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Les mathématiques au CNRS dans les années 1970

 

par Gwenaël Kropfinger (papier de recherche 1998)
 

Les mathématiques françaises sont assurément le domaine scientifique qui soutient le mieux une comparaison internationale.
Le signe le plus notoire de leur excellence est sans doute le nombre de médaillés Fields français qui s'élève à 6 , et place la France au deuxième rang du palmarès du "Nobel" des mathématiques, juste derrière les Etats-Unis qui en totalisent plus de 16.
Or l'importance internationale de l'Ecole française n'a rien d'accidentelle. Elle est le reflet du niveau global de développement des mathématiques en France, ce que montrent les études bibliométriques, qui contrairement au dénombrement des prix Nobel ou médailles Fields, ont l'avantage de ne pas se limiter à l'évaluation de l'excellence d'un pays au seul regard des performances de ses "ténors", et permettent de porter notre évaluation sur l'ensemble de la communauté des mathématiciens français et d'en montrer la fécondité. Citons par exemple l'analyse scientométrique menée par Louis LLiboutry qui a étudié les années 1983 et 1985 afin de mesurer l'activité globale des disciplines scientifiques françaises représentées au conseil International des Unions Scientifiques (ICSU) Partant du postulat que le nombre des postes de responsable attribués aux ressortissants d'un pays au sein de chaque association correspondant à un domaine de la recherche pure (l'IMU pour les mathématiques pures) reflète l'activité de ce pays, il a montré que les mathématiques (pures) sont la discipline la plus développée en France. La moyenne des français cités dans l'Annuaire de l'ICSU est en moyenne de 16, 7 pour les mathématiques pures alors que la moyenne pour l'ensemble des disciplines est de 7, 3 (pour la France). Pour les années qui nous intéressent plus particulièrement ici, la mesure de l'évolution de la part relative des grands pays industriels dans l'ensemble des citations mondiales fait apparaitre qu'entre 1973 et 1982, la France a connu une augmentation de 19 % en mathématiques alors que celle-ci reculait de 2 % en biologie et n'augmentait que de 3 % en chimie .
Cette excellence n'échappe pas au CNRS dont les rapports d'activité annuels sont régulièrement ponctués de quiètes proclamations : "l'activité mathématique française est vigouresue et brillante, son niveau élevé est reconnu à l'étranger" (1974) ou "l'activité mathémématique française est toujours brillante et d'un niveau international incontestable"(1976)
On ne peut pas ne pas se demander quel a été la politique du CNRS à l'égard des mathématiques qui constituaient une section à part entière du Conseil Supérieur de la Recherche Scientifique, instance consultative préfigurant le CN, dès sa création, en 1934 à l'initiative du mathématicien Emile Borel.

Les sources

Pour tenter de définir quelle a été cette politique et mesurer son impact éventuel, nous nous sommes appuyés en premier lieu sur le dépouillment du fonds AN 83-0008. Les 65 cartons de ce versement contiennent, abstraction faite de certaines lacunes, les archives du Comité national du CNRS des années 1970. On y trouve notamment des PV des discussions des différentes commissions ainsi que les feuilles des laboratoires. Pour notre étude - "les mathématiques au CNRS" - nous nous sommes limités à la consultation des documents de la section 01, puis, après la scission entre mathématiques et informatique intervenue en 1975, de ceux de la section I. Nous avons donc laissé de côté les PV de la section II dans la mesure où les problèmes relatifs aux relations entre mathématiciens et informaticiens trouvent un écho dans le débats entre membres de la section Mathématiques et Physique de Base (MPB). Ce problème a en outre été traitée par Pierre-Eric Mounier-Kuhn dans son mémoire de DEA, "Le Comité national et l'émergence de nouvelles disciplines au CNRS : le cas de l'informatique (1946-1976)", que nous avons utilisé pour la rédaction de cette note.
Pour compléter notre information, il a été fait appel au fonds documentaire du service des archives du siège où se trouve le dossier "les mathématiques au CNRS, 1933-1996" qui rassemble les photocopies des pages des rapports annuels de conjoncture concernant les mathématiques ainsi que divers autres documents librement consultables.
Afin d'éclairer les données fournies par les deux sources citées ci-dessus, nous avons jugé utile de nous livrer à une étude bibliométrique ponctuelle destinée à évaluer les performances des mathématiques françaises en général et celle des chercheurs du CNRS en particulier. Nous avons ainsi essayé de prendre la mesure de la pertinence des choix du Comité national dans le domaine des mathématiques.

Idée générale

Les années 1970 et surtout 1980 sont marquées par une double évolution dans le domaine des mathématiques au CNRS : l'émergence d'une volonté de créer des laboratoires et la définition d'une politique volontariste de développement des mathématiques appliquées. en correlation avec ces inflections, la place des mathématiques au sein du CNRS tend à prendre de l'importance. C'est au cours de ces années que, sous une pression exogène, née de la crise du recrutement universitaire, et conformément à la responsabilité nationale qui lui incombe en matière de politique scientifique, que le CNRS se voit obligé de modifier son rôle à l'égard des mathématiques. Sa mission s'était bornée jusque là à un soutien matériel de l'action de l'Université qui avait le quasi monopole de la production scientifique en mathématiques. En somme le CNRS avait été jusque là une Caisse nationale des Sciences plus qu'un centre de recherches à part entière. Or il semble que ce qui aurait pu n'être qu'une évolution provisoire née d'un phénomène conjoncturel, ait entrainé une révolution culturelle de la politique du CNRS en maths. A partir de 1977, le Centre a pris le relais d'une université, qui en raison du tarrissement du nombre de postes mis à sa disposition, était devenue incapable d'absorber le flux de mathématiciens entrant dans le métier. Mais à partir des années 1980, la situation des universités s'améliore. C'est une période d'expansion qui s'ouvre sans que pour autant le CNRS revienne au rôle qui était le sien avant la crise. Au contraire, il semble qu'il soit devenu un centre de recherche en mathématiques à part entière et notamment en mathématiques appliquées, domaine dans lequel son action a été décisive.

Première période : 1970-1975. Le CNRS : une caisse des sciences

Le début de la décennie 1970 ne voit pas encore de modification notoire du rôle du CNRS dans le domaine des mathématiques. Le Centre reste pour les maths ce que son ancêtre des années 1930, la CNRS, était pour l'ensemble des disciplines : une caisse distribuant des subventions. Or la place des mathématiques au CNRS sont le reflet de son rôle dans ce domaine de recherche.

- La place des mathématiques au CNRS
Un faisceau d'indicateurs montre que les mathématiques ont une place restreinte au CNRS.

- Le nombre total de chercheurs dépendant de la section 01, puis I, est, malgré une augmentation en valeur absolue des effectifs, largement inférieur à celui des autres sections. En 1966, cette section avait la charge de 64 chercheurs, contre une moyenne de 235 pour les sections 2 à 14. Plus de dix ans après, cet effectif n'est que, en comparaison des 374 physiciens nucléaires ou aux 346 biochimistes, de 163.

- Le taux de croissance de l'effectif est l'un des plus faibles du CNRS puisque qu'il est de 1, 1 % en 1966 puis se stabilise autour de 3 % durant les années 1970. Le nombre postes créés chaque année est faible puisqu'entre 1970 et 1974, la moyenne s'établit à 5 environ. Le renouvèlement est en revanche important. Il atteint durant ces cinq années à une moyenne de 33.

