un total d’un demi-million de
banlieusards
transportés quotidiennement à la veille de la Seconde Guerre mondiale,
avec ses 270 000 voyageurs la gare
Saint-Lazare se taille la part du lion devant celle du Nord (130
000), de l’Est (90
000), de Lyon (55 000), d’Austerlitz (30 000) et de
Montparnasse (16 000). Dans les années cinquante, la banlieue
bénéficie de l’électrification du réseau SNCF avec la commande de rames
en acier inoxydable mises en service vers Corbeille et Melun au départ
de la gare de
Lyon,
puis à compter de 1958 vers Creil et Persan-Beaumont à partir de la
gare du Nord. Quant à la
banlieue Saint-Lazare, en 1977 elle est transformée à
lors de l’électrification Paris-Le Havre pour s'adapter au monophasé 50
Hz. Alors que Vème République lance des programme
d’aménagement du territoire et donne la priorité à la desserte de
villes nouvelles
le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la région
parisienne prévoit la réalisation d’un Réseau Express
Régional avec la réalisation d'une transversale Est-Ouest et d'une autre, Nord-Sud. Le ministre des transports, Jean
Chamant, qui lance l'opération insiste sur la priorité à donner aux
transports en commun en région parisienne, à laquelle
le président de la SNCF
André Ségalat donne son accord, à la condition qu'on l'aide à en assurer les coûts.
'Réseau-Express-Régional'
Inscrit au schéma directeur de 1972, sa réalisation implique
l'ouverture de gigantesques chantiers de génie civil à prendre en
charge par la SNCF et par la RATP. La 'Régie autonome des transports
parisiens' créée au lendemain de la guerre exploite le
réseau de métro et d'autobus, mais aussi la
ligne de Sceaux à grand gabarit, électrifiée en 1500 volts continu et dotée d'une signalisation
spécifique. La
réalisation de la transversale est-ouest est
confiée à la RATP à laquelle la SNCF cède les lignes de
Boissy-Saint-Léger et de Saint-Germain en Laye.
Long d’une centaine de kilomètres, le 'RER-A' inauguré six ans plus tard dessert
quatre stations de correspondances intra-muros, ‘Charles
de Gaulle-Etoile’, ‘Auber’, ‘
Châtelet Les Halles’ le point nodal du futur réseau express, ‘Gare
de Lyon’ et
‘Nation’. La réalisation de la transversale nord-sud, le 'RER-B',
nécessite l’interconnexion de la ligne de Sceaux exploitée par la RATP
avec la
banlieue Nord qui l'est par la SNCF.
Au cours des discussions menées au
printemps 1972,
malgré l’avis favorable
d’un comité interministériel présidé par le premier ministre, Jacques
Chaban-Delmas, les ingénieurs rechignent à une fusion
des deux entreprises publiques en s'appuyant sur un argumentaire technique, différence
des systèmes d’électrification, de signalisation et de hauteurs de
quais. En définitive, la RATP prévient qu’elle n’acceptera la
circulation des trains
SNCF sur son réseau qu’à la condition qu’ils ne perturbent pas son propre
trafic... Quoiqu'il en soit, le
prolongement de la ligne de Sceaux jusqu’à ‘Châtelet-Les Halles’ est
réalisé grâce à l’établissement d’une rampe sévère qui la mène à
'Saint-Michel Notre-Dame' où est assurée la correspondance avec le 'RER-C'.
Elle dispose d'un
nouveau matériel (MI 79) spécialement conçu pour
circuler sur le réseau électrifié en continu et sur celui de la banlieue Nord
en alternatif 50 Hz. La jonction avec 'Gare du Nord' réalisée en 1981 permet
la circulation des
trains du RER B entre 'Saint-Rémy lès
Chevreuse' et l'aéroport 'Charles de Gaulle'.
La
réalisation de la ligne 'RER-C' ne concerne que la SNCF et intéresse la
transversale de la rive gauche en connectant les gares terminus des
'Invalides' et
d’'Orsay' via un tunnel de 800 mètres dont l'établissement a requis
d'importants ré-aménagements du sous-sol parisien. Sa branche vers
Ermont-Eaubonne utilise les emprises de l'ex-petite ceinture, une opération achevée en 1986 avec la mise en service
de rames bicourant à deux niveaux (Z-8800). Quant au ‘RER D’ exploité
par la
SNCF et empruntant une partie du réseau RATP, il permet de raccorder
la
banlieue Nord à la banlieue Sud-Est en assurant via ‘Chatelet les
Halles’ la liaison entre les gares de Lyon et du
Nord mises en souterrain. Il constitue la plus longue
ligne du réseau express avec près de 200 km, comme la plus fréquentée avec 600 000
voyageurs quotidiens. En juin 1988, la gare souterraine de Lyon voit le
télescopage de deux trains, causant 59 victimes et occupant
la ‘une’ des journaux durant une semaine.
