Depuis quelques annŽes, la crise de la
recherche
franaise rŽvle
l'hostilitŽ
rŽcurrente de la communautŽ scientifique
vis-ˆ-vis
du pilotage de la science par les pouvoirs publics. Cette fois, la contestation rapproche des
jeunes scientifiques du mouvement 'sauvons la recherche!' qui
manifestent contre la suppression de postes dans la fonction publique
et
des scientifiques seniors qui pr™nent l'assouplissement de
rgles administratives auxquelles ils reprochent d'entraver
le
fonctionnement de leurs laboratoires. Derrire ces
revendications
apparemment contradictoires - faut il plus ou moins d'Etat dans
l'organisation de la recherche? - se profile une rhŽtorique
des
sciences fondamentales se disant menacŽes par les
visŽes
utilitaristes des politiques scientifiques. Mais on peut s'interroger,
faut-il parler d'une crise de la recherche ou d'un problme
de
chercheurs ?
L'histoire des
politiques de la
science en France suggre des ŽlŽments
de
rŽponse. Il y a trois sicles, la science
considŽrŽe comme une branche de la philosophie
n'aspirait
qu'ˆ comprendre les lois de la nature. Mais la physique
d'abord
puis la chimie et aujourd'hui les sciences du vivant ont suffisamment
contribuŽ ˆ faonner le monde dans
lequel nous
vivons - voire notre vie elle-mme - pour qu'il soit devenu
difficile de sŽparer l'avancŽe des connaissances
de
l'usage qui en est fait. Autrement dit, l'intŽgration de la
recherche fondamentale avec ses applications est devenue un tel enjeu
pour nos sociŽtŽs
dŽveloppŽes qu'il a fini
par susciter ce que l'on qualifie dŽsormais de politiques
scientifiques. NŽanmoins, si cette distinction entre la
science
et ses applications s'est largement estompŽe au point
d'apparaitre comme un hŽritage
historique, elle
permet de comprendre la manire dont s'est
organisŽe la
recherche au sicle dernier. SchŽmatiquement, aux demandes des sciences
fondamentales et de la recherche libre a rŽpondu l'installation de caisses des
sciences -
un type d'organisme dont sont issues nos actuelles 'agences de moyens'
- chargŽes de dispenser des bourses et des subventions
ˆ
des laboratoires universitaires dont les exemples
cŽlbres sont aux Etats-Unis les grandes
fondations du
dŽbut du sicle dernier (Rockefeller, Carnegie)
ou
aujourd'hui la Nationale Science Foundation (NSF), la Deutsche Forschung
Gemeinshaft installŽe (DFG) en Allemagne au lendemain de la
Premire Guerre mondiale ou la Caisse nationale de la
recherche
scientifique en France un peu plus tard. De leur
c™tŽ, les
instituts scientifiques ont rŽpondu aux besoins d'une
recherche davantage
finalisŽe. En effet ces organismes - parfois
qualifiŽs d'
'opŽrateurs de recherche' - ont ŽtŽ
installŽs pour rŽpondre ˆ des demandes
aussi
diverse que la santŽ humaine, la chimie des
matŽriaux ou
la physique nuclŽaire, des domaines o
l'activitŽ
scientifique requiert un personnel spŽcialisŽ et
sŽdentarisŽ comme un appareillage complexe et
onŽreux qui restaient hors de portŽe des
compŽtences ou des moyens d'une universitŽ
traditionnelle.
Tel fut le cas pour l'Institut Pasteur en France, pour les instituts
Kaiser Wilhelm, aujourd'hui Max Planck (MPG) en Allemagne ou des 'Caltech'
et
'M.I.T.' aux Etats-Unis.
Dans le souci de coordonner l'ensemble de la recherche franaise, la
crŽation en 1939 du Centre national de la recherche
scientifique
(CNRS) marquait le souci des pouvoirs publics de fondre au
sein
d'une mme entitŽ, une agence de moyen, la Caisse
nationale
de la recherche scientifique dispensatrice de bourses et de subventions
ˆ l'enseignement supŽrieur - dont l'attribution
est
l'apanage d'un Conseil supŽrieur de la recherche
scientifique
anctre de l'actuel ComitŽ national - et
un
opŽrateur de recherche, l'Office national de la recherche
scientifique et des inventions qui disposait ˆ
Meudon-Bellevue
d'un ensemble de laboratoires liŽs ˆ l'industrie.