- Conséquence du renouvellement annuel moyen qui atteint un taux de 17, 6 % (contre 4, 5 % dans les autres disciplines)la jouvence des effectif est incontestable. La moyenne d'âge n'est que de 29 ans.
Les raisons de ces chiffres qui font des mathématiques une discipline atypique au CNRS sont à chercher dans le fait que l'ancienneté moyenne au Centre est de 3 ans et 9 mois (en 1973)

- Le CNRS : un dispensateur de bourses

Les chercheurs en mathématiques sont effet en grande partie des AR qui ne restent au CNRS que le temps de mener à bien leur thèse. Depuis la réforme du CNRS de 1945, les AR sont en effet des boursiers qui ne disent pas leur nom. Comme l'écrit F. Joliot, qui crée ce grade lors de la réforme de 1945, "le nom de 'boursiers' ne nous plait pas(les jeunes chercheurs) deviennent des attachés. Les candidats ne doivent pas avoir l'impression qu'ils sollicitent une faveur, mais que leur rémunération est la contrpartie d'une activité primordiale au point de vue national" J.-P. Serre, qui est resté au CNRS de l'âge de 22 à 28 ans en témoigne: "Je serais volontiers resté plus longtemps, mais la morale de l'époque ne me laissait pas le choix : un mathématicien qui a soutenu sa thèse doit prendre un poste dans l'Université et laisser sa place aux plus jeunes" L'on pourrait aussi citer le cas de madame Crehange qui avait été recrutée pour une durée limitée en 1971 et ne demande pas son renouvèlement AR car elle a passé sa thèse. Le CNRS permet ainsi à des jeunes de faire leur thèse sans à avoir à assurer un enseignement dans les établissements du secondaires ou du supérieur. L'on comprend donc que le taux des départs est, en 1973, de 14 % en section 01.

La pyramide des grades des mathématiciens est ainsi fort différente de celle de toutes les autres disciplines scientifiques du CNRS. Cette disparité est encore flagrante en 1980, seule date pour laquelle nous avons les effectifs pour chaque grade dans toutes les disciplines scientifiques représentées au CNRS. En mathématiques, les AR représentent près de la moitié (44, 78 %) des effectifs de chercheurs, soit deux fois plus que la moyenne des autres disciplines de science exacte (22, 56 %). La singularité de la situation des mathématiques est d'autant plus sensible qu'on la compare à celle de l'astronomie de la physique nucléaire et de la physique théorique, que d'aucuns considèrent comme une branche des mathématiques . Ces disciplines sont en effet celles où le nombre des AR est le plus faible. Leur pourcentage y est respectivement, de 13, 50; 12, 29 et 16, 14.
Les mathématiques sont ainsi la seule discipline scientifique où des chercheurs non statutaires ont une telle importance numérique.
Si le CNRS n'est, pour les mathématiciens, qu'une simple "caisse des sciences", alors qu'il joue le rôle d'un institut pour la physique, c'est indubitablement la traduction de la place centrale de l'université dans la recherche mathématique. A la fin des années 1970, seuls 6 % des mathématiciens français sont chercheurs au CNRS . Ce n'est sans doute pas un hasard si le pourcentage des AR par rapports aux autres chercheurs atteint 46, 34 % en histoire et 42, 52 % en géographie, deux disciplines où le rôle de l'Université est prépondérant.

- Les raisons de cette configuration

Il y a a cela une explication institutionnelle et épistémologique
Le CNRS, par le biais du système des stages et des postes de AR, est mieux armée que l'Université pour fournir à un grand nombre de bourses à des mathématiciens prometteurs à un âge où leur "productivité" scientifique est maximale. Si le CNRS fonctionne comme "une pompe aspirante et refoulante" selon l'expression imagée de J.-M. Schwartz, c'est que la créativité maximale d'un mathématicien est atteinte avant la trentaine. La thèse constitue souvent le travail séminal du chercheur comme le montrent les biographies de quelques médaillés Fields qui doivent peut-être une partie de leur succès à ce système qui leur a permis de mobiliser toute leur énergie sur leurs recherches et d'être libérés de certaines contingences matérielles. J.-P. Serre a été attaché de recherche de 1948 à 1951, date à laquelle il soutient sa thèse sur les groupes d'homotopie des sphères, travail pour lequel il obteint la médaille Fields en 1954.Alexandre Grothendieck a été attaché de recherche de 1950 à 1953, chargé de 1953 à 1955, puis maître de 1955 à 1958. C'est au sortir de cette période qu'il a élaboré son "programme" de géométrie algébrique qui a été une source d'inspiration pour nombre de mathématiciens pendant les vingt années suivantes. Les carrières au CNRS ne doivent donc pas s'éterniser afin de ne pas tarrir le flux des AR entrants. La communauté mathématicienne a donc eu la volonté de privilégier le flux des jeunes chercheurs AR au détriment des promotions élevées. Les mathématiciens de la section 01, contrairement à leurs collègues informaticiens, refusent en 1975 de recruter au niveaun MR ou DR .

La logique d'un CNRS "institut" semble en outre ne pas s'imposer aux yeux des mathématiciens français. Le modèle physicien, gourmand en infrastructures lourdes et couteuses, n'est pas pertinent en mathématiques où la feuille et le crayon, le tableau et la craie restent pour bien des mathématiciens les seuls outils nécessaires à leur activité quotidienne. Ainsi que le résume une boutade qui a cours à l'époque : "mon crayon sait plus d'algèbre que moi". A. Lichnerowicz, qui appelle de ses voeux un CNRS agence à la manière de la NSF, résume la pensée de bien des mathématiciens : "Pourquoi faudrait-il les mêmes structures d'accueil pour la physique des hautes énergies et pour n'importe quelle discipline théorique ? Aligner le tout dans une gestion unique (le CNRS) est idiot. Avoir un même type de gestion pour l'histoire, les mathématiques, la physique des hautes énergies ou les grands observatoires, c'est absurde" En somme il est accepté que le CNRS serve de dispensateur de bourses et d'aides individuelles pour les universitaires mais pas de centre de recherche à part entière.

L'Université est considérée comme le giron naturel des mathématiciens. Il est en effet considéré, ainsi que le dit A. Lichnerowicz, que le facteur humain (est) beaucoup plus riche à l'université pour (...) engager à faire de la recherche. On considère en effet qu'un mathématicien doit être capable d'enseigner l'ensemble des mathématiques, ce qui poussait à se familiariser avec des domaines des mathématiques sans rapport direct avec les sujets de prédiléction, ce qui faccroissait la culture et fertilisait la recherche . J.-P. Serre a par exemple du apprendre pour ses cours sur la mécanique rationnelle, sujet qui n'était pas son domaine directe.

Les mathématiques restent en ce début des années 1970, une science individualiste qui se rapproche de l'art. Comme l'écrit Henri Cartan dans son discours prononcé à l'occasion de la remise de la médaille d'or en 1976 : "C'est précisément le caractère imprévisible de la découverte en mathématique qui rend vain tout projet de planification de la recherche fondamentale dans ce domaine. Que les autorités responsables du CNRS veuillent bien ne pas s'offusquer d'une telle situation ! Le seul moyen de favoriser la recherche mathématique consiste à assurer aux chercheurs l'indispensable liberté d'esprit et la possibilité de contacts fréquents qui permettent l'échange des idées. Il n'y a pas de meilleure justification pour la création tant attendue du centre international de recherche de Luminy" On pourrait donc considérer que cette strucutre des mathématiques au CNRS est la traduction institutionnelle du refus d'adopter les structures d'organisation qui sont celles disciplines experimentales.

