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Entretien avec Jean Teillac

Jean-François Picard, le 2 octobre 1987  (source : https://www.histcnrs.fr/temoignages.html)

DR

Frédéric Joliot est nommé Directeur du CNRS en août 1944, il va rester à peu près un an en fonction. Ensuite il fonde le CEA. Selon Pierre Auger, le Commissariat, c'était la vocation naturelle de Joliot. En tout cas, à partir du moment où le CEA est créé (novembre 1945), on a l'impression que le CNRS perd des responsabilités dans le secteur de la recherche nucléaire

A cette époque, j'étais chercheur du CNRS, rue Pierre Curie chez Irène Joliot, où je préparais ma thèse. J'y rencontrais quotidiennement Irène Joliot puisque je travaillais avec elle et Frédéric Joliot qui venait voir sa femme. Comme Joliot était un personnage très disert et très communicatif, on avait des conversations sur tout ce qu'il voulait bien dire à des jeunes comme moi qui avais 25 ans. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Pierre Auger quand il dit que la vocation naturelle de Joliot était le CEA. Je pense que cela fut vrai une fois le CEA décidé. Sinon, Joliot était un homme de la recherche fondamentale. Je suis convaincu que le fait d'avoir été nommé Directeur du CNRS juste après la guerre a été pour lui quelque chose de très important, à laquelle il s'est certainement beaucoup donné. La preuve, il y a encore des institutions du CNRS qui portent sa marque. Il est clair que Joliot aurait volontiers continué au CNRS plus longtemps. Néanmoins, pour le CNRS d'autres pouvaient prendre la relève alors que pour le CEA, c'était difficile. Il était tout de même le personnage-clé dans ce domaine et il n'y en avait pas beaucoup d'autres. Il y avait bien sur des personnes comme Auger, Perrin, Irène Joliot et quelques autres mais ils n'étaient pas très nombreux. Kowarski qui avait participé avant-guerre au brevet.

Et à la création du CEA, Kowarski n'était pas encore rentré en France

Le désir profond de Joliot, que je ne prétends pas vraiment connaître, était sans doute de rester au CNRS. On a dû lui dire : "Vous prendrez le Commissariat ". Et je suis aussi tout à fait convaincu que malgré tout, quand Joliot a vu cette création, il s'est enthousiasmé. Pourquoi? Parce que cette institution a été créée dans des conditions que vous connaissez. L'ordonnance de 1945 posait des règles tout à fait exceptionnelles pour un organisme public, et qui le sont restées jusqu'à aujourd'hui. Joliot a bien vu que s'il devait y avoir un essor très rapide dans ce domaine - quoique limité, il le connaissait bien - il serait une sorte de pape. Finalement c'est ce qui a dû motiver sa décision.
Quant au CNRS, il est clair que le départ de la physique atomique - selon la terminologie de l'époque - lui a posé des problèmes. La création du Commissariat a porté un coup au CNRS. Je me souviens de discussion entre Irène, Frédéric Joliot et nous, les jeunes qui étions là à commencer notre thèse. Joliot nous disait : "Il est évident que la création de centres de recherche au CEA, fait que toutes les recherches françaises dans ce domaine, vont se trouver soit dans ces centres, soit pilotées par ces centres ". L'idée était ancrée chez Joliot, à l'époque, que le Commissariat allait rassembler toutes les recherches fondamentales du secteur, y compris les affaires universitaires. Et cela explique que pendant la période 1945-50, et même un peu après son renvoi, il n'y a eu aucun développement des laboratoires de physique atomique dans les universités.
Le premier laboratoire universitaire qui se soit équipé dans ce domaine, est l'Institut du Radium. C'était un laboratoire de chaire. Il fut équipé à la demande d'Irène Joliot vers 1953-54. C'était la création du troisième cycle. Mme Joliot a dit au Directeur de l'Enseignement Supérieur, Gaston Berger : "Pour faire de l'enseignement de troisième cycle à un bon niveau, il me faudrait des moyens ". Et j'ai été nommé maître de conférence en 1955 auprès d'elle. Le poste venait d'être créé. Nous avons obtenu cette année là -en fait je dis "nous", mais c'est elle qui avait le prestige, moi j'oeuvrais à la base- des crédits pour un accélérateur, le synchrocylotron d'Orsay. Cet appareil a été obtenu dans le cadre Enseignement Supérieur et c'était un changement complet de l'attitude des Joliot entre 1945 et 1950. Donc changement de cap à partir du renvoi du CEA de Frédéric Joliot. On commence à mettre des équipements dans les laboratoires universitaires.

Pourquoi pas au CNRS ?