Due selon la CGT
à la
dégradation du service public, la catastrophe provoque
la démission du président de la SNCF,
mais elle révèle aussi la difficulté de sécuriser ce qui est devenu un
gigantesque réseau de transports confronté à la montée d'actes
d’incivilités. Avec la mise en service du ‘RER-E’ entre ‘Haussmann
-
Saint-Lazare’ et la banlieue Est, le réseau
rebaptisé
‘Transilien’ en 1999 compte 3780 km de
voies, 400 gares et voit la circulation quotidienne de 7500 trains
pour déplacer trois millions d'usagers, six fois plus que celui de
banlieue en 1938
.
'Trans-Europ-Express'
Comme celui des marchandises, le transport de
voyageurs a bénéficié
de l’européanisation des transports, mais il a mieux réussi à contrer les effets de la concurrence. En 1956, la troisième
classe est
supprimée en France comme en Allemagne au début des années 1960,
les nouvelles voitures construites pour la SNCF répondent aux
spécifications UIC pour les rendre aptes au trafic international. Alors
qu'elle s’intéresse à la clientèle britannique à haut pouvoir
d'achat, la SNCF met en route des trains auto-couchettes entre le port
de Boulogne-sur-Mer et la Côte d’Azur. L'idée d'un réseau
‘Trans-Europ-Express‘ (TEE) destiné aux trains d'affaires en
Lotharingie industrielle est formulée par
Frans den Hollander,
le président des chemins de fer néerlandais. A compter de l'été 1957,
les 'TEE' composés de rames automotrices diesels électriques aptes à
140 km/h commencent à circuler.
Ces trains soigneusement insonorisés, climatisées sont accessibles en
première classe aux voyageurs moyennant un supplément de 1,7 Fr. au
kilomètre. La rame allemande spécialement prend en charge le
‘Paris-Rühr’ qui assure la liaison Paris Nord – Liège – Cologne –
Dortmund. La rame hollando-suisse de l‘Etoile du Nord’ assure le
'TEE'
Amsterdam – Bruxelles – Paris. De son côté la SNCF améliore le confort
des rames à grand parcours (RGP) destinées au
service intérieur pour proposer le TEE ‘Ile de France’ qui relie
Paris-Nord, à Bruxelles et Amsterdam en cinq heures et demie tandis
que ‘L’Arbalète’ assure la relation Paris-Est, Mulhouse, Bale et
Zürich en six heures. Les rames 'TEE' des
chemins de fer italiens contribuent à réduire de moitié (4
h. 30 au lieu de 11) la relation Marseille – Gêne – Milan. Au
début des années 1960, les 'TEE' adoptent la traction électrique avec
le ‘Cisalpin’
assuré par une rame électrique
quadricourant des CFF entre Paris et Milan via la ligne du Gothard. En
1964, la SNCF
décide à son tour d’engager des rames tractées sur la
relation Paris–Bruxelles–Amsterdam en passant commandes
de machines quadri-courant, les 'CC 40100' dupliquées en série 18 par la SNCB, des locomotives conçues par André Cossié
de la DETE, mais pénalisées par une certaine fragilité, alors
qu'au
grand dam de la SNCF et vraisemblablement pour des raisons de
concurrence, leur circulation n'est pas autorisée sur les
réseaux allemands et hollandais. Enfin,
la SNCF obtient de
labéliser ‘TEE’ des trains rapides à suppléments appelés à circuler sur
le réseau national. Le ‘Mistral’ Paris-Nice, un train inauguré en 1950
devient un TEE, comme ‘Le Capitole’ Paris - Toulouse en 1967
formé d'un
train rouge qui file à 200 km/h entre Orléans et Vierzon, marquant rappelle Jean Dupuy "l
a première étape vers une accélération significative
de la vitesse de nos trains"
*. En 1971, ‘
l’Aquitaine’
Paris-Bordeaux composés de voitures ‘grand confort’ est tracté par des 'CC
6500', les locomotives électriques de 8000 cv., les plus
puissantes du parc.