- Le budget est essentiellement destiné aux chercheurs

Cela se traduit par une hypertrophie du poste budgétaire consacré au personnel. En 1974, 90, 53 % du budget en mathématiques pures et méthodologie mathématique (GT 2), contre 56, 59 % pour électronique, automatique, informatique (GS 7), y est destiné. Cette disparité entre les deux groupes qui appartiennent à la même section préfigure sa scission de 1975-76 sous la pression de l'informatique.
La sureprésentation des grades subalternes au sein d'un effectif de chercheurs réduit en comparaison de ceux des autres disciplines, conjugué à une absence de besoin en équipements lourds concourent à ce que la part du budget total des mathématiques - 15, 99 millions- ne s'élève qu'à 0, 9 % du budget consolidé du CNRS (1974)

- Peu de laboratoires (1945-1970)

Les mathématiques au CNRS ne sont quasiment pas organisées en laboratoires propres puisque en 1970 ils ne représentent que 7 % du nombre des laboratoires de ce type au CNRS. Les mathématiques arrivent donc bonnes dernières, loin derrière les SHS, qui comptent 13 % des laboratoires propres du CNRS, et "Matière et Rayonnement" qui fèdère 42 % de ces formations. En physique, 66 % des laboratoires existants sont associés au CNRS (1977) Pour les mathématiques, ce faible nombre de laboratoire va de paire avec la faiblesse du nombre de personnes qui y travaillent. Ils ne représentent en effet que 1 % de la répartition du personnel (42 % pour Matière et rayonnement et 10 % pour SHS)

Au début des années 1970, la notion de laboratoire est quasiment absente sauf pour l'informatique et les mathématiques appliquées. Ces laboratoires sont au nombre de trois : l'Institut Blaise Pascal, le Centre d'Econométrie et le Centre de Mécanique ondulatoire et appliquée. L'Institut Blaise-Pascal, créé en 1946, devait être "un centre de mathématiques appliquées unique au monde" destiné notamment à mener des recherches sur les machines à calculer et à être un centre de calculs pour les chercheurs scientifiques. Or ce deuxième aspect l'a emporté. Ainsi que le dit André Lichnerowicz, "l'informatique était (...) conçue à "Blaise Pascal" par le CNRS, plus comme une activité de service que de recherche sauf par R. de Possel." L'IBP, dont les centres de recherches sont réparties entre Châtillon, Paris et Grenoble, comprend notamment le laboratoire de calcul expérimental analogique qui mène ses propres recherches mais travaille aussi à façon pour des organismes autres que le CNRS et notamment pour l'industrie. Pour le compte du CEA, il a par exemple fait, en 1957, l'étude analogique du tranfert de chaleur dans un barreau d'aluminium gainé de magnésium et pour la société nationale des pétroles d'Aquitaine; il a mené des études analogiques diverses sur l'écoulement de gaz compressibles dans des conduites, sur la variation en fonction du temps de la pression dans le bassin de Lacq ...Le laboratoire de calcul numérique de R. de Possel, qui fait lui aussi partie de l'IBP, a travaillé sur des tables d'atmosphères stéllaires pour M. Pecker à l'aide d'une machine Bull ou sur des constantes de structure pour le laboratoire de J. Wyart. Les mathématiques pures restent réfractaires à une organisation en laboratoires, ce qui n'est pas le cas des mathématiques apppliquées qui ont été les premières à être strucutées dans des formations de recherche collectives. Pendant les décennies d'après guerre le peu de laboratoires appartenant au secteur des mathématiques sont en effet dédiés aux applications.
Des laboratoires associés font cependant leur apparition. le premier est le Centre de Mathématiques avancées de Strasbourg.

- Les missions secondaires du CNRS

En dehors des bourses de thèse, l'action du CNRS consiste en la distribution d'aides logistiques et financières contribuant à la circulation des idées. Les strucutres collectives aidées par le CNRS sont surtout des vecteurs d'idées, des lieux d'échanges et de rencontre : colloques, revues, bibliothèques. Cette fonction est assumée en coopération avec la SMF qui s'est fixée comme objectif "l'avancement et la propagation des études de mathématiques pures et appliquées" grâce à ses publications et ses séances.
Le CN vote par exemple une subvention aux journées arithmétiques de 1976 qui recoivent les spécialistes français de théorie des nombres et nombre de professeurs étrangers. Au total 200 personnes dont les trois-quart en provenance des universités françaises. Les questions traitées ont trait à tous les aspects de la théorie des nombres : formes modulaires, analyse p-adique, variétés abéliennes, approximations diophantiennes, répartition modulo 1. Les séances du matin consistent en des séances d'une heure dédiées à dresser un tableau de l'état des questions importantes; l'après midi doit être consacré à des séminaires travaillant en parallèle sur des travaux récents. Le travail est effectué en collaboration avec tous les départements mathématiques de France sous la responsabilité de J.-P. Serre.
Il permet à des chercheurs étrangers viennent en France grâce notamment à des postes roses et à des français de partir, essentiellement aux Etats-Unis.
II a une action essentielle à l'égard des publications. Le CNRS subventionne des revues ce qui lui permet d'évaluer leur qualité et donc de suggérer des recadrages si nécessaires. Le CN prend par exemple garde qu'elles soient dotées de comité de rédaction, que le système des referees se développe et que les maisons d'édition fassent connaitre leurs publications à l'étranger. En 1976, la commission remarque par exemple un écart croissant entre la date de présentation et la date de publication dans les CRAS. Le CN demande à cette ooccasion "un plan de charge pluri-annuel pour mener une politique cohérente"
Le CNRS a un rôle non négligeable dans le domaine des aides aux bibliothèques qui, comme le dit A. Lichnerowicz, "sont peut-être l'instrument le plus utile pour les disciplines théoriques" La bibliothèque de l'IHP est la meilleure de France pour les mathématique. Elle a le fonds le plus ancien dans cette discipline. "Voila qui nous rapproche des sciecnes sociales" (Lichnerowicz) Le CNRS s'est ainsi (pré)occupé de la bibliothèque de l'IHP qui n'est pas sous sa tutelle administrative. Son action à son sujet traverse toute la décennie et se prolong même au delà mais nous en parlons dans cette partie dans la mesure où par sa nature, cette action se raccroche aux missions traditionnelles du CNRS en mathématiques.
 

L'ENS et Bourbaki

Le CNRS a certes aidé des mathématiciens à se consacrer à leur thèse qui a été la matrice de ses succès postérieurs mais l'excellence des mathématiques ne peut lui être créditée.

Ce succès est avant tout celui de la rencontre d'une entreprise intellectuelle, Bourbaki et d'une institution, l'Ecole normale supérieure, qui ont façonné le champ des mathématiques françaises pour le meileur et pour le pire. Les formes tant institutionnelles qu'intellectuelles qui sont celles du champ mathématique français dans les années 1970 ont été modelées par Bourbaki au fur et à mesure que son succès prennait de l'ampleur et notamment dans les années 1950/1960 où le groupe accédait à des fonctions stratégiques de l'enseignement supérieur.

D'abord la méthode.et sa génèse. Elle est élaborée par un groupe de jeunes mathématiciens de la rue d'Ulm qui prennent comme pseudonyme "Nicolas Bourbaki", en référence à un canular de Raoul Husson (promotion 1921) qui en 1923 se fit passer pour un professeur suédois, Holmorgen, et fit un cours sur un théorème attribué à Nicolas Bourbaki , Le groupe initial se compose de Jean Delsarte (promotion 1922), Henri Cartan (1923), Charles Ehresmann (1924), Jean Dieudonné (1924) et Claude Chevalley (1926).