L'Université s'est réveillée et pas le CNRS. Pourquoi ? A mon avis parce que le CNRS avait à faire front tous azimuts. A l'Université il y avait Mme Joliot tandis qu'au CNRS il n'y avait plus personne en physique atomique. Joliot, qui venait d'être renvoyé du CEA voyait la possibilité de retrouver des moyens pour former des jeunes. En plus, il était à l'Enseignement supérieur puisqu'il était professeur au Collège de France. Sa femme avait la chaire la plus prestigieuse dans le domaine de la physique atomique à l'Université.

Joliot avait tout de même des antécédents CNRS. Il était en outre président de section au Comité national...

En 1945-46, le CNRS avait d'autres priorités. Il fallait tout refaire. Considérant la physique atomique, Joliot lui avait dit : "Ne vous en occupez pas, il y aura le CEA ". La mécanique s'était mise en marche dans cette logique.

Mais le CNRS avait aussi un rôle de coordinateur de la recherche scientifique...

La preuve qu'il pouvait coordonner, c'est que le CNRS ne refusait pas de prendre des chercheurs pour faire de la physique nucléaire pour les mettre ensuite au CEA. La coordination n'impliquait pas qu'il devait avoir des laboratoires propres.

Mais dans l'attitude de Joliot en 1945, n'y avait-il pas eu une contradiction ? Il est le patron d'un organisme coordinateur, le CNRS, et il lui crée un concurrent, le CEA

Vous voyez cela trop en raccourci. Il faut voir le traumatisme que fut pour Joliot son renvoi du Commissariat. Il faut se rappeler son engagement politique. Il a pesé ses décisions avec ces valeurs, il ne les a pas seulement pesées - comme vous le faites - dans la rationalité des documents dont on dispose aujourd'hui. Peu de temps avant son renvoi, il est venu nous dire à l'Institut du Radium : "Je vais faire un discours dans lequel j'emploierai des mots tels que si le Gouvernement à quelque autorité, il ne pourra pas ne pas me renvoyer". Donc, il savait, il prenait ses positions délibérément. Néanmoins cela fut pour lui un énorme choc. A tel point qu'il en est tombé malade. Alors dans quelle logique voyait-il tout cela ? Je ne le sais pas.

Il est difficile de comprendre cet homme, d'un poids scientifique considérable, qui se laisse embarquer dans une coterie politique

Son engagement politique était réel.

Etienne Bauer son chef de cabinet dit que Joliot lui faisait l'impression d'un homme qui n'était pas libre de ses mouvements par rapport au Parti

Le PC est une organisation dans laquelle vis-à-vis de l'extérieur, vous n'avez pas la possibilité de dire tout et n'importe quoi. Pourquoi Joliot s'était-il engagé ? Je me posais la question à l'époque. Il me l'a expliqué, mais était-il sincère ? Pendant la guerre il avait été frappé par la détermination des Communistes de résister à l'envahisseur. Il pensait que cette façon de voir était bonne pour l'avenir. Il était d'autre part très lié à Paul Langevin, il a beaucoup contribué à mettre celui-ci à l'abri pendant l'occupation. C'est tout ce que je peux dire là dessus.

On parle aussi d'un complexe par rapport aux émigrés de 1940

Certainement. Joliot avait un caractère très compliqué et très tourmenté. Tout cela a joué. Ses contradictions le rendaient malheureux. Discuter avec lui, c'était souvent un dialogue pendant dix minutes suivies d'un monologue de Joliot pendant une heure. Il était volubile, il passait d'une chose à l'autre. On voyait bien que c'était un homme compliqué, qu'il subissait toutes sortes d'influences. Son mariage avec Irène Curie a été un problème : c'était la fille de la patronne. Lui, il était le modeste étudiant embauché comme préparateur par Marie Curie. Certains lui ont reproché d'avoir épousé Irène pour sa propre carrière. En tout cas, le ménage Joliot tel que je l'ai connu, vivait en parfaite harmonie. Maintenant, on entendait aussi raconter toute sorte de choses. En juin 1940, il n'est pas parti parce qu'il fallait bien que quelqu'un reste, c'était son argument essentiel. D'autres ont dit qu'il était resté car il avait ainsi plus d'autonomie pour faire un certain nombre de choses. D'autres disent encore qu'il voulait partir mais qu'il ne l'a pas pu à cause d'un concours de circonstances : qu'il n'a pas pu embarquer sur le bateau, que la santé de sa femme, etc.


Et il est élu à l'Académie des Sciences en 1943

Qu'est-ce qu'on pouvait faire pendant la guerre ? On peut admirer ce qu'il a fait, son engagement. Il avait des allemands chez lui, Wolfgang Gentner qu'il connaissait déjà. Celui-ci l'a aidé à surmonter des difficultés. C'est vrai qu'il a été élu à l'Académie des Sciences, mais c'était quelque chose qui lui était dû.