La recherche dans les transports terrestres
Les années soixante voient se développer des recherches visant à
améliorer la célérité des transports guidés, soit par la construction
de nouvelles
infrastructures, soit en développant des techniques compatibles avec le
réseau ferré. Champion de la première option, au
début des années soixante, le Japon entreprend de compléter son réseau
de 20 000 km de voies métriques en construisant une ligne de profil optimisé à écartement
standard (1,435 mm), pour relier Tokyo à Osaka,
sur laquelle circulent à 200 km/h en 1962 des rames électriques
alimentées en 25 kV 50 Hz.
Mais s'ils sont impressionnés par la performance technique, les exploitants européens doutent de la rentabilité du 'Shinkansen'.
En Allemagne où
la 'Bundesbahn' a organisé une
relation expérimentale Munich-Augsburg à 200 km/h en rames tractées, le
ministère fédéral de la technologieon table sur le développement de la
sustentation
magnétique. Le 'Transrapid' conçu par Siemens et Thyssen-Krupp, fruit
d'une technologie aussi complexe qu'onéreuse, est incompatible
avec le réseau ferré, comme en France
'L'Aérotrain' Bertin fonctionnant sur coussin d'air, soutenu par
la 'Délégation à l'aménagement du territoire' (
DATAR).
Evalué avec circonspection par la SNCF en 1966, l''Aérotrain Bertin'
nécessite une infrastructure spécifique, alors que ses capacités de
transport semblent
limitées. La pendulation offre en revanche une technologie plus simple,
compatible avec le réseau ferré, puisqu'elle consiste à
améliorer
le confort des voyageurs dans les courbes en annulant les effets de
la force centrifuge. En France, elle a suscité en 1957
à la réalisation d'un prototype de voiture
pendulaire, alors que la Grande-Bretagne développe son
Advanced Passenger Train (APT) et surtout à l'Italie où
l'électrotrain '
Pendolino' mis en service en 1975 rencontrera certains succès à l'exportation.
A la SNCF qui a réalisé les essais de 1955 (cf. supra), la prospective sur les grandes vitesses procède d’une
réflexion globale sur les transports guidés mené par les ingénieurs économistes qui forment le nouvel
état-major de l'entreprise. Nommé
en 1966 directeur général, Roger Guibert l’ancien
responsable
des transports routiers de la SNCF, confie à son adjoint
Roger Hutter,
un X-mines condisciple du
Nobel d’économie Maurice Allais, le soin d'installer un Service de la
recherche pour lequel il recrute Michel Walrave, un économiste polytechnicien.
"A
l'époque, la moitié des recettes de la SNCF provenait encore du
trafic
marchandises rappelle ce dernier. En revanche, il
paraissait que si nous ne jouions pas la grande vitesse, le trafic
voyageur n'aurait bientôt plus qu'un rôle secondaire, à l'exception
peut être des banlieues. C'est donc sur l'idée d'une modernisation du
trafic voyageur que nous avons travaillé. C'est-à-dire
que de raisonner en terme d'induction de l'offre en jouant sur deux
caractéristiques d'un chemin de fer moderne : la vitesse et la
fréquence de desserte"
*. Le Service de la recherche lance des
études prospectives tous azimuts dont l'une qui porte sur les 'possibilités
ferroviaires sur infrastructures nouvelles' (C03) est confié à
Marcel Tessier, son directeur. "
Personnellement, dit
Jean Dupuy l'un des pionniers du TGV,
j'estime que le chemin de fer a été sauvé plusieurs fois au cours de
son histoire par des facteurs d'ordre économique. Cela a été vrai avec
l'adoption du 50 Hz alors que la vapeur arrivait à bout de souffle,
comme ce fut le cas pour le transport voyageurs avec le TGV »
*.
'LGV' et 'TGV'
La première idée de faisabilité d'une ligne à grande vitesse revient à
Robert Geais, le chef du service VB de la région
Nord qui propose d'adapter un profil
autoroutier au chemin de fer, c'est-à-dire
des rampes de 35 pour 1000 et des courbes d'un rayon de 3 à 4
km. Le choix de Paris-Lyon pour l'établir selon ces principes
s'explique
selon Walrave parce que «
sur
une distance de 430 kilomètres, (elle) représentait le flux de
voyageurs le plus important du réseau et [où] il semblait le plus
probatoire de mettre en place [notre]
projet de circulations de trains à forte puissance massique"
*.