Dans les années 1930, ils entreprennent de réformer les mathématiques françaises qu'ils accusent, à juste titre, d'être sclérosées. Alors que jusqu'en 1914, l'Ecole française partageait avec l'Allemagne le leadership de la vie mathématique internationale grâce à des personnalités telles que Cauchy, Poincaré, Picard ou Hermite, la recherche mathématique française, qui commence à s'éssouffler avant la guerre, marque le pas dans l'entre-deux-gerres. Contrairement à l'Allemagne, qui a su protéger ses élites des ravages des combats, la France les a envoyées au front. En conséquence le corps professoral ne s'est guère renouvelé etla situation des mathématiques - commes des autres sciences - n'a fait qu'empirer. On retrouve ainsi Borel, Picard, Goursat, Lebesgue, qui ont tous plus de quarante ans et continuent de cantonner leurs recherches au domaine des fonctions réelles ou complexes. Ils se tiennent globalement à l'écart des progrès de la recherche allemande et la théorie des fonctions règne en maîtresse sur l'enseignement mathématique français, et notamment à l'ENS dont Emile Borel est le directeur-adjoint entre 1910 et 1920 avant de devenir député. Les domaines de recherche des Français s'assèche, personne ne s'est engagé dans les chemins ouverts par Poincaré, l'algèbre etla théorie des nombres ne sont quasiment pas l'objet de recherches. Le cours de Goursat, d'"une précision rigoureuse", est daté et ne se démarque guère des connaissances enseignées en mathématiques spéciales. Seules figures émergeant : Elie Cartan, le père d'Henri Cartan, mais il a la réputation d'être difficile à comprendre, et Hadamard qui dirige le seul séminaire de Paris.

Le renouveau vient des bourbakistes qui vont apprendre les mathématiques allemandes sur place. Emboitant le pas à André Weil, qui a soutenu une thèse séminale sur les équations diophantiennes après être parti étudier à Göttingen et à Berlin grâce à une bourse de la fondation Rockefeller (1926), Chevalley, qui s'est mis à étudier l'algèbre et la théorie des nombres, et de Possel se rendent aussi en Allemagne.

Les bourbakistes, devenus enseignants, entament alors la rédaction d'un manuel qui remplacerait celui de Goursat. Ils sont à l'origine d'une rénovation du contenu de l'enseignement français mais aussi des fondements des mathématiques. Il s'agit certes d'intégrer les progrès apparus à l'étranger dans des domaines comme l'algèbre moderne, la topologie, les espaces de Hilbert. Mais c'est aussi la volonté de changer le mode d'exposition des théorèmes. Ils décident de prendre les mathématique depuis leur début et de leur donner des fondements solides. Bourbaki est fils de Hilbert. Le mathématicien de Göttingen avait déjà en 1899 dans son livre Grundlagen der geometrie repris l'oeuvre euclidienne en la dotant de fondements axiomatiques sains. Après la création officelle qui intervient en 1935, l'objectif est d'écrire un traité dont l'ambition est de "prendre les mathématiques à leur début"

L'importance de Bourbaki est bien sur dû en grande parti à sa fécondité intellectuelle qui s'impose d'elle même. Mais les places stratégiques occupées par les membres du groupe ne peut qu'accentuer son impact dans la vie des mathématiques. On ne peut en effet pas ne pas prendre en compte le fait que Cartan ait regné sur le département de mathématiques de l'ENS entre 1940 - 1949 si l'on tient compte de ses séjours à Strasbourg et aux Etats-Unis - et 1965. Il y est en effet le seul professeur de mathématiques. En 1976, la plupart des mathématiciens de plus de 35 ans en activité à l'Université ou au CNRS ont été formés par Henri Cartan. Le choix de ces mathématiciens a été orienté par le "choix bourbachique" qui est dominant à l'ENS. Parmi ces élèves, l'on trouve presque tous les mathématiciens ayant reçu la médaille Fields dont Grothendieck qui bien qu'il ne fût pas normalien, a suivi le séminaire de Cartan pendant un an grâce à André Magnier qui avait découvert ce talent.

Entre 1955 et 1965, la domination intellectuelle de Bourbaki exerce un leadership institutionnel qui, ne se limitant plus à l'ENS, s'étend à l'ensemble de la vie mathématique française. Les principaux pôles d'enseignement des mathématiques sont "tenus" par des bourbakistes. En plus de Cartan qui continue à exercer son magistère à l'ENS, Serre est nommé au Collège de France en 1956, Schwartz, (Choquet), Chevalley, (Godement) professent à la Sorbonne. Quant à Grothendieck, il enseigne à l'IHES qui vient d'être créé par Léon Motchane. Il y dirige les travaux de Demazure, Giraud, Verdier, Raynaud, Deligne et Illusie.

C'est à cette époque (milieu des années 1950) que la géométrie algébrique devient le sujet noble par excellence, ce qu'elle reste jusqu'au début des années 1970. Comme l'écrit M. Andler, "la géométrie algébrique sera (...) le sujet 'de référence' des normaliens, c'est-à-dire le sujet qu'il était recommandé, implicitement plutôt qu'explicitement, aux 'meilleurs' normaliens de choisir comme domaine de recherche."
 

Deuxième époque : 1975-1980. La genèse des nouvelles réalités de la politique du CNRS en mathématiques

Les années qui suivent le redécoupage du CN voient naitre une double évolution pour les mathématiques au CNRS. A partir de 1975, le Centre entame d'une part une politique de rééquilibrage au profit des mathématiques appliquées qui ont été mises sous le boisseau par le choix bourbachique et d'autre part il essaie d'imposer la notion de laboratoire aux mathématiciens. La sédentarisation croissante des mathématiciens au CNRS est semble-t-il liée à ces deux mouvements, mais il faudrait préciser comment ces trois phénomènes s'articulent entre eux ainsi qu'avec des évolutions exogènes au CNRS. Ce n'est sans doute qu'à partir de ce moment que l'on peut parler de politique volontariste du CNRS.

Rééquilibrer au profit des mathématiques appliquées.

- La responsabilité de Bourbaki

Les mathématiques appliquées françaises (équations aux dérivées partielles, probabilités et statistiques) et même la logique, qui fait pourtant partie des mathématiques pures, sont sous-développées. En 1971, contrairement à d'autres pays, la France ne possède pas d'école de statistique mathématique. Comme l'écrit Didier Dacunha-Castelle, qui a été dans les années 1950 l'un des premiers normaliens à travailler dans le domaine des mathématiques appliquées, "l'influence , très positive dans certains domaines du bourbakisme, a eu des conséquences négatives par son sectarisme plus ou moins conscient." Bourbaki a en effet une grande responsabilité dans cette atrophie des mathématiques appliquées françaises. Ses choix épistémologiques qui sont relayés par les instituttions mathématiques françaises dont ils détiennent les postes clef peuvent être incriminés.