Mais
comme le CNRS est crŽŽ dans un contexte de
mobilisation
scientifique, les demandes de la DŽfense nationale et, plus
gŽnŽralement, les besoins d'une
Žconomie de guerre
donnent la prioritŽ ˆ sa partie
chargŽe des
recherches appliquŽes (CNRSA). C'est ainsi que
FrŽdŽric Joliot (Nobel 1935) est
appelŽ ˆ
dŽvelopper ses recherches sur la fission
nuclŽaire ou que
Louis NŽel (Nobel 1970) imagine le moyen de
protŽger les
navires des mines magnŽtiques ennemies. Aprs la
dŽfaite, le CNRS poursuivra ces recherches ˆ
finalitŽ industrielle pour parer aux consŽquences
des
pŽnuries alimentaires ou pour trouver les carburants de
substitution nŽcessaires aux transports. Pourtant, en 1945,
cette
double vocation fait long feu. Le ComitŽ national dont la
principale fonction est de rŽpartir bourses et subventions
dans
l'enseignement supŽrieur refuse d'intŽgrer les
chercheurs
engagŽs dans la recherche ˆ finalitŽ
industrielle
(physique nuclŽaire, Žlectronique, etc.). Outre
leurs
prŽventions vis-ˆ-vis du monde
Žconomique, les
professeurs de l'UniversitŽ estiment qu'il est temps de
rendre sa
primautŽ ˆ la science pure mise sous le boisseau
du fait
des circonstances de la guerre. En outre, cette rŽorientation du
CNRS
vers la recherche fondamentale signe aussi son
incapacitŽ
ˆ coordonner l'ensemble de la recherche
franaise.
PlacŽ sous la tutelle de l'Education nationale, il n'a pas
eu les
moyens d'arbitrer entre les projets des ministres
techniques de
se doter de leur propre capacitŽ de
recherche-dŽveloppement. Ainsi ont surgi en 1941 l'Institut
national
d'hygine (l'INH, futur INSERM)
crŽŽ par le
ministre de la SantŽ, en 1943 un Office des
recherches
coloniales qui deviendra l'Institut de Recherche et de
DŽveloppement (IRD), en 1944 sous l'auspice des PTT le Centre
national
d'Žtude des tŽlŽcommunications (CNET), en
septembre 1945 au ministre de l'Air l'Office national de
recherches aŽronautiques (ONERA), et en octobre de la
mme
annŽe le Commissariat ˆ l'Žnergie
atomique (CEA)
qui bŽnŽficie d'un statut
interministŽriel qui a fait
dŽfaut au CNRS. En 1946 apparaissent encore l'Institut
national
de recherche agronomique (INRA) et l'Institut national
d'Žtudes
dŽmographiques (INED). Quant au ministre de
l'Industrie,
en 1943 il a suscitŽ la crŽation d'un Institut de
recherche pour la sidŽrurgie (IRSID) et de l'Institut
franais des pŽtroles (IFP), alors que les
nouvelles
entreprises nationalisŽes ˆ la
LibŽration se dotent
de services de R & D.
L'Žchec du CNRS ˆ
coordonner la
recherche franaise conduit la Vme
RŽpublique
ˆ relancer l'idŽe d'une politique scientifique
nationale.