Est-ce que Joliot avant la guerre réfléchissait à l'organisation de la science ?

Je ne l'ai connu qu'à partir de 1944-45. Je pense qu'il y avait réfléchi, mais il n'y a pas de textes de lui. Joliot était très tourmenté : l'affaire du prix Nobel a été pour lui une dure bataille, une dure conquête. Les expériences dataient en 1934, le prix Nobel de 1935. Les événements de 1936 l'ont également marqué.


En 1936, il avait mal supporté, dit-on, que sa femme devienne ministre


Justement, quand vous me demandiez s'il avait réfléchi avant 1944 à l'organisation de la science, il faut rappeler le Front Populaire et la création du Sous-secrétariat d'Etat à la Recherche. Et c'est Irène qui a été nommée. Pourquoi l'a-t-elle été ? Je ne connais pas bien le fin mot de l'histoire. Il fallait une femme prestigieuse et Irène était la fille de Marie Curie qui avait une auréole considérable. Sans aucun doute Joliot a été traumatisé par cette nomination. D'ailleurs, Irène l'a bien senti et c'est pour ça qu'elle n'est pas restée longtemps. Cependant Joliot a dû, à ce moment là, discuter des problèmes de la recherche avec sa femme.


En 1945, à la création du CEA, quelles sont les intentions de Joliot en ce qui concerne les applications militaires de la fission ?


Cela n'a jamais été exprimé. Ensuite, c'est ce qui l'a poussé à démissionner quand on a commencé à lancer l'affaire. En 1945, le Général avait peut-être cela en arrière pensée, mais il ne l'a certainement pas exprimée de façon aussi nette. Quant à Joliot, il ne s'est jamais senti vraiment engagé là-dessus. En 1945, le Général a eu une démarche pragmatique, il s'est dit : "On lance d'abord le Commissariat, pour le reste, on verra après ". Il y a mis Dautry exprès pour voir ce qui se passait dans la maison et afin d'avoir un contrepoids.

Joliot a constitué une équipe politique au Commissariat

Il a imposé un certain nombre de gens. Par exemple Pierre Biquard qui l'aidait pour les questions administratives. Il y a eu Jean Orcel pour la géologie..., tout un dosage savant. Orcel était un homme remarquable mais un politique redoutable. Il faisait à l'époque la pluie et le beau temps dans les services géologiques du CEA alors qu'il n'appartenait pas à l'organisme !


Ce qui était semble-t-il le cas de Roger Mayer


Mayer est arrivé ensuite. Après le départ de Joliot du Commissariat, il y a eu cette phase où c'était Irène qui était professeur à la Faculté. Joliot avait repris sa place au Collège de France. Irène est morte en avril 1956 et sa chaire est devenue vacante. Le doyen Pérès m'a demandé si je me présentais. Je lui ai dit que je venais juste - huit ou neuf mois auparavant - d'être nommé maître de conférence. Je n'étais même pas professeur sans chaire et je me voyais mal me présenter à une fonction aussi prestigieuse. Pérès m'a dit qu'il fallait trouver une solution. Je lui ai suggéré de consulter Joliot. Il est allé le voir et finalement, il lui a dit : "Mais au fait, pourquoi ne la reprendriez vous pas ? " S'en est ensuivi une discussion sur le thème : "un professeur au Collège de France ne revient pas à la Sorbonne". Enfin, Joliot a dit qu'il acceptait et c'est la solution qui a été retenue. Il y a eu un modus vivendi entre la Sorbonne et le Collège disant que Joliot continuerait à être professeur au Collège tout en assurant la charge de la chaire de physique nucléaire de la Sorbonne. A partir d'octobre 1956, il a gardé son poste au Collège - où il était dispensé de faire ses cours - et il est venu à l'Institut du Radium qui marchait donc avec la Sorbonne. J'avais ainsi Joliot comme patron direct. Il m'a dit : "J'ai beaucoup de choses à faire : le Collège de France, le laboratoire de Synthèse atomique... Vous avez démarré la construction d'Orsay, c'est un travail très important, vous savez que ma santé est mauvaise. Bien sur, je vous ai comme maître de conférence, mais il va falloir organiser une petite équipe ". Et il a fait venir Roger Mayer. Il m'a dit qu'il voulait l'avoir car il souhaitait auprès de lui, un homme en qui il ait pleine confiance. Il pensait d'ailleurs que nous nous entendrions bien. Effectivement, Mayer est un homme de qualité sur le plan humain. Il devait être à l'époque payé par le Parti. Joliot m'a dit qu'il fallait lui trouver un poste. Il ne pouvait pas entrer à l'Université car il n'avait pas les diplômes requis. Mais un an et demi plus tôt, avec