Gustave Choquet est un témoin à charge : "La plupart des mathématiciens de ma génération ont acquis une bonne partie de leur culture mathématique grâce à Bourbaki; leur style et leurs oeuvres en ont été influencées; ils en ont pris en partie les qualités et les défauts. Les défauts ? Il semble que tout groupe qui travaille dans l'isolement soit condamné au dogmatisme. C'est, me semble-t-il, le plus grand reproche que l'on puisse faire à Bourbaki : les définitions et les théorèmes sont assénés sans justification et sans présentation heuristique; ils ont la sécheresse et le dépouillement d'un squelette dont la chair, pourtant savoureuse, est rejetée dans les exercices; le lecteur qui les néglige finit par acquérir une vision caricaturale de l'activité mathématique. Ce dogmatisme s'est manifesté aussi, chez les bourbakistes, en dehors de leur traité, par des affirmations tranchées sur le développement souhaitable des athématiques : il y a le bon choix bourbakiste, qui va vers les grandes théories fermement établies, et le désintérêt affirmé pour les disciplines en gestation, ou incomplétement développées, mal formalisables. Celui des bourbakistes qui a le plus énergiquement proclamé ses exclusives est certainement Jean Dieudonné : c'est un grand mathématicien dont j'admire l'oeuvre, la capacité de travail et la franchise, mais ses opinions tranchées ont eu, à plusieures reprises, des effets néfastes, notamment son horreur des mesures abstraites utilisées en probabilités, sa méfiance de la logique formelle, son rejet du dénombrable en topologie suivi, plus tard, de son rejet de l'axiome de choix, son rejet d'axiomes géométriques en géométrie élémentaire" .Ainsi que le note M. Andler le point de vue bourbachique sur l'intégration de Lebesgue, qui privilégie l'aspect "mesure de Radon sur un espace localement compact", a entravé le développement des probabilités en France. Quant à la logique, elle a été sinistrée jusque dans les années 1960, en très grande partie parce qu'elle n'a pas été considérée comme de véritables mathématiques, et notamment par Bourbaki qui réfutait la pertinence de la question des fondements dont cette discipline se préoccupait. Or, dans ses aspects fondamentaux, l'informatique est fille de la logique. Les retards de l'informatique française ne sont pas tant de la responsabilité d'un individu, L. Couffignal, que de l'atrophie de la logique en France. Ce n'est pas seulement Couffignal qui "semble avoir ignoré les progrès de la logique formelle acquis pendant les années 1930" que la majorité des mathématiciens français. Il est vrai que la logique a aussi souffert d'une certaine ironie de l'histoire. La mort prématurée de Jacques Herbrand, qui s'annonçait comme un logicien surdoué et très au fait des recherches allemandes, en particulier de celles de l'Ecole de Vienne, dans le domaine. J. Dieudonné est même allé jusqu'à définir le "choix bourbachique" et à élaborer une véritable axiologie des différentes composantes des mathématiques. Il a par exemple écrit, non sans forfanterie, : "nous dirons qu'il y a des mathématiques nobles et des mathématiques serviles. Comment classer ? Il n'y a pas de vote. Les mathématiques, c'est une question d'aristocratie. Les bonnes mathématiques sont faites par très peu de gens (150 au 20ème siècle au plus). Il y a une poignée de leaders. Les bonnes orientations sont celles données par ces gens là : exemple Riemann; Elie Cartan; Siegel (...) Une théorie noble est une théorie considérée comme bonne par ces mathématiciens; l'opinion des autres est sans importance" Suit un palmarès des théories nobles et des théories serviles.

Il n'est donc pas étonnant qu'"à l'Ecole Normale, centre de reproduction de 'l'élite' et temple du bourbakisme, il n'y ait "aucune ouverture vers les mathématiques 'appliquées'" Les mathématiques étaient donc considérées (souvent à juste titre au niveau de l'enseignement supérieur français, mais pas ailleurs !) comme la chasse gardée des médiocres" Jean Benabou a quant à lui rappelé au séminaire Raymond-Loi de 1973, qu'il été "fortement déconseillé" à l'ENS de s'orienter vers les probabilités. Lors de ce séminaire, C. Chevalley a éstimé que Bourbaki n'avait plus qu'une stratégie de pouvoir".
Bourbaki n'est cependant pas le seul a devoir être incriminé. Des mathématiciens comme Poincaré, Hadamard et Lévy, qui ont tous trois été l'auteur de travaux importants en mathématiques appliquées n'ont pas fait école
Les mathématiciens ont en outre été plus que méfiants à l'égard des applications possibles de leurs travaux Il est vrai que pendant la Seconde Guerre mondiale, les mathématiques ont été mises à contribution par les militaires. L'on connait l'aventure des sept mille déchiffreurs, parmi lesquels Alan Turing et Marian Rejewski, rassemblés par la Government Code and Cypher School à Bletchley Park pour percer les codes allemands. De grandes figures des mathématiques n'ont pas caché leurs préventions, voire leur ferme hostilité, à l'égard des applications industrielles et militaires des mathématiques. C'est le cas de Godement, et surtout de Chevalley et Grothendieck qui ont fondé le mouvement pacifiste et écologiste "Survivre" qui a fait parler de lui au Congrès international des mathématiciens de Nice en 1970. Ce dernier, qui avait démissionné cette même année de l'IHES quand il avait appris qu'il recevait des subventions du Ministère de la Défense, s'en prend à l'activité mathématique qui, dit-il, ne peut que déboucher sur des applications militaires.

- Les raisons endogènes du développement des mathématiques appliquées au CNRS

L'émancipation des informaticiens, qui en 1975 obtiennent la création d'une section "Informatique, automatique, analyse des systèmes, traitement du signal", est pour une bonne part à l'origine d'une plus grande ouverture des mathématiciens sur les autres disciplines. Les mathématiciens appliqués ont en effet appréhendés leur séparation d'avec les informaticiens ainsi que le tête à tête avec les mathématiciens pures qui en résulte. Si la majorité des mathématiciens appliqués (probabilités, statistique, analyse numérique, mathématiques de la décision) ont souhaité s'inscrire en section I (maths pures, logique, analyse numérique, probabilités et statistiques), une partie d'entre eux a même désiré s'inscrire en section II. Ceux-ci regrettent d'être séparés des informaticiens, des automaticiens qui utilisent leurs résultats et leurs posent de nouveaux problèmes, ce qui créé une salutaire émulation. Ils considèreent en outre que la section II pourrait leur apporter des moyens en hommes et en matériel que la section I, qui a "priori" sera moins bien dotée, ne pourrait leur fournir. Ils redoutent enfin d'être traités en minorité par leurs collègues de mathématiques pures. Les informaticiens, électroniciens et automaticiens que leur section a vocation à être tournée vers les SPI, et que dans ces conditions ils redoutent que la présence d'un grand nombre de mathématiciens appliqués ne dénature cette section par un déplacement de son centre de gravité scientifique. Les chercheurs à forte colloration physicienne, qui sont issus des anciennes sections 03 et 04, menacent même de quitter la section II qui doit être définitivement institutée en février 1976. La direction est d'ailleurs elle-même opposée à une telle solution. J. Badoz explique ainsi que "le découpage et ses sous-titres traduisent une intention assez nette de la direction du CNRS avec laquelle les sections futures auront à travailler dans les années à venir, il apparait difficile de passer outre à cette indication sans motif grave" On comprend mieux cette phrase au prime abord sybilline si l'on sait que la direction du CNRS a imposé ce nouveau découpage du CN afin de constituer l'informatique en science autonome comme cela s'était déjà fait dans les pays anglo-saxons où se développaient les "computer sciences". Cette volonté s'était manifestée par la nomination en 1971 de W. Mercouroff, qui était chargé du développement de l'informatique au Ministère de l'Education, au poste de Directeur scientifique, puis la distinction de budgets distincts pour les mathématiciens regroupés dans un GT 2, et les informaticiens, automaticiens et électroniciens par l'instauration d'un GS 3 en 1973. L'aboutissement de cette volonté de la Direction étant le redécoupage du CN. Une forte présence de mathématiciens appliqués remettrait en cause ce choix, et notamment l'osmose souhaitée par la Direction Générale entre les informaticiens et leurs collègues automaticiens et électroniciens.