Au début
des années soixante-dix, plusieurs audits, celui d'un Groupe
d'étude mixte fer-autoroute (GEFAU), le rapport Coquand, le
rapport Le Vert, valident les perspectives de rentabilité du projet
'C03'.
L'Etat ayant exclu de participer au finacement de l'opération, la
SNCF est conviée à placer ses emprunts sur le marché international, ce
que facilite ses capacités reconnues de remboursement (label '3A' sur
Standard & Poor). La déclaration de travaux d'utilité publique
obtenue en 1976, permet l'ouverture du chantier qui ne manque pas
de provoquer certaines contestations.
Outre les protestations des édiles dijonnais desservis par l'ancienne
ligne impériale désormais court-circuitée, l'intention d'établir une
nouvelle gare dans le quartier de la Part Dieu à Lyon est contesté par
le maire Louis Pradel et
par le président de la Chambre du commerce qui redoutent la concurrence
faite à l'aéroport de Satolas. De fait, la compagnie Air-Inter fondée
en 1954 par Air-France et la SNCF
s'attend à perdre la moitié du
trafic aérien entre Paris et Lyon et
finira par disparaitre, absorbée par Air-France. La ligne nouvelle
est également critiquée par le mouvement écologique naissant
qui redoute de voir
"la Bourgogne coupée en deux par un véritable rideau de fer".
«
Vers la fin des
années soixante on voyait la cible dit Roger Hutter,
restait à
fabriquer le fusil"
*.
Initialement, il est question d'utiliser la traction thermique, des
trains à turbines à gaz dont la SNCF a déjà
l'expérience avec les 'RTG' exploité sur les lignes Paris-Caen ou
Lyon-Bordeaux. En 1969, la SNCF passe commande à Alsthom de
deux TGV prototypes à turbines (TGV 001 et 002), dont le 002 doté d'une
suspension pendulaire afin de
circuler sur le
réseau classique, mais sans suite. "(Reste)
que c'est la raison pour
laquelle on avait conçu la rame articulée avec deux caisses sur un
bogie explique Dupuy, le directeur du matériel.
L'anneau de liaison était destiné à la
pendulation»
*.
Le
'T.G.V. 001' sorti des usines Alsthom à Belfort au mois d'avril 1972
pour commencer ses essais et il décroche un nouveau record de
vitesse (318 km/h), lorsque la crise de l'énergie de l'hiver 1973-74
modifie les données
du problème. «
La décision de construire la ligne
du TGV Sud-Est est intervenue le 6 mars 1974 se souvient Dupuy
. C'est l'une des
toutes dernières décisions du Président Pompidou. Elle faisait partie
du premier train de mesures consécutives à la crise pétrolière. J'ai
souvenir d'un comité interministériel centré sur les économies
d'énergie dans lequel la construction d'une ligne nouvelle a été
mentionnée pour la première fois comme une des priorités du gouvernement. C'est là que tout a basculé. Si on faisait une ligne
nouvelle, elle serait électrique. C'était un changement de pied assez
sportif. [En cette occasion], on peut dire qu'un grand nombre de
facteurs ont joué dans la genèse du TGV comme le baromètre 'économie
d'énergie', voire les préoccupations naissantes d'environnement»
*.