DŽjˆ, en 1956 lors du colloque de
Caen
rŽuni ˆ l'instigation de Pierre
Mends-France, le
problme de l'articulation d'un enseignement
supŽrieur
modernisŽ et du dispositif de la recherche publique avait
ŽtŽ posŽ, mais les moyens
budgŽtaires
avaient manquŽ au rŽgime
prŽcŽdent
emptrŽ dans les guerres coloniales. En 1958, il revient
donc au
gŽnŽral de Gaulle de relancer le mouvement dans
une
perspective d'indŽpendance nationale,
c'est-ˆ-dire pour
rendre au pays ce qu'il estime sa juste place entre les deux blocs, les
Etats-Unis et l'URSS. Par ailleurs, Çl'ardente obligation
È
invoquŽe par Pierre MassŽ, le commissaire au Plan
implique de renouer
le lien entre la recherche scientifique de pointe et les besoins d'une
sociŽtŽ en pleine expansion. Telle est la
t‰che
d'une nouvelle administration - la DŽlŽgation
gŽnŽrale ˆ la recherche scientifique
et technique
(DGRST) - directement rattachŽe au Premier ministre et non
plus
ˆ l'Education nationale. La DGRST est chapautŽe
par un
ComitŽ des sages (CCRST), un groupe d'experts
inspirŽ du
Council de la NSF amŽricaine. Ainsi, le couple CCRST-DGRST
devient une
sorte de ministre avant la lettre auquel revient le soin de
rŽpartir l'ensemble du budget civil de la recherche. Cette 'enveloppe recherche'
en forte
hausse passe de 120 MF en 1958 ˆ plus d'un milliard de
francs en
1964, ce qui permet un recrutement massif de chercheurs (au CNRS les
effectifs vont doubler en dix ans :10000 agents en 1964, 20000 en
1974) et l'installation d'instituts
dŽdiŽs aux
sciences physiques ou de nouveaux organismes comme
le
Centre national d'Žtudes spatiales (CNES), le Centre
national
d'exploration des ocŽans (CNEXO puis IFREMER) ou l'Institut
de
recherche en automatique et informatique. A cotŽ d'un
vŽritable complexe militaro-industriel symbolisŽ
par la
crŽation d'une Direction des recherches et des moyens
d'assai
(DRME) au ministre de la DŽfense, une direction
des
applications militaires installŽe au CEA est
chargŽe de
dŽvelopper l'armement nuclŽaire. Cette
"stratŽgie de
l'arsenal" (J.-C. Salomon) a permis l'essor d'une industrie
aŽrospatiale dont on conna”t les
retombŽes tant
militaires que civiles tandis qu'EDF
suscite
le dŽveloppement d'une industrie
ŽlectronuclŽaire
innovante.
Du c™tŽ des sciences du vivant, afin d'assurer sa fonction d'agence de moyens, la DGRST adopte un dispositif d'inspiration anglo-saxonne : la recherche sur contrat. Le CCRST ayant identifiŽ quelques grands domaines de recherche qu'il importe d'irriguer, le DGRST propose de passer contrats avec les laboratoires ou les chercheurs qui manifestent leur intŽrt pour les secteurs sŽlectionnŽs. Ainsi, sur les neuf premires 'Actions concertŽes' lancŽes au dŽbut des annŽes 1960, il est significatif que cinq concernent les sciences du vivant (biologie molŽculaire, cancer et leucŽmies, applications de la gŽnŽtique, nutrition animale et humaine, fonctions et maladies du cerveau) o la recherche franaise patissait d'un certain retard. Pour mettre en oeuvre cette politique contractuelle, le CNRS est dŽcoupŽ en dŽpartements dont les relations avec la recherche universitaire sont dŽsormais rŽgies par le dispositif des 'laboratoires associŽs' (aujourd'hui 'unitŽs mixtes') et il lance des 'actions thŽmatiques programmŽes' (ATP) inspirŽes des actions concertŽes de la DGRST, mais sur des domaines plus pointus comme la pharmacodynamique ou l'Žconomie de la santŽ. De mme, au lendemain de la rŽforme hospitalo-universitaire (1958), la DGRST suscite en 1964 la transformation de l'INH en un Institut national de la santŽ et de la recherche mŽdicale (INSERM) dont l'organisation s'inspire de ces nouveaux modes de fonctionnement. Ainsi, ˆ la suite du fameux Nobel des trois pasteuriens (A. Lwoff, J. Monod et F. Jacob en 1965), le CNRS et l'INSERM sont dotŽs des moyens d'assurer l'essor de nouvelles sciences du vivant, telle la biologie puis la gŽnŽtique molŽculaires surgie de la rencontre de la chimie et de la biologie. En termes quantitatifs, alors que les SDV ne reprŽsentaient que 18% des effectifs du CNRS en 1950, trente ans plus tard elles revendiquent prs du tiers de l'organisme tandis que l'INSERM compte alors 4000 agents. Incidemment, au CNRS comme ˆ l'INSERM, les SDV reprŽsentent premier secteur scientifique ˆ avoir assurŽ la paritŽ des chercheurs entre sexes.
|
BIRD en M$ en 2001-2002 |
Population |
Ratio BIRD/effectifs |
E-U |
277100 |
1 261 227 |
0,22 |
Sude |
10221 |
45995 |
0,22 |
Allemagne |
53972 |
264685 |
0,20 |
France |
37835 |
186420 |
0,20 |
R-U |
31037 |
157662 |
0,20 |
Belgique |
6053 |
32237 |
0,19 |
Pays Bas |
8683 |
45328 |
0,19 |
Japon |
106838 |
646547 |
0,17 |
Canada |
18163 |
107300 |
0,17 |
Chine |
72014 |
810525 |
0,09 |
Russie |
14734 |
491944 |
0,03 |