Le Comité national du CNRS
Essor et déclin d'un parlement de la science
Pour citer cet article : http://www.histcnrs.fr/histoire-comite-national.html, J-F Picard
Le Centre national de la recherche
scientifique (CNRS) a été créé en grande partie à l'initiative d'un
'Conseil supérieur de
la recherche scientifique' (CSRS) réuni à l'instigation de Jean Perrin
au début des années 1930. Cette assemblée représentative de la
communauté scientifique devanu Comité national de la recherche
scientifique au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale a ainsi tenu un rôle central
dans le
fonctionnement du CNRS, au moins jusqu'à son effacement relatif à la
fin du siècle dernier dans les circonstances évoquées ici.
A l'origine, un 'Conseil supérieur de la recherche scientifique'
Au printemps 1930, un groupe de normaliens progressistes dont les
convictions se sont affirmées dans leur jeunesse lors de l'affaire
Dreyfus, fonde
L'Union rationaliste.
Cette aassociation d'inspiration franc-maçonne fondée a été créée
par les physiciens Paul Langevin et Jean Perrin, le mathématicien
Emile Borel et son confrère Jacques Hadamard, le chimiste Georges
Urbain, le doyen Paul Apell ou le sociologue Lucien Lévy-Bruhl. Tous
partagent la
conviction que l'avancement des sciences constitue le principal moteur
des progrès de l'humanité. On a vu l'un d'entre eux,
le physicien Jean Perrin, appelé à jouer un rôle central dans l'organisation de la recherche
publique en France. Le physicien des atomes n'hésite pas à affirmer le caractère messianique
de sa démarche : "
rapidement, peut être seulement dans quelques
décades, si nous consentons au léger sacrifice nécessaire (pour
l'organiser), les hommes libérés par la science vivront joyeux et
sains, développés jusqu'aux limites de ce que peut donner leur
cerveau... ce sera l'Eden. Un Eden qu'il faut situer dans l'avenir au
lieu de l'imaginer dans un passé qui fut misérable" [2]. En 1934, fort
de l’expérience acquise avec André Mayer à la
direction de l'IBPC,
Perrin suggère au ministre de l'Education
nationale de l'époque (A. de Monzie) de réunir les diverses
sources de financement de la recherche publique (Taxe Borel, Office des inventions, Caisses des sciences et des recherches
scientifiques) au sein d'une Caisse nationale de la recherche
scientifique placée sous les auspices d'un Conseil supérieur de la
recherche scientifique (CSRS). Ce Conseil composé d'un tiers de membres nommés par
l'Académie des sciences et les sociétés savantes, les deux autres par
des élus du monde universitaire dont un tiers représentant les jeunes
chercheurs (< 40 ans) a pour missionde répartir
les bourses de la Caisse nationale de la recherche scientifique, autrement dit de
soutenir l'émergeance de jeunes talents scientifiques.
Pour évoquer cette fonction, il use
d'une métaphore agronomique : "
tout le problème de
l'organisation scientifique consiste à trouver les jeunes esprits qui
pourront devenir 'Ampère' ou 'Pasteur'. Le hasard n'y peut suffire et
il faut y aider comme un bon jardinier qui sait reconnaître et
protéger, dans des champs d'herbes folles, les jeunes plantes qui
deviendront des arbres puissants..." et
Perrin de citer l'exemple de Michael Faraday, le jeune ouvrier
autodidacte qui a découvert les lois de l'électromagnétisme, mais pour
ajouter que l'"
on ne saurait admettre que l'activité scientifique dépende de la générosité d'un
mécène. Si l'on admet que la recherche est un patrimoine national, la
prise en charge des chercheurs constitue une responsabilité de service
public". Pour autant, il n'en dresse pas moins un ode à la liberté nécessaire à la recherche fondamentale, car "
l'esprit souffle où il veut" . En 1934 au Ministère de l'Education nationale, ces dispositions sont admises sans réserve par le
directeur des enseignements supérieurs, Jacques Cavalier, qui déclare que : "
quel
que soit son effort (financier), l'Etat ne croit pas devoir intervenir
pour imposer un programme ou des directives précises. L'orientation de
la recherche, c'est aux savants qu'il appartient de la faire. Ce
principe de liberté (sera) à la base de l'organisation de la recherche
scientifique en France" [4]. Ainsi se trouvent posées les règles de fonctionnement du CNRS pour le
demi-siècle à venir : priorité à la recherche fondamentale, liberté de manœuvre à la communauté scientifique.
Le CNRS entre recherche fondamentale et applications de la recherche
Mais dans l'immédiat, ces principes se heurtent aux prémisses de
la Seconde Guerre mondiale avec la nécessité d'une mobilisation
scientifique. En 1936, le
ministère de l’Education nationale (MEN) installe le Service
central de la recherche et confie au 'CNRSAppliqué' le soin de
mobiliser la recherche. Confronté aux "...querelles de savants, si redoutables
à arbitrer"
que n'a pas manqué de provoquer l'augmentation du budget de
la recherche, Jean Zay évoque la nécessité d'une 'politique
scientifique', un terme dont on relève l'utilisation pour la première
fois dans un discours officiel. Au printemps 1938, en concertation
avec Jean Perrin devenu l'éphémère secrétaire d'Etat à la recherche, il
préside une réunion extraordinaire du CSRS pour établir une première
ébauche du statut
de chercheur et décider l’installation des futurs laboratoires
propres du CNRS (Observatoire de haute Provence et
Institut
d'Astrophysique de Paris, Laboratoire de synthèse atomique de Joliot,
Trésor de
la langue française, etc.). Puis, quelques semaines après le
déclenchement de la Seconde guerre
mondiale, dans la plus grande discrétion un décret du 19 octobre 1939
réunit la Caisse nationale de la recherche scientifique, le Service
de la recherche du MEN et le CNRSA au sein d'un organisme
unique, le Centre national de la recherche
scientifique. Le CNRS), épaulé par le Conseil supérieur de la
recherche,
a pour mission de coordonner l'activité de l'ensemble du
dispositif de la recherche publique en France [6]. Au lendemain de la
défaite de
1940, malgré des menaces sur cette création du Front
populaire, le régime de Vichy confie les destinées de l'organisme
au
géologue
Charles Jacob.