Au vrai, l'histoire du TGV électrique a débuté plus tôt, conséquence d'un doute
qu’évoque Marcel Tessier : «
...au
fur et à mesure que
le projet avançait avec les turbines à gaz, on se rendait compte que la
puissance risquait d'être insuffisante. On s'aperçoit d’ailleurs
maintenant que si on avait continué dans cette voie, on n'aurait pas
disposé de la puissance nécessaire pour faire le TGV-Atlantique. Ne
parlons pas des nuisances sonores et des odeurs de pétrole causées par
la densité de trafic dans les gares.../ Lorsqu'en 1969 nous avons
présenté C03 au Gouvernement, Guibert qui savait bien que nous avions
dans nos cartons la variante en traction électrique nous a demandé de
ne pas en faire état, même auprès du président Ségalat. Ce n'est qu'une
fois le principe du projet Paris-Lyon accepté en 1974 que nous avons pu
dire que nous saurions faire un TGV électrique»
*. Cette version de TGV
électrique est mise au point depuis 1972 grâce à l'automotrice '
Zébulon' ;
«
concrètement dit Jean Bouley le nouveau directeur du matériel,
"
la question était de savoir si l'on
saurait faire des bogies stables. Ce qui était neuf avec 'Zébulon',
c'était la grande vitesse sur une automotrice, c'est-à-dire dans une
boite à chaussure et avec de petits moteurs car on n'avait pas la
place d'en mettre de gros. Par conséquent, la transmission était le
point crucial de l'expérimentation. Nous n’avons trouvé qu’une seule
solution, la transmission tripode employé dans l'industrie automobile"
*. En 1978, le premier exemplaire de TGV électrique (série 23000) sort des usines Alsthom de
Belfort. Il est la tête de série d'une centaine de rames à livrer jusqu'en 1984. Inspirée du TGV-001, il se présente comme
une rame articulée, insecable, de 250 à 350 places. Le captage du courant est assuré par des
pantographes à doubles étages via une caténaire posée à hauteur
constante.
Le 28
février 1981, le TGV-23016 avec Jean Dupuy en cabine décroche un
nouveau record
de vitesse sur rail à 380 km/h et le 17 septembre suivant, la ligne du
TGV-SE est inaugurée par le président François
Mitterrand.
Désormais, la relation Paris-Lyon sera assurée en deux heures à la vitesse
commerciale de 270 km/h, faisant oublier aux lyonnais leur complexe
provincial.
Un nouveau réseau
Lors de l'inauguration du TGV-SE, le président Mitterrand annonce
la réalisation du TGV-Atlantique. En fait, la décision avait déjà été prise par
Jean-Pierre Fourcade, le ministre des Finances en 1977. Malgré les
réticences du président
de la SNCF,
André Chadeau, considérant les projections qui démontrent
que le TGV-A n'atteindra pas le seuil de rentabilité, en 1981 la
nouvelle majorité socialo-communiste avec
Charles Fiterman au ministère des Transports apporte son
soutien à la réalisation d'un réseau de lignes à grande
vitesse. La première section du TGV-A ouverte en 1989 permet
l'installation d'une gare à Massy-Palaiseau permettant la connexion
entre les TGV-A et TGV-SE et une relation directe entre Nantes et
Lyon. La ligne à grande vitesse prolongée jusqu'à
Rennes et à Bordeaux en 2017 met la capitale bretonne à moins de deux
heures de Paris et celle de l'Aquitaine à trois heures. Le
matériel du TGV-A apte à circuler à 300 km/h présente un certain nombre
de perfectionnements, l'adoption de
moteurs asynchrones autopilotés,
l'adoption d'une suspension pneumatique et l'augmentation de la
capacité des rames qui passent de 8 à 10 voitures avec une augmentation de 30 % du nombre de voyageurs. En 1984, la mise en
service de la ligne à grande vitesse Paris-Lille amorce
l'européanisation du réseau TGV. Avant la fin du siècle, le succès du
'Thalys' qui relie Paris à Bruxelles en 2h 40 a raison de la concurrence aérienne, tandis que les rames '
PBKA' monopolisent les relations vers Amsterdam et Cologne. La liaison Paris-Londres est liée à la
réalisation du
tunnel
sous la Manche dont les projets initiaux remontent au XIXème siècle et
dont il a été décidé en 1959 qu'il serait ferroviaire. Après moult atermoiements, la première ministre Margaret Thatcher et le
président
François Mitterrand décident sa construction, son chantier étant
confiée au consortium franco-britannique 'Trans Manche Link'. Achevé en
1994, il permet de relier la gare du Nord à Paris et du Midi à
Bruxelles à celle de Waterloo à Londres grace à des trains 'Eurostar'
adaptés au gabarit britannique, aptes à fonctionner sous l'alternatif
25 kV-50 Hz en France, le 3000 volts c.c. en Belgique et le 850
v c.c. par troisième rail du réseau 'Southern' en Angleterre.