C'est donc pour remédier aux désagréments suscités par le cantonnement des mathématiciens en section I en encourageant des recherches communes entre mathématiciens appliqués et informaticiens, automaticiens, spécialistes de l'analyse des systèmes mais aussi avec des chercheurs d'autres disciplines. La Direction du CNRS propose la création d'un Comité thématique de mathématiques appliquées et/ou la participation des mathématiciens appliqués à un Comité sectoriel de physique. Or, ainsi que le souligne la direction, la création d'un Comité thématique implique la mise en place d'ATP. Il est dit que "un tel comité peut très bien appuyer l'idée que les mathématiques pour l'ingénieur doivent avoir leur place au CNRS" La Direction réussit enfin à "vendre" ses recherches interdisciplinaires, sinon à l'ensemble des mathématiciens, du moins à ceux d'entre eux qui font font des mathématiques appliquées. Cela est d'autant plus facile que la commission pense que la direction du CNRS n'a pas tenu compte de ces besoins dans le budget de la section I. Elle réclame la mise en place d'une politique financière de l'outil informatique de la section I pour pouvoir doter les laboratoires qui le désirent en terminaux et l'accès des principaux d'entre eux aux gros ordinateurs. La volonté claire de rééquilibrer les mathématiques au profit des mathématiques appliquées vient donc en 1976.

Alors que la commision s'était toujours refusée à pratiquer l'affichage thématique ou des laboratoires, elle décide en 1976 d'afficher les thèmes mathématiques apliquées et analyse. Raviart demande qu'il soit fait une comparaison avec les Etats-Unis qui ont "instauré une bonne fusion entre les mathématiques appliqués et pures."
Il faudrait en outre s'interroger sur la répartition des élus mathématiciens purs et appliqués pour expliquer convenablement les raisons de la mise en place d'une politique de soutien aux mathématiques appliquées. Des gens comme P.-A. Meyer ou Raviart, qui sont des mathématiciens appliqués semblent tenir un grand rôle dans les nouvelles orientations du CNRS.
Des facteurs exogènes au CNRS semblent déteminants dans l'explication de l'appréhension du départ des informaticiens et de leurs moyens de calcul par les mathématiciens appliqués. On peut par exemple considérer que cette réorientation du CNRS enterrine "la tendance actuelle des mathématiques appliquées, que ce soit en analyse numérique, en optimisation, en statistique consiste à attaquer les problèmes concrets de taille de plus en plus grande en utilisant judicieusement l'outil informatique" Cet outil est d'ailleurs de plus en plus utilisé en mathématiques pures.

Une ATP "mathématiques pour l'ingénieur" est donc créée avec le double objectif d'établir des liens entre les mathématiciens et les chercheurs d'autres disciplines (mécanique, physique, biologie) et de mettre à leur disposition des moyens de calcul. En 1976, elle bénéficie de 700 000 francs. C'est une nouveauté...qui n'échappe pas aux critiques de certaines membres de la commission. Bien que les ATP n'obèrâssent pas le budget normal de la commission puisque leur budget est indépendant du budget normal et que le CN est bien représenté au comité de chaque ATP, le président "proteste contre les ATP dont la gestion échappe au CN". G. Mokobodzki déplore que les crédits ATP ne soient pas contrôlés par la commission. D'autres dangers des ATP sont redoutés par la commission : les sommes sont données pour une courte durée, du personnel est engagé sur vacation alors que les crédits ne sont pas attribués pour cela, les candidats gauchissent leur programme de recherche pour entrer dans le cadre de l'ATP.En 1979-80, le CNRS, poursuit une ATP "Applications des mathématiques" avec le même but que l'ATP "mathématiques pour l'ingénieur"

La direction essaye d'inciter les mathématiciens à créer une ATP en mathématiques pures, ce qui permettrait notamment de lancer Luminy.
Auparavant, la préoccupation du développement des mathématiques appliquées elles-mêmes et de leurs contacts avec d'autres disciplines n'a cependant pas été absente des préoccupations du CN. Mais il ne semble pas qu'il y ait eu une volonté claire de développer ces branches des mathématiques. Il s'agissait d'initiatives venant de la communauté mathématicienne auxquelles le CN répondait par les moyens d'action qui sont ceux que nous avons décrit dans la première partie. (voir printemps 1975) Chaque année la commission octroie par exemple 7, 2 KF à l'école d'été de probabilité

Dans les années qui suivent, et notamment en 1979, l'ATP "Mathématiques pour l'ingénieur" semble s'aclimater puisque la commision réclame que son budget soit doublé et passe ainsi à 1 million de francs. La somme allouée à cette ATP n'est en effet plus que de 500 000 francs contre 700 000 lors de sa création. Est-il contradictoire que le Président demande au Directeur scientifique que les crédits d'ATP soient diminués afin d'augmenter de 10 % les crédits du CN ?
Le développement aux mathématiques appliquées passe aussi par l'association de laboratoires. Le soutien du CNRS aux maitres de la recherche en analyse numérique est par exemple prépondérante. L'ERA 7478 Centre de mathématiques appliquées de l'EP dirigée par Jean-claude Nédelec, maitre de recherches, et LA 0189 Analyse numérique de Pierre Arnaud Raviart (UP 6) où l'on trouve 36 chercheurs (dont JL Lions) parmi lesquels 12 chercheurs CNRS, sont des outils précieux pour le développement de la recherche en mathématiques appliquées.
Le CN agit aussi par le rééquilibrage entre les postes de chercheurs de mathématiques appliquées et pures. En 1978, il y avait encore une inégalits la répartiton des postes. Sur les trois postes créés, deux ont été attribués au mathématiques pures et un seul aux mathématiques appliquées, la commission étant redevable à ces derniers d'un demi poste par la suite. Au total les mathématiques pures reçoivent huit postes et les mathématiques appliquées trois. Les postes sont répartis à égalité entre les mathématiciens purs et appliqués. Mais le taux de création étant faible (2, 5 %), et même plus faible que ne le souhaitaient les commissions du Plan qui prônaient 4 à 5%, le rééquilibrage au profit de ces derniers ne peut se faire que progressivement . pour accélérer le mouvement, des redéploiement sont effectués.

Le CNRS a-t-il modifié la part des normaliens, qui comme on le sait ont été pour la plupart formés par Cartan ?Ainsi que le dit Winter , contrairement à d'autres sections, la majorité des chercheurs recrutés en mathématiques sont issus des ENS. En 1978, sur 11 nouveaux AR, 6 sont issus des ENS soit 54 %. Tous les autres, à l'exception d'un seul, sont des boursiers DGRST. Il semble d'ailleurs qu'il y ait une certaine collaboration entre les professeurs des ENS et le CN pour l'évaluation des candidats à l'entrée au CNRS. Verdier et Giraud, respectivement professeur à ULM et Saint-Cloud, ont transmis le classement interne des normaliens qui présentent leur candidature au CNRS . Mais ce document reste indicatif. Le CN ne suit pas tout a fait le classement puisque un des candidats classé en seconde ligne par l'ENS St Cloud, est recruté alors que l'un des deux qui était en première place ne l'a pas été. C'estVerdier qui propose de ne pas recruter les élèves de 3ème année de l'ENS, ce en quoi il est suivi, après une discussion, par le CN. Il faut noter que les normaliens ne sont peut-être pas toujours majoritaires. L'évolution de la part des normaliens recrutés est difficile à établir dans la mesure où l'on ne dispose pas de tous les documents nécessaires. Il est cependant vraisemblable que le temps où Henri Cartan faisait la pluie et le beau temps sur les recrutements au CNRS est passé. Il est par remarquable a commission prépare en 1976 un texte d'information sur le recrutement destiné à être diffusé dans les universités et les formations de recherche afin de faire savoir que le fait que "trop de très bons candidats se présentent dans le domaine de la géométrie algébrique et de la topologie différentielle", qui sont les domaines de recherche de prédilection des normaliens, et qu'elle souhaite "un rééquilibrage en direction de l'analyse et des mathématiques appliquées .
Les résultats semblent encourageants puisque en 1981-82, il est signalé que quelques équipes sont excellents dans le domaine de la modélisation, des statistiques, des méthodes numériques.

Grâce à son rôle d'évaluation nationale des chercheurs, le CN a pris la mesure du déséquilibre entre mathématiques pures et appliquées. Sur ce plan, le CN est mieux placé que les conseils d'universités. Mais la commission a-t-elle joué un rôle pionnier dans le domaine des mathématiques appliquées ou s'est-elle contentée de suivre un mouvement déjà engagée à l'extérieur du CNRS ?

- Un rééquilibrage qui devance le CNRS ?

On considère souvent que l'invitation de professeurs étrangers comme Georg Kreisel, logicien américain ou Joseph Doob et Michel Loève qui sont des probabilistes, par Henri Cartan, bien qu'il soit bourbakiste, a été bénéfique pour le développement des mathématiques appliquées en France. On ne peut nier c'est à cette occasion que Jacques Neveu (fondera une importante école de théorie des probabilités) et Paul-André Meyer (a une grosse équipe de théorie des probabilités à Strasbourg) sont devenus les disciples de Loève et ont donc repris en France le flambeau longtemps délaisssé de P. Lévy. Mais certains ont contesté le rôle de ces invitations dans le rééquilibrage du spectre des mathématiques françaises au profit de ces sujets délaissés. Didier Dacunha-Castelle affirme par exemple : "le développement de la logique en France est dû d'abord à la pression de ses résultats et à quelques individualités qui ont su aller à contre courant, avec une conviction bien ancrée (et non au passage éphèmère de quelques mathématiciens étrangers)" D. Dacunha-Castelle poursuit et écrit qu'il est d'ailleurs à remarquer que 15 ans après, la théorie des ensembles n'est toujours pas enseigné (sous ses aspects élémentaires) dans bien des ca aux futurs enseignants du secondaire, notamment à Orsay (et ce n'est pas un hasard !)"

L'on pourrait par exemple se demander pourquoi l'oeuvre de Paul Lévy, polytechnicien né en 1887, qui a été, avec Kolmogorv, l'un des grands promoteurs du calcul des probabilités est redécouverte dans les années 1960 par ses compatriotes alors qu'auparavant il a été "victime d'un ostracisme à peu près complet de la part des mathématiciens français" Quel a été le rôle du CNRS en analyse numérique qui s'est développée avant les années 1970 ?. En 1971, une centaine de chercheurs travaillent en effet dans ce domaine en France et une cinquantaine y préparent des thèses d'Etat. Il y a eu de bons résultats dans les deux domaines principaux : alèbre et algorithmique numériques, analyse mathématique appliquée au calcul.
Il y a peut-être une modification du choix bourbachique. Bourbaki a peut-être senti le vent tourner. Lors du séminaire Raymond-Loi de l'ENS, Dieudonné avait rétorqué à Benabou que depuis les années 1950 les probabilités, qui étaient alors mal vues, ont "acquis un véritable statut mathématique". Dans une conférence donné à Bordeaux, établit une axiologie des théories nobles et serviles, les premières étant en premièer ligne. Il écrit "il faut savoir reconnaitre que l'on s'est trompé : c'est ce que fait toujours Bourbaki". Il place à la première ligne la logique et les probabilités.
Toujours est-il qu' entre le début des années 1960 et leur fin, un frémissement est perceptible. L'idéologie dominante reste celle d'une survalorisation des grands problèmes historiques au détriment des sujets classés dans le domaine des mathématiques appliquées. Comme l'écrit Dieudonné en 1973, "il faut des sujets ayant une longue histoire; des sujets ayant attiré de grands mathématiciens du passé. Pas de génération spontanée. Pour d'autres, n'importe quoi est intéressant pourvu qu'on fasse des Mathématiques. C'est la position des deux tiers (2/3) des mathématiciens Américains et de certains mathématiciens Français." Mais les progrès réalisés pour les ordinateurs dynamisent quelques secteurs de la recherche mathématique. Des disciplines comme l'économie posent des problèmes relevant graphes, probabilités,, statistiques...
Une chose est sûre : le CNRS a devancé la réorientation de l'ENS. Ce n'est en effet qu'à partir du début des années 1980 que l'Ecole que l'Ecole dispose d'un centre de mathématiques appliquées dirigé par Claude Bardos. Il a en outre financé le laboratoire de P.-A. Meyer.

La deuxième grande orientation de la politique du CNRS en mathématiques est création de laboratoires.

- Rassembler

Un chiffre suffit à montrer la détermination du CNRS à rassembler les mathématiciens dans des laboratoires : en 1979, seuls 5 % des chercheurs CNRS mathématiciens travaillent hors des laboratoires reconnus.
L'une des principales raisons de cet axe de la politique du CNRS est l'incrimination par les membres de la commission de la dispersion des mathématiques dans les petites universités. C'est pourquoi ils insistent sur la nécessité "d'une taille critique pour les équipes provinciales, qui devraient disposer de surcroit de crédits de missions adaptés à leurs besoins" La notion de laboratoire mathématique tend à s'imposer.
D'un point de vue macro-historique, l'on peut aussi penser qu'il s'agit du produit d'un mouvement que Max Weber prophétisait en 1919. Le sociologue écrivait : "Les grands instituts de science et de médecine sont devenus des entreprises du capitalisme d'Etat. Il n'est plus possible de les gérer sans le secours demoyens considérables (...) Je suis convaincu que cette évolution touchera mêm des disciplines dans lesquelles le travailleur est personnellment propriétaire de ses moyens de travail (essentiellemnt de sa bibliothèque)Pour le moment le travailleur de ma spécialité est encore dans une large mesure son propre maître, à l'instar de l'artisan d'autrefois dans le cadre de son métier. Mais l'évolution se fait à grands pas"

Comme le montre le chiffre que nous avons cité, le CNRS a bien rassemblé les mathématiciens dans des laboratoires sans que l'on puisse toutefois parler de collectivisation de la recherche. Pour tenter de voir si cette politique a eu un impact sur les pratiques réelles de production scientifique des mathématiciens, nous avons établi la moyenne du nombre d'auteurs signant un article dans le Bulletin de la Société Mathématique de France. Cette revue nous a semblé être un bon terrain d'étude dans la mesure où elle est généraliste qui publie en majorité des articles de chercheurs français, même si ceux-ci ne sont pas les seuls, qui font partie de l'association de la SFM. Or nous avons établi que la moyenne des auteurs signant un article dans le BSMF est de 1, 181 pour la décennie 1970. Entre 1970 et 1974, cette moyenne est de 1, 135. Dans la période de réorientation au profit des mathématiques appliquées, a priori plus susceptible de susciter des articles collectifs, cette moyenne augmente, mais très peu. Elle passe en effet à 1, 218 (1975-79) On note cependant que le nombre moyen d'auteurs par article passe à 1, 437 dans la décennie suivante (1980-89) (Il faut défalquer les articles écrits par des auteurs étrangers.) Les articles signés d'un seul auteur restent donc majoritaires et il est rares que les articles collectifs soient signés de plus de 2 mathématiciens.
La pratique effective des chercheurs du CNRS, qui comme on l'a vu commencent à être rassemblés dans des laboratoires, se démarque-t-elle de celles des universitaires restés hors des laboratoires du CNRS. Pour le savoir, il faudrait calculer la proportion des auteurs appartenant au CNRS qui publient des articles collectifs et notamment avec leurs collègues de laboratoire.

Cette politique de création de laboratoires est-elle corrélée à la sédentarisation croissante des mathématiciens au CNRS ?

Inflexions dans la pyramide des grades des chercheurs

Il semble qu'en liason avec la volonté de collectiviser la recherche, la pyramide des grades des chercheurs CNRS en mathématiques tende à perdre de sa spécificité. Il conviendrait de s'interroger plus précisément sur la corrélation de ces deux mouvements : la collectivisation est-elle née mécaniquement de la pression exogène engendrée par la pénurie de postes universitaires et donc de la nécessité pour le CNRS de doter ses chercheurs devenus permanents, de structures de recherche que l'on trouve dans les autres disciplines ? En somme s'agit-il d'une simple transposition du modèle physicien aux mathématiques ou d'une diffusion à l'ensemble des mathématiques des strucutures que réclamaient les mathématiciens appliqués ?

Une chose est sûre : la commission I commence en 1976 à revendiquer une plus grande place au sein du CNRS. Le président déclare ainsi que "les méthodes utilisées par la Direction du CNRS et les instances à convaincre ne datent pas d'aujourd'hui : les 'bons' secteurs obtiennent des crédits et les autres végètent, ce qui et le cas des mathématiques. La pénurie impose un redéploiment à l'intérieur d'une enveloppe, sans concertation réélle" Certaines personnes pensent que la création de postes dans l'enseignemetnsupérieur sont "bien moins utiles" qu'au CNRS Meyer pense que la situation des enseignants-chercheurs est meilleure que ceux des chercheurs et il dénonce la situation "inconfortable" des débutants à qui l'on impose "des limites de temps et l'obligation d'être immédiatement productifs" Un certain corporatisme des chercheurs du CNRS semble s'affirmer. La crise et donc la pénurie de moyens a sans doute exacerbé la concurrence entre université et CNRS et par conséquent détruit la symbiose qui existait entre les deux organismes. Les menaces qui pèsent sur la recherche pure, conjuguée à la distorsion du système de la triade en vigueur jusqu'alors, renforce sans doute les revendications syndicales favorables à un CNRS institut. Helffer demande la création d'"un statut CNRS proche de celui de la fonction publique" officiellement pour faciliter les échanges d'enseignatns-chercheurs avec l'Université .

Le nombre des AR diminue régulièrement. Ils sont 106 en 1977, 96 en 1979 et 73 en 1980. Par un phénomène de vases communicants, le CR, MR et DR prennent une importance numérique qu'ils n'avaient pas auparavant. Les CR, MR et DR passent respectivement de 29, 11 et 4 en 1977 à 46, 13 et 9 en 1979. La structure hiérachique des chercheurs de la section I entame donc un mouvement qui tend à atténuer petit à petit la prédominance des AR sur les autres grades même s'ils restent majoritaires en 1980. En 1977, la direction du CNRS réussit à obtenir davantage de postes de CR et à l'automne 1977, la commission "déplore le manque de postes de MR et DR." Un nombre considérable d'AR sont docteurs mais ne quittent pas le CNRS. Le nombre des AR de plus de six ans augmentent régulièrement. La commision ne prend donc en compte que, sauf exception, les attachés de plus de six ans pour le classement des dix premiers au grade de chargé. Mokobodski, qui est le président de la commission rappelle "le déséquilibre de la section I entre les chercheurs A et B"Le directeur pousse lui même à la création d'un corps permanent de chercheurs.

Si l'on commence à faire carrière au CNRS, c'est que les postes qui auparavant abondaient dans l'enseignement supérieur, ont commencer à se raréfier en 1973 et qu'ils se sont tarris à partir de la fin des années 1970. Le recrutement universitaire ne reprendra qu'à la fin des années 1980. Or, comme l'écrit P.-A. Meyer : "la commission ne doit pas se contenter de gérer le CNRS. Il faut qu'elle se préoccupe de son véritable domaine c'est-à-dire les mathématiques françaises. Elle doit s'interdire tout patriotisme CNRS. Il s'agit donc pour elle de faire tout 'patriotisme CNRS'. Il s'agit donc pour elle de faire ce qui est le mieux pour les mathématiques et non pour le seul CNRS . Le problème qui se pose à elle est 'comment améliorer le problème dramatique de l'accès des jeunes générations à la recherche ?' Meyer poursuit : "pour les créations au CNRS, il ne faut pas engager des débutants sans leur laisser des possibilités d'avancement. Un bon nombre des postes d'attachés offerts aux entrants devraient provenir de départs d'attachés vers des postes de chargés et de même au niveau de chargés. Pour le CNRS, il faudrait obtenir l'engagement de maintenir un certain flot de création de postes et de transformations de postes, quelle que soit l'austérité ambiante. C'est la régularité de l'efort qui est essentiel pour le niveau des mathématiques" En automne 1977, Winter, qui est le directeur scientifique, joint sa voix à Meyer pour rappeler qu'il "faut dix ans pour former un chercheur, et ce n'est pas en un ou deux ans que l'on pourra ensuite rattraper une situation dégradée depuis dix ans : on sacrifie toute une générattion de chercheurs" En 1979, Meyer "souligne l'importance que représentent les postes du CNRS pour les jeunes chercheurs mathématiciens à qui l'Université 'ferme la porte'" Le CNRS préserve l'avenir des mathématiques qui sont menacées par les instruction données par le Premier ministre au sujet du budget de la recherche. Il prévoit en effet de ne pas créer des emplois dans les secteurs non prioritaires comme les mathématiques, le maintien en valeur des crédits de fonctionnement qui en francs constants ont déjà bien été affectés depuis un certain nombre d'années, les crédits d'équipement doivent baisser, en francs courants, de 15 %. Or cette situation est particulièrement grave pour les mathématiques puisque l'université qui jusque lors avait le quasi monopole de la recherche dans ce domaine, ne recrute plus du tout.
Des pratiques inconnues jusqu'alors font leur apparition. La commission s'inquiète par exemple du fait que des maîtres-assistants titulaires qui sont détachés au CNRS pour faire leur thèse, et qui une fois celle-ci soutenue, y demeurent, ce qui contribue au fait que les universités ne nomment personne sur ces postes qui restent bloqués.
Ce phènomène semble être le prélude au boom des effectifs globaux de chercheurs consécutif au changement politique de 1981.
 

Conclusion

L'attribution de la médaille Fields à Pierre-Louis Lions, fils de J.-L. Lions, et à Jean Christophe Yoccoz en 1994 est assurément un succès du CNRS. Ces deux mathématiciens sont en effet sortis de l'ENS au moment où la pénurie de postes dans l'enseignement supérieur est à son comble. Or s'il n'y avait eu le CNRS, ils n'auraient peut-être pas pu fiare de la recherche mathématique.
Alain Connes , qui est alors DR au CNRS et dont les travaux sont à la confluence de la physique théorique et des mathématiques, est peut-être un succès qui est redevable au CNRS.


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