Sous l'Occupation, le CNRS a ainsi pu assurer, non sans difficultés
(émigration de chercheurs, pénuries de ressources, etc.) son soutien à
des
recherches appliquées aux difficultés de l'heure, aliments et
carburants de substitution, physique médicale, etc. Au mois d’août
1944, dans la capitale à la veille de sa libération, Frédéric
Joliot
est nommé à la tête de l'organisme. Comme ses prédécesseurs,
Longchambon ou Jacob, il est
persuadé que l'intrication nécessaire entre la recherche fondamentale
et ses applications
implique une politique scientifique volontariste. Il confie par exemple
au
biochimiste Louis Rapkine la mise en place d'un 'groupe de
recherches opérationnelles’ inspiré des travaux réalisés
chez les Alliés pendant la guerre en matière d'électronique, de fabrication de pénicilline, de plasma sanguin, etc. [7].
L'improbable coordination scientifique
Cependant, ces dispositions destinées à confier la responsabilité
de coordonner la
recherche fondamentale et ses applications à un organisme unique n'ont
pas tardé à rencontrer de sérieuses
difficultés. La première tient au souci de la recherche
académique de récupérer les prérogatives dévolues à la caisse de la
recherche d'avant la guerre, I.e. le soutien à la recherche
fondamentale.
En 1945, Joliot se heurte à une assemblée d'universitaires réunis au
sein d’un Comité directeur, ébauche du futur Directoire du CNRS,
où sont cooptés une dizaine de scientifiques de
haute réputation. Parmi
eux le biologiste Marcel Prenant, certes étroitement lié comme lui au
Parti
communiste, se fait l'avocat de la
liberté due à la recherche fondamentale dont lui comme ses collègues
estiment avoir été spoliés par la mobilisation scientifique. Ainsi, la
proposition de nommer Maurice Ponte le patron de l’entreprise CSF, ancêtre de ‘Thalès’, dans ce comité est récusée par
le physicien Paul
Langevin au prétexte "...qu'il (serait) temps que le CNRS cesse de faire
des cadeaux à l'industrie" [8].
Une seconde difficulté non moins cruciale, liée à la précédente, tient au rattachement de l'organisme à
l’Education nationale, une disposition qui l'a empêché de
jouer le rôle de coordinateur de la recherche publique prévu par le décret de
1939. Sous l'occupation, de
nouveaux organismes, concurrents du CNRS, sont apparus à l'instigation d'administrations techniques soucieuses
de développer leur activité de recherche-développement,
l''Institut national d'hygiène',
l'ancêtre de l'Insermà la Santé, l’ORSTOM (devenu aujourd'hui IRD) par
le ministère des Colonies, le Centre national d'étude des télécoms
(CNET). D'autres suivent à la Libération parmi lesquels l''Institut
national de recherche
agronomique' (INRA), l’'Institut national d’études démographiques'
(INED) successeur de la 'Fondation Carrel pour l'étude des problèmes
humains' ou le 'Commissariat à l’énergie atomique' (CEA), un organisme
interministériel dont Joliot
prend la direction fin 1945 à la demande du général De Gaulle.
Le Comité national de la recherche scientifique
Au moment où il s'aprête à quitter le CNRS, Joliot officialise la
transformation du CSRS qui a survécu de
manière informelle à la Libération en Comité national de la recherche
scientifique (Ordonnance du 2 novembre 1945). Son successeur à la tête du CNRS,
le généticien
Georges Teissier, entend s'appuyer sur cette instance pour solder l'échec de la coordination scientifique et réactiver
les priorités dues à la recherche fondamentale. "Un reproche souvent fait
aux scientifiques français est d'avoir résolument ignoré la science
appliquée dit Teissier. Mais il ne faudrait pas que, tombant d'un excès
dans l'autre, on sacrifie au bénéfice de la recherche technique, la
recherche pure qui, seule, prépare l'avenir.../ Il faut sans aucun
doute développer la recherche technique redoutablement déficiente chez
nous, mais il ne faut pas que son développement ait priorité sur celui
de la recherche scientifique. Il ne faut pas qu'une politique
stupidement utilitaire prétende discriminer parmi les disciplines
scientifiques, celles qui sont rentables et celles qui ne le sont pas.
Il ne faut pas, enfin, que le contrôle nécessaire de ces activités de
recherche soit abandonné aux financiers ou aux économistes"
[9]. Exit la fonction de coordinateur de la recherche publique, le CNRS
renoue avec sa vocation initiale de soutien à la recherche
fondamentale. Réuni
pour la première fois en séance plénière à la Sorbonne au printemps
1948 , le Comité national élu est divisé en
trente sections (ou commissions) représentant la communauté
scientifique
au sein d'un parlement de la science découpé en fonction des chaires
universitaires [10].
Tableau I : Des commissions du Conseil supérieur de la recherche scientifique aux sections du Comité national
Ainsi, le rôle majeur du Comité national a concerné la professionnalisation de
la recherche, autrement dit le recrutement puis la gestion d'un corps
de chercheurs attachés au CNRS tel que cela avait été envisagé par Jean Perrin. En 1945, la refonte de
l'organisme opérée par Joliot coïncidait avec la disparition des
boursiers de la Caisse nationale d'avant-guerre : "le nom de boursier
ne nous plaît pas disait-il, (ils) deviendront des 'attachés'. Les
candidats chercheurs ne doivent pas avoir l'impression qu'ils
sollicitent une faveur, mais que leur rémunération est la contrepartie
d'une activité primordiale au point de vue national"
[11]. Une
nomenclature directement calquée sur celle de la hiérarchie
universitaire est donc créée : 'attaché et chargé de recherche' (AR, CR),
'maître' (MR) et 'directeur de recherche' (DR) pour chargé de cours,
maître de conférence et professeur de l'enseignement supérieur. Le
Comité national se voit ainsi chargé de recruter et d'apporter aux
chercheurs des dispositions qui les déchargent de toute activité autre
que celle de laboratoire. A partir des années 1950, ses sections
renouvelées tous les quatre ans, se réunissent deux fois par an en
session de printemps afin d'examiner les candidatures au recrutement et d'évaluer
l'activité des chercheurs, celle d'automne étant consacrée aux moyens
des laboratoires du CNRS et à l'affectation de leur personnel
d'ingénieurs, techniciens et administratif (ITA). C'est ainsi rappelle le sociologue Jean-Christophe
Bourquin qu'au sein du CNRS de l'après-guerre, les 'attachés de
recherche' (AR), c'est-à-dire les
jeunes embauchés à titre temporaire, sont le plus souvent les thésards
d'un mandarin universitaire, le patron du laboratoire auquel ils sont rattachés et souvent un membre du
Comité national [12].
Au cours des années 1950, la professionnalisation de la recherche
prend toute son ampleur avec l’apparition d’un syndicalisme
spécifique. Celui-ci résulte d'un clivage opéré entre les chercheurs
du CNRS et leurs
collègues
universitaires. A l'issue du colloque de Caen (1956) où sont envisagés
les
moyens de moderniser l'enseignement supérieur français, les chercheurs
imaginent les dispositions aptes à les décharger de toutes
fonctions pédagogiques. Une scission s’opère au sein du Syndicat
national de
l'Enseignement supérieur (SNE-Sup) pour aboutir à la création du
Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS). En 1959 pour
satisfaire à se première revendication, le SNCS obtient un statut
de la fonction publique pour les maitres et les directeurs de
recherche (M.R. et D.R.). Puis progressivement sous la pression des
élus du Comité national, la promotion des attachés (A.R.) dans le
corps des chargés (C.R.) devient quasi automatique. Lors des débats en
commission, il s'agira par exemple de "...donner la priorité au personnel en n'émettant
aucun vote qui puisse aller dans le sens d'un licenciement"
[13]. En
conséquence, les départs d’A.R. en fin de thèse qui représentaient
un
flux de 10% dans les années 1950, décroissent pour se stabiliser aux
environs de 2% au cours des années 1970. Outre la césure confirmée
entre le corps des chercheurs et celui des enseignants, cette évolution
justifie l'étendue des pouvoirs du Comité national qui a la main sur
une
masse salariale qui ne descendra jamais
au-dessous des 2/3 du budget de fonctionnement du CNRS, pour atteindre
les
9/10ème au
début des années 1980. En y assurant l'essentiel de la
représentation des chercheurs, le SNCS y joue un rôle crucial en face
de patrons universitaires, au
moins jusqu'au tournant des années
1980 lorsqu'apparait à ses côtés un syndicalisme d'inspiration
autogestionnaire, le SGEN-CFDT.
Un œcuménisme scientifique assumé
De trente sections à ses débuts, le Comité national en compte quarante cinq une trentaine d'années plus tard. Cette augmentation
illustre le souci de chaque discipline d'assurer sa
représentation au sein de l'organisme. Mais pour les instances
dirigentes du CNRS ce découpage est destiné
à répondre aux mutations opérées dans le champ des connaissances, au
développement des moyens nécessaires à certaines disciplines,
enfin à l'évolution des chaires universitaires notamment dans le
domaine des sciences humaines et sociales (SHS). Trois cas permettent
de cerner cette évolution et leurs différences : la physique, les sciences de la vie et les sciences sociales.
Dans une large mesure le CNRS des débuts fut une affaire de
physiciens. Pourtant, à l'inverse de leurs collègues mathématiciens,
ceux-ci n'ont pas tardé à s'affranchir largement des compétences du Comité national
[14]. L'astrophysique avait trouvé sa
place au CNRS dès l’avant-guerre avec l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP)
ou l'Observatoire de haute Provence (OHP), tandis que les années 1950
ont vu le développement de la radio-astronomie (Centre de Nancay).
Simultanément, la physique du solide a suscité très tôt
des
coopérations inter-organismes et internationales avec par exemple
l'installation d'un organisme très
autonome, le Centre d'études
nucléaires de Grenoble (CEN-G) de
Louis Néel
(Nobel de physique 1970)
[15]. Le CNRS a donc accompagné le développement de certaines disciplines très gourmandes en moyens lourds, ce qui l'a
conduit à ouvrir des instituts censées les affranchir des contraintes du
Comité national en matière de gestion budgétaire, comme de statut du
personnel. Dans les années 1960, à l'instigation de
Jean-François
Denisse,
les astrophysiciens et les géophysiciens se sont réunis au
sein d'un 'Institut national d'astrophysique et de géophysique' (INAG).
Néanmoins, pour répondre aux
craintes du Comité national de se trouver dépossédé de ses
prérogatives, Denisse propose que les sections
concernées (sect. 7, 14, 15 et 16) forment le conseil scientifique de
l'INAG [16]. Devenu
ultérieurement des sciences de l'univers (INSU), l'une des réalisations
internationales de l'INSU concerne la construction du télescope
franco-canadien
de Hawaii (1974) et plus tard la participation à celui de La Silla au Chilie (ESO). De même, la nécessité
d'équipements lourds comme les accélérateurs de particules a
contribué à l'installation d'un Institut national de physique nucléaire
et de physique des particules
(IN2P3) destiné à regrouper des équipes du CNRS, du CEA et de la
faculté des sciences d'Orsay en les plaçant en dehors des compétences
du
Comité national [17]. En revanche en 1976, le souci de
rapprocher les sciences physiques des activités de
recherche-développement a suscité l'ouverture par le
physicien Jean Lagasse
d'un département des Sciences pour l'ingénieur (SPI) avec le
regroupement de quatre sections du Comité national (sect. 8 à 11) dont
l'une consacrée à l'informatique et aux automatismes a réussi le
rapprochement fécond de la recherche de pointe et des
applications
industrielles [18].
Dans les
sciences de la vie (SDV), le brassage entre différentes
disciplines que facilite le Comité national s'est révélé positif.
Cependant, il a fallu l'influence des chercheurs de l''Institut de
biologie physico-chimique' (IBPC) comme
le généticien Boris Ephrussi
ou du
pasteurien André Lwoff pour
obtenir l'ouverture d'une section de
'biologie cellulaire', initialement refusée par les naturalistes du
Museum qui
redoutaient la baisse des moyens dédiés à la botanique [19]. Malgré
tout, l'interdisciplinarité du Comité national a permis
aux SDV de bénéficier des approches théoriques et des techniques
développées par les physiciens (imagerie, informatique) ou par les
chimistes (ultracentrifugation, chromatographie, etc.) au profit d la
biologie moléculaire avec l'intégration des laboratoires de l'IBPC.
Néanmoins, au début des années 1960 l'historien Xavier Polanco observe
qu'une Recherche coopérative sur programme (RCP) consacrée à la
nouvelle discipline s'est heurtée aux réticences des sections du Comité
national 'Chimie biologique' et 'Biologie cellulaire' et qu'elle ne sera
accueillie un peu plus tard sous l'intulé de 'Biologie
des interactions
cellulaires'. Inspirés par le modèle de l'IBPC, le tournant des années 1970 voit ainsi
l'installation de nouveaux ensembles dédiés à ce nouveau domaine de la recherche, tel le '
Centre de génétique moléculaire' (CGM) de Piotr Slonimski à Gif s/Yvette ou 'L'Institut de génétique et de biologie moléculaire' (IGBMC) de Pierre Chambon
à Strasbourg. L'évolution des sciences de la
vie au cours de ces décennies est d'ailleurs illustrée par le basculement au Comité national de la
proportion de chercheurs entre les les SDV et la Chimie (cf. tableau
ci-dessous). Dans les années 1980, les quatre sections de biologie
de 1945 sont devenues une dizaine dont celles de
'biologie structurale', de 'génétique'
et de 'neurosciences' et confirment la place désormais acquise par le
CNRS dans ce domaine. La croissance des effectifs dans ce secteur confirme son expansion, de 18
% des effectifs en 1950 à plus 30% trente ans plus tard, soit près du
tiers de l'ensemble du personnel CNRS (chercheurs et ITA). Il s'agit
souvent de chercheuses puisque les SDV représentent le
secteur le plus féminisé de l'organisme avec 50% de femmes à la fin
des 1970, contre une moyenne de 20 % dans les autres [20]. Reste que
dans les deux dernières décennies du vingtième siècle, la mutation des
sciences de la vie vers les
applications, biotechnologies, génomique, etc., n'a pas gommé certaines
aspérités entre disciplines réductionnistes (génétique moléculaire,
biologie de synthèse) et d'autres plus généraliste (biodiversité,
écologie) avec certaines conséquences qui seront évoquées
plus loin.
Tableau III : effectifs du CNRS et répartition par départements scientifiques
Le cas de la recherche médicale
illustre la molécularisation des sciences du
vivant. En 1938, une section de Médecine expérimentale est introduite
au CSRS à l'initiative du doyen de la faculté de médecine,
Gustave
Roussy. 25 ans plus tard, le développement de la recherche médicale
conduit le cancérologue
Georges Mathé, un pionnier de la médecine
moléculaire qui a participé à l'installation de l'Inserm en 1964, à demander le dédoublement de
cette section du Comité national qui compte alors le nombre respectable de 300
médecins-chercheurs. Dans les années 1970, la recherche médicale se scinde alors entre 'Pathologie' (sect. 23) et
'Thérapeutique' (sect. 24). Malgré les réticences de certains
scientifiques tel
Pierre Chambon qui estimait que "la biologie a plus
fait pour la médecine que la médecine elle-même"
[21], en concertation avec l'Inserm et l'Institut Pasteur, le
CNRS a largement participé aux avancées de la recherche médicale,
inscrivant par exemple dans une ambitieuse politique de
décentralisation menée avec l'Inserm la construction du Centre
d'immunologie de Marseille Luminy de François Kourilsky ou en revandiquant avec Pasteur des succès dans la lutte contre le
sida (
Nobel Montagnier en 2008).
Les sciences humaines et sociales (SHS) ont elles-aussi profité de
l'œcuménisme scientifique du Comité national, mais avec des résultats
plus mitigés. En fait, les humanités ont été introduites au CNRS dès
l'origine, non sans susciter les sarcasmes des sciences expérimentales,
par exemple lorsque Joliot devenu directeur s'interroge en 1944, "le CNRS en
viendra t-il à subventionner des romans?"
[22]. Pourtant le CSRS puis le Comité national ont permis
l'institutionnalisation
d'un certain nombre de disciplines non présentes à l'université,
telle l'archéologie avec deux sections créées par le ministre Jérôme
Carcopino, tandis que la section 'philosophie-sociologie-démographie'
inaugurait un nouveau champ de recherche au lendemain de la guerre avec
le Centre d'études
sociologiques (CES) avant qu'il n'émigre vers l'Ecole des hautes
études en
sciences sociales (EHESS). Dans les années 1970, suite au rapprochement
entre les humanités et les sciences sociales, le département SHS a su
profiter de sa proximité avec les laboratoires d'informatique,
notamment en matière de documentation [23]. De même il
a pu lancer des programmes interdisciplinaire, des actions
thématiques
programmées (ATP), destinés à investiguer de nouveaux domaines de
la
recherche en
sociologie urbaine ou en économie de la santé. Cependant, la place des
SHS au CNRS n'a cessé d'osciller
entre une présence justifiée par sa vocation
pluridisciplinaire et leur
insertion dans l'Enseignement supérieur qu'explique leur poids au sein
de l'Alma mater, comme l'importance des pratiques de recherche
individuelle spécifiques à ce domaine. En 1974, lors d'une enquête
menée par l'Organisation de coopération et de développement européen
(OCDE) sur l'organisation de la recherche, le sociologue Stanley
Hoffmann et l'économiste Wassily Léontieff préconisent leur suppression
au CNRS et la réaffectation de leurs budgets à l'Enseignement
supérieur. De fait, la multiplication des
sections relevant des SHS au Comité national peut s'expliquer par
des rivalités entre
titulaires de chaires, comme cela semble avoir été le cas
de la 'Philologie - linguistique' représentées par une unique section
en
1945 et par quatre dix ans plus tard (sect. 22 à 25). De même, la
sociologie dont on constate l'essemage au fil des ans dans plusieurs
sections du Comité
national (sect. 34, 35, 37, 38
et 45), s'est moin dilatée en fonction de critères
scientifiques solidement
établis que de l'habitus d’une communauté savante caractérisée par son
imprégnation idéologique.
Tableau II : Le Comité national de 1950 à 1982
CCRST - DGRST, une nouvelle donne dans l'organisation de la recherche
En 1959, le Général de Gaulle soucieux de préserver
l'indépendance du pays dans les domaines stratégiques demande à son
premier gouvernement de réorganiser la recherche
scientifique. La Vème République récemment instaurée se dote donc des
moyens budgétaires nécessaires à une politique scientifique de grande
ampleur et la confie à une nouvelle administration de la recherche. Un
Comité des Sages bientot qualifié de Comité consultatif de la
recherche scientifique et technique (CCRST, 1959) s'appuie sur un
exécutif, la Délégation générale à la recherche scientifique et
technique (DGRST, 1961). Le budget civil de la recherche et du
développement (BCRD) en forte hausse est censé couvrir l'ensemble des
besoins de la recherche publique. Clairement, il s'agit de pallier les
insuffisances du CNRS en matière d'organisation scientifique et une
'enveloppe recherche' permet au CCRST - DGRST de lancer des
'actions concertées' destinées à irriguer certains domaines jugés
insuffisamment développés. Sur les douze premières actions concertées,
cinq concernent des secteurs relèvant de la médecine et de la biologie
: 'neurophysiologie et psycho-pharmacodynamie', 'nutrition',
'applications de la génétique', 'cancers et leucémies' confiée au pr.
Jean Bernard, enfin et surtout l'action 'bologie moléculaire' dont les
destinées sont confiéer au pasteurien Jacques Monod lauréat du prix
Nobel de médecine avec André Lwoff et François Jacob (1965).
En se penchant sur le fonctionnement des organismes historiques,
l'administration a constaté la nécessité d'importantes refontes, voire
la création de nouveaux instituts. En ce qui concerne le CNRS, au
printemps 1959, le Comité des Sages suggère la réalisation d'un office
des instituts nationaux de recherche (OINR), directement rattaché au
Premier ministre dont la fonction serait gérer les laboratoires propres
du Centre et certains centres de recherche des ministères techniques,
la recherche universitaire se voyant dotée d'un Office universitaire de
recherche scientifique (OURS) censé se substituer au CNRS. Le
démembrement de l’Institut national d'hygiène qui n'a pas répondu aux
attentes de la recherche médicale est un temps envisagé entre le CNRS
qui récupérerait ses activités de laboratoire et le ministère de la
Santé ses fonctions de santé publique. En fait, la DGRST suscite
la transformation de l'INH en un 'Institut national de la santé et de
la recherche médicale' (Inserm 1964). L'océanographie qui ne semble pas
avoir reçus du CNRS les développements souhaités bénéficie de
l'installation d'un Centre national pour l'exploitation des océans, le
CNEXO devenu 'Ifremer' en 1984, censé coordonner les recherches menées
dans les laboratoires océanographiques avec les autres activités
halieutiques (pêche, exploitation de gisements sous-marins,...). Le
Centre national d'études spatiales a été le premier organisme créé par
la DGRST en vue de réaliser un lanceur extra-atmosphérique. Le
lancement réussi de la fusée Diamant et du satellite Asterix par le
CNET en 1965 assurent les prémisses de l'Agence spatiale européenne
(ESA) et les succès de la fusée Ariane. Quant à l'informatique, après
l'installation quelque peu laborieuse d'un 'Plan calcul' (1964), elle
bénéficiera, à terme, de l'ouverture de l''Institut de recherche en
informatique et automatique' (INRIA).
Comment le CNRS s'est-il adapté à cette situation?
Le directeur du CNRS,
le géophysicien
Jean Coulomb, évoque une passe difficile pour l'organisme : «
Indiscutablement,
les créations du CCRST et de la DGRST représentaient un tournant dans
l'idée qu'on pouvait se faire du rôle du Centre. lI est clair que selon
la mission qui lui avait été confiée en 1939, l'organisme faisait
désormais double emploi avec la Délégation.... /
A leurs débuts, la DGRST et le Comité des Sages ont suscité une enquête
de l'inspection des Finances sur le CNRS dont est issu un rapport
(Chalendar) qui ne nous était pas favorable. Simultanément, l'idée du
président du comité des sages, Maurice Letort, l'ancien patron des
Charbonnages de France, était de créer un office des instituts
nationaux, c'est à dire rassembler toutes les recherches au sein d'un
organisme unique comme on l'avait fait pour la physique nucléaire avec
le CEA. Ce projet faisait peser des graves menaces sur le CNRS et je
m'y suis opposé. Or, il y avait une grosse bagarre entre le président des Sages et le
Délégué à la recherche (DGRST), Pierre Piganiol. Qui allait diriger
toute l'affaire? Finalement ce fut le délégué car, comme toujours, les
permanents l'emportent ceux qui président des réunions. En définitive,
la Délégation a été favorable au CNRS et nous a permis d'obtenir le
soutien des pouvoirs publics". En définitive, le ministre de
l'Education nationale, le socialiste André Boulloche, repousse la
séparation de la recherche d'avec l'Enseignement supérieur dont le
directeur, Louis Capdecomme, refuse même de discuter de ses projets
d'équipement avec le CCRST. Le Premier ministre ayant finalemant
tranché en sa faveur, l'Education nationale vient de sauver le
CNRS écrit l'historien Antoine Prost et le CNRS est maintenu sous la tutelle de l'Enseignement
supérieur, quitte à ce qu'il participe à l'effort de
modernisation de
la recherche publique. Comme des réformes s'imposent néanmoins, Jean Coulomb profite des
circonstances pour pousser en avant le statut des chercheurs, une
revendication inscrite au programme syndical et débattue à Caen, tandis que le Comité national est convié à réorganiser
ses fonctions dans un
esprit de programmation scientifique. Ainsi, il se voit prié d'établir un 'rapport de conjoncture' susceptible d'éclairer de
nouvelles voies de recherche. Mais comme il est chargé par ailleurs de
répartir les moyens budgétaires mis à sa disposition entre sa
quarantaine de sections, il lui est difficile d'arbitrer entre les
diverses disciplines, par exemple entre les demandes des physiciens et
celles des biologistes. Moyennant quoi, le saupoudrage des crédits
auquel il s'astreint ne tarde pas à réduire le rapport de conjoncture
à la nomenclature des besoins des différentes sections. La direction
du Centre propose alors au Comité national d'opérer un classement en en
fonction des priorités à accorder à certains secteurs de la recherche
(A, B et C). Or, Louis Néel se demande si en guise
d'orientation scientifique "
il ne suffirait pas, simplement, de donner
la priorité
aux sections où il y a déjà les hommes", tandis que le mathématicien
André Lichnérowicz
et le physicien Alfred Kastler (Nobel 1966) contestent le classement de
la section théories physiques en 'C', la dernière, contraignant la
direction à abandonner ce projet de classement devant ".
..la nécessité
de faire avancer
simultanément tous les fronts de la science" [26].
Néanmoins, en 1966
le
physicien Pierre
Jacquinot lance
une série réformes dont l'objet est de rééquilibrer les
responsabilités
entre
la direction du CNRS et le Comité national. Six départements, ou
directions scientifiques, sont
introduits au sein de l'organisme (Physique, Chimie,
Terre-océan-espace, Sciences de la Vie, Sciences humaines et
Sciences
sociales), ultérieurement complétés par la division de la
physique en trois départements, (Physique nucléaire, Maths physique de
base et Sciences pour l'ingénieur) et par
la fusion des humanités et des sciences sociales en un département
unique (SHS). En outre, le CNRS instaure un dispositif
d'association des laboratoires universitaires et
des équipes de recherche extérieurs au CNRS (universités, Institut
Pasteur, Inserm,
INRA,...) en vue de les soumettre aux procédures d'évaluation du Comité
national. Ces
dispositions appelées à se généraliser pour donner les
'unités mixtes' (UM) que l'on connait aujourd'hui. Reste que ce
renforcement du pouvoir exécutif au CNRS ne manque pas de provoquer des
tensions avec le Comité national. Au cours des années 1970, les
relations se durcissent entre des départements scientifiques soucieux
de
piloter la recherche et le Comité national intransigeant défenseur de
la liberté des
chercheurs. Afin d'orienter l'activité des laboratoires, le CNRS lance
des Programmes de
recherche inter-disciplinaires (PIR) et les Actions thématiques
programmées (ATP) dont il a été question plus haut. En réalité, ces ATP
n'ont pas tardé à être phagocytées par un Comité national
hostile à toute vélléité
de programmation scientifique. En 1976, la section de biologie
cellulaire évoque le risque que ".
..toute forme de programmation
n'aboutisse à la médiocratisation (sic) de la recherche" [27], pendant que le
pasteurien François Gros dénonce à leur propos un système de recrutement qui "
stérilise l'humus (re sic) indispensable à la recherche fondamentale"
[28]. La section 31, sociologie, qui a introduit ses représentants dans les comités d'appels
d'offres d'ATP oriente les crédits destinés aux laboratoires vers leur
budget de fonctionnement, évidemment au
détriment de la réorientation de leur activité. En
définitive, "
les ATP
n’ont jamais vraiment fait souche regrette le directeur du CNRS, le
physicien Robert Chabbal, alors que l'ambition initiale était de leur
confier la moitié du budget d'équipement du CNRS, elles n'en ont au
mieux mobilisé que le dixième".
D'autres dysfonctionnements concernent la gestion des ressources
humaines. Les départements scientifiques instaurent un fléchage des
postes ouverts au recrutement afin de couper
court aux dissensions en commissions sur le classement des
candidats. Moyennant quoi en 1976, la section 22, biologie des
interactions cellulaires, dénonce un "viol
de ses prérogatives" lors du recrutement sur poste fléché d'un
chercheur
classé treizième alors qu'il ne lui en avait attribué que sept [29].
En fait, l'instauration d'un statut des chercheurs, progressivement
étendu à la fonctionnarisation, a handicapé le rôle évaluateur du
Comité national. L'instance est coincée entre le suivi
de carrières dans la fonction publique, l'avancement à l'ancienneté,
et les rigueurs de l'évaluation
scientifique indispensable au tonus de la recherche. Les archives du
Comité national révèlent la des débats entre des
élus
syndicaux qui défendant leurs
mandants, "
des chercheurs qui n'ont pas démérité", face à des
responsables d'unités qui déplorent de passer plus de temps "à résoudre
le cas de chercheurs à problèmes" qu'à évaluer la performance des plus
inventifs [30]. En conséquence, une fois révolue la vague d'expansion
des années 1960 qui
a vu les effectifs quadrupler en dix ans, dans la décennie suivante les
capacités de recrutement du CNRS
pâtissent de l'indisponibilité de postes budgétaires ouverts
aux entrants. La moyenne d'âge qui y voisinait la
trentaine en 1962, dépasse la cinquantaine vingt ans plus tard.
Désormais, le rajeunissement
des équipes se trouve soumis aux coups d'accordéon d'aléas
politico-budgétaires éloignés de
préoccupations proprement scientifiques.
Le chant du cygne du Comité national
En 1981 les élections présidentielles avec le retour de la gauche
au pouvoir et les réminiscences d'un Front populaire qui avait vu la
naissance du CNRS, offrent aux syndicats l'opportunité de reprendre le
contrôle de la situation. Le principal syndicat de chercheurs, le SNCS,
réclame et obtient la tête des directeurs du CNRS et de l'Inserm,
responsables dit-il d'avoir soumis les organismes qu'ils dirigent à
un pilotage par l'aval, c'est-à-dire de les avoir pliés au cours de la
décennie précédente "
...aux objectifs du gouvernement Giscard-Barre,
c'est-à-dire aux intérêts des grands trusts privés et aux impératifs
idéologiques du conservatisme".
Aux quatre Nobel (F. Jacob, A.
Lwoff, A. Kastler, L. Néel) qui expriment dans Le Monde (25 juil. 1981)
leur indignation de ces positions partisanes, les élus syndicaux du
Comité national
rétorquent que ".
..les membres du SNCS sont tous des scientifiques qui
luttent pour la recherche, parce que précisément l'excellence ne peut
en être assurée que dans le respect de ceux qui la font, des lois
propres au développement scientifique et des besoins de la nation
entière" [31].
Cependant, à l'imitation du ministère japonais de l'économie (MITI), le CNRS est détaché de la tutelle de
l'Education nationale pour se lier au ministère de la recherche
et de la technologie (MRT) dont le porte-feuille est confié à Jean-Pierre Chevènement. Simultanément, François Gros et
Philippe Lazar
organisent des
'assises de la recherche' pour répondre aux revendication syndicales. A
leur issue, une loi d'orientation donne au
CNRS et à l'Inserm le statut d’’Établissements publics scientifiques et
techniques' (EPST), parachève la fonctionnarisation de leur
personnel (15 juillet 1982), tandis qu'un décret d'application instaure
le
statut d'enseignant-chercheur pour rapprocher les deux corps
professionnels (6 juin 1984). Néanmoins, la contradiction inhérente au
souhait ministériel de rapprocher le CNRS de l'Industrie et à la
fonctionnarisation des chercheurs provoque l'étonnement de Maurice
Avonny, le chroniqueur scientifique du journal Le Monde qui évoque : "la
priorité donnée à la question des besoins des chercheurs (plutôt que)
de ceux auxquels ils doivent répondre, davantage de leurs droits que de
leurs devoirs et surtout de l'accent mis sur la recherche fondamentale,
(qui) ni en volume, ni en nombre d'hommes, ni en utilité pratique, ni
peut-être en valeur culturelle, n'est supérieure aux autres.../ (Mais
qui) reste la référence par rapport à laquelle 'on' raisonne (et qui)
est un peu trop l'arbre qui cache la forêt, (tant) le mythe du
chercheur, individualiste, spécialisé dans un étroit domaine où il est
candidat au prix Nobel reste enfoui dans bien des subconscients" [32].
En réaction, un changement de majorité ramène la droite au pouvoir en
1986. Au cabinet du Premier ministre (Jacques Chirac), le juriste Yves Durant se révèle le principal représentant des
syndicats autonomes qui dénoncent "l'impérialisme du CNRS vis-à-vis de
la recherche universitaire"
et l'emprise des syndicats de Gauche sur le
Comité national. A la suite de sa saisine, le Conseil d'Etat annule des
élections où les deux tiers de ses membres avaient été élus au scrutin
de liste. Une fois de plus le CNRS se trouve contesté dans son mode de
fonctionnement. L’Union
nationale interuniversitaire' (UNI) préconise la suppression de
l'organisme et le
versement des moyens au profit de l'Enseignement supérieur. Cependant,
défendu par le ministre chargé de la recherche (A. Devaquet), la
direction du CNRS est renforcée avec la mise en place d'un Comité
exécutif,
tandis que le Comité national dont le nombre de sections est réduit de
25 à 22 voit les représentants des organisations syndicales exclus des
instances chargées d'en organiser les élections [33]. A la manœuvre
jusque-là, le SNCS le cède désormais à un mouvement moins structuré de
jeunes chercheurs, 'Sauvons la recherche' (SLR), lequel malgré un
important remue-ménage médiatique n'aura jamais la même influence organisationnelle que
le syndicat historique. En 2004, à l'heure d'engager de nouvelles
réformes, l'Académie des
sciences dresse un bilan critique des difficultés rencontrées pour
rapprocher la recherche du milieu universitaire en évoquant
".
..des enseignants-chercheurs absorbés dans la massification de
l'enseignement supérieur, comme la caducité des dispositions d'un
emploi fonctionnarisé dans les établissements publics, caractérisés par
trop de promotions à l'ancienneté et pas assez de promotions au mérite,
d'où une reconnaissance beaucoup trop tardive des jeunes talents qui
asphyxie l'ensemble du système.../ Trop de mécanismes électifs
qui, dans l'évaluation par les pairs, n'offrent pas de garantie
d'optimisation des compétences et introduisent à l'inverse une certaine
forme de consanguinité au détriment d'une évaluation internationale.../
Tout en donnant un poids aux syndicats dont certains sont devenus trop
corporatistes" [34] Bref, la nécessité de nouvelles réformes s'impose au CNRS.
Externalisation
Dans la première décennie du XXI° siècle, un nouveau train de réformes destiné à
réorganiser le CNRS ampute le Comité
national de ses fonctions en matière de pilotage et d'évaluation de la recherche. Inspiré par les modes de
fonctionnement du CEA habitué de longue date à gérer de la 'Recherche -
Développement' [35], le ministère de tutelle installe une Agence Nationale
de la Recherche (ANR) avec l’objectif de contractualiser
l'activité des établissements publics scientifiques et techniques
(EPST). L'ANR est chargée des crédits affectés aux EPST en
fonction de labels de qualité qu'elle décerne à leurs unités de
recherche (LaBex). L'autre changement concerne l'évaluation
scientifique dont les modalités ont profondément évolué, passant du
niveau individuel des chercheurs comme la pratiquait le Comité
national, à l'évaluation d'entités collectives, laboratoires,
voire instituts ou centres de recherche où il avait montré ses limites. Les pratiques de
publications s'orientent vers un anonymat lié à la multiplication
des participants à des programmes scientifiques interdisciplinaires et
internationaux. Par exemple, la publication de la carte du génome humain à la
source des plus récentes avancées en biomédecine ne comporte pas moins
d'une centaine
de signatures dont celle de Jean Weissenbach l'un de ses principaux
acteurs [36]. Désormais, qu'elle soit menée dans les EPST ou à
l'université, l'évaluation de la recherche est confiée à un Haut
Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur
(HCERES) et s'inscrit dans des critères de comparaisons internationales
(Thomson Reuters, ARWU Shanghaï,...). Le recours aux publications sur
lesquelles elle repose implique la généralisation de
l'anglais scientifique dont l'usage s'est d'ailleurs plus facilement
imposé aux sciences naturelles que dans les sciences humaines et
sociales évidemment plus à l’aise pour s’exprimer dans leur culture
d’origine. Désormais, le CNRS inséré dans le cadre d’une
politique scientifique fixée en dehors de ses murs voit le
recrutement de ses chercheurs soumis aux impératifs
économico-politiques
d’une loi de finances. Seule, l'évaluation de son personnel statutaire
reste l'apanage de son Comité national, dans un contexte qui a
d’ailleurs vu
des
post'docs formés aux travaux de laboratoire se substituer aux
doctorants-boursiers de ses débuts, «
...ces cerveaux si fâcheusement
pourvus d'estomacs » disait Jean Perrin devant le Conseil supérieur de
la recherche au siècle précédent [37].
NOTES
[1]
Bourquin J-C, Bungener M, Picard J-F, 'Soixante ans d'évaluation de la
recherche française, le Comité national du CNRS', CNRS délégation à
l'audit, 3-1994. Ce rapport a bénéficié du dépouillement des archives
du Comité national dont sont issues les notes prises par A-L et R.
Benilan. Il est aussi nourri d'une série de témoignages qui évoquent
sur ce site le fonctionnement de cette institution (A. Berkaloff, P.
Creyssel, R. Chabbal, J. Coulomb, H. Curien, P. Jacquinot, M. Ferrand, C. Gabriel,
J. Lautman, M. Lejeune, A. Lichnérowicz, P. Monbeig, G. Niéva, P.
Papon, L. Plin, J-M. Schwartz)
[2] Perrin J., 'Proposition de loi
pour la création d'un service national de la recherche', 1930 (Arch.
CNRS, AN 80-284, liasse 1)
[3] Perrin J., 'La recherche scientifique', Paris, Hermann, 1933
[4] Note du directeur de l'Enseignement supérieur au ministre de l'Education nationale, janv. 1935 (Arch. CNRS, AN 80-284, 1)
[5] Zay J. , 'Souvenirs et solitude', Paris, Le Talus d'approche, 1987
[6] Picard J-F, Pradoura E., 'La longue marche vers le CNRS (1901-1945)', Cahiers pour l'histoire du CNRS, 1988-1
[7] Picard J-F, 'La République des Savants, la recherche française et le CNRS', Flammarion, 1984
[8] Joliot F., Comité de direction du CNRS, 18 sept. 1944 (AN 80-284, 205)
[9] Teissier G., 'Une politique
française de la science', Union française universitaire, 21 juin 1946
(Ibid.).
[10] Sur le fonctionnement du CNRS à
la Libération, voir D. Guthleben, 'Histoire du CNRS de 1939 à nos
jours', Armand Colin, 2013 ainsi que M. Pinault, 'Frédéric
Joliot-Curie', Paris, O. Jacob, 2000
[11] Joliot F., conférence donnée au CNRS le 7 juin 1945 (AN 80284, 55)
[12] Bourquin, J.C., 'Le Comité
national de la recherche scientifique, sociologie et histoire,
1950-1967', Cahiers pour l'histoire du CNRS, 3-1989
[13] Sect. 5, 'thermodynamique et cinétique', printemps 1971 (archives du Comité national, AN 83-008)
[14] Voir Guthleben D., Op. cit. p.
176 et sq. A l'inverse on, relève que les mathématiques où la recherche
requiert peu de moyens matériels et dont la pratique est
essentiellement individuelle se sont bien accomodés des modes de
fonctionnement du Comité national (G. Kropfinger, Les mathématiques au
CNRS dans les années 1970, pap. de recherche, 1998)
[15] Pestre D., 'Louis Néel, le magnétisme et Grenoble', Cahiers pour l'histoire du CNRS, 1990 - 8
[16] Darmon G., 'La mise en place d'un institut national au sein du CNRS, l'INAG', Ibid., 1988. 1
[17] Darmon G.,'La mise en place des instituts nationaux, la difficile naissance de l'IN2P3', Ibid., 1990-10
[18] Barrier J., 'Aux frontières de
l'industrie. Travail de démarcation et émergence d'un champ de
recherche universitaire sur la microélectronique en France (1978 -
1986)' in Le gouvernement des disciplines acédémiques (J. P. Leresche
dir.), Paris, E.A.C. 2017. Voir aussi Ramunni G., Les sciences pour
l'ingénieur. Histoire du rendez-vous des sciences et de la société,
Numilog.com, 1996
[19] Intervention de Roger Heim, directeur du Museum, au Conseil d'administration du CNRS, 9 mars 1945 (AN 80-0284, 55)
[20] Picard J-F., 'Les femmes dans
les laboratoires de biologie', in Les Femmes dans l'histoire du CNRS,
G. Hatet-Najar ed., Paris, CNRS, 2004.
[21] Intervention de Pierre Chambon à la session d'automne 1977 de la sect. 22 (AN 83-008)
[22] Joliot, F., conférence donnée au CNRS, 7 juin 1945 (AN 80-0284)
[23] Astruc J., Le Maguer J., Picard J-F, Le CNRS et l'information scientifique et technique en France, Solaris, janv. 1997
[24] Par exemple dans les années 1970 en sociologie, les
premières études féministes menées au CNRS revendiquent ouvertement leur
inspiration marxiste (entretien avec M. Ferrand, juin 2019)
[25] Prost A, 'Les origines de la
politique de la recherche en France, 1939 - 1958', Cahiers pour
l'histoire du CNRS, 1-1988 et 'Les réformes du CNRS 1959
1966', (Ibid.), 10-1990
[26] Interventions de L. Néel, A. Lichnérowicz et A. Kastler au directoire du CNRS, juin 1965 (AN 94-0035)
[27] Sect. 21 Biologie cell., session d'automne 1978 (Ibid.)
[28] Gros F., intervention au directoire du 5-6 juillet 1977 (Ibid.)
[29] Sect. 22, Biologie des interactions cellulaires, session de printemps 1976 (Ibid.)
[30] Voir, entre autres, la sect. 23, Thérapeutique expérimentale, session de printemps 1976 (Ibid.)
[31] Le syndicat obtient le
démission du directeur du CNRS, Jacques Ducuing, Le Monde, 9
juillet et 3 aout 1981. A la direction de l'Inserm Philippe
Laudat est remplacé par Philippe Lazar en janvier 1982
[32] Avonny M., 'Questions', Le Monde, 13 janv. 1982
[33] La crise du CNRS en 1986 à travers les archives du journal Le Monde
[34] 'La contribution de Nobel
français au débat sur la recherche. La crise de la recherche
académique, une opportunité de changement', Le Monde, 9 mars 2004
[35] Picard J-F, 'Physique des
rayonnements et sciences du vivant — Le CEA et la recherche
biomédicale, un aperçu historique', Med. Sci. 2016 ; 32 : 634–639
[36] 'A Gene Map of the Human genome', Science, vol. 274, 25. 10. 1996, p. 540
[37] Perrin J., 'discours devant le CSRS', avril 1938 (AN 80-284, liasse 1)