En 2003, la mise en service de la ligne à grande vitesse entre le tunnel et Londres-St Pancras
électrifiée en alternatif haute tension et mise au gabarit continental
permettra de réduire à une heure et demie la durée du trajet entre les
deux capitales. En
2001, le TGV-Méditerranée atteint Marseille en mettant la cité phocéenne à 3 h 15 de Paris. La ligne à
grande vitesse Paris-Strasbourg ouverte en 2016 permet la circulation
des trains 'ICE' de la 'Deutsche Bahn' où est
réalisé
le dernier record du monde de vitesse sur rail à 575 km/h avec un 'TGV-duplex' spécialement modifié. Dans les dernières
décennies du XX° siècle, le TGV
a continué à tirer la croissance du trafic voyageurs de la SNCF avec
une augmentation d'environ 10% du nombre de passagers
par an et une hausse de 25 % de l'excédent brut d'exploitation. Soucieuse de remplacer le concept d'usager par celui de client,
elle a adopté des règles de managements inspirées de ceux des
compagnies aériennes (
yield management). Certes, la mise au point laborieuse de
Socrate
son nouveau système de réservation a pénalisé le bilan de son président
Jacques Fournier et pour diversifier son offre, la SNCF lance
en 2017 le
TGV low-coast Ouigo.
La SNCF, une entreprise comme une autre?
La réussite du TGV n'a pas empêcher la SNCF d'échapper aux
contradictions inhérentes à la gestion d'un service
public.
Placé à sa tête en 1985,
Jean Dupuy le promoteur du TGV doit quitter la SNCF en 1987 pour
avoir proposé à son personnel de moduler l'avancement à l'ancienneté. «
Je suis de ceux qui pensent et c'est l'une des
raisons qui
m'ont conduit à reprendre, comme on dit, sa liberté que l'avenir est entièrement commandé par une prise de conscience de
son personnel en face des évolutions à venir. Les cheminots vont devoir
comprendre que le destin du chemin de fer est entre leurs mains et que,
s'ils veulent continuer à jouer la partie, ils devront réévaluer leur
situation par rapport à la vie économique nationale.../ J'ai quitté la
SNCF parce que j'estimais n'être plus en situation de pouvoir y faire
ce que je jugeais indispensable - on doit d'ailleurs dire que les
pouvoirs publics partipent à cette espèce d'inhibition - [à savoir que]
je me suis fait clouer au pilori parce que j'avais essayé d'y
introduire [1986] un peu d'avancement au mérite... "
*. La question de la
régionalisation offre le même paradoxe d'une entreprise qui a réussi sa
modernisation technique, mais dont les
TER
chargés des transport régionaux doivent compenser la propension des Français à l'usage de l'auto particulière.
La
SNCF est-elle une entreprise comme une autre? Pour essayer de la
libérer du poids d'un déficit endémique estimé à une vingtaine de
milliards d'Euros, une directive européenne (91/44018) préconise
de séparer la gestion de
l'infrastructure de l'exploitation dans les services de transport. En 1997 les pouvoir publics créent
Réseau ferré de France (RFF)
pour lui confier la charge de l'infrastructure et de ses aménagements,
pour
lesquels la nouvelle entité pourra s'appuyer sur la collation de droits
de
péages. Or, compte tenu du volume des investissements engagés -
notamment
le financement de la LGV-Est dont RFF supporte le quart (530 M€) parmi
d'autres subventions européennes -, comme
du manque de subventions
compensatrices de l'Etat, l'endettement du gestionnaire de réseau
atteint le sommet de
33,7 milliards d'€uros, moyennant quoi sa réunification avec la
SNCF est décidée en 2015. Une autre conséquence de la politique
libérale de la
Communauté européenne - tout aussi inconséquente, compte tenu du rôle
tenu par la SNCF en la matière - consiste à lui demander d'abandonner
ses fonctions de
recherche-développement pour les céder à l'industrie. C'est ainsi que
François Lacôte,
un X Ponts responsable de la conception du 'TGV-Duplex' est amené à quitter la
direction du matériel, pour rejoindre Alstom-Transport, ce dont il s'
explique en 2009 dans la revue 'La Jaune et la Rouge': "
je voulais continuer à faire un métier qui le passionne, (alors que) les
directives européennes étaient claires : la SNCF n'était plus autorisée
à mener des projets industriels" et Alstom conçoit
la nouvelle génération de 'TGV-M' dont la mise en service est prévue en 2024. Reste
que par le flux de voyageurs qui lui est confié, par ses capacités de
tonnage transporté, automatisé et mû par l'électricité, irremplaçable,
le chemin de fer continue de bénéficier d'augures favorables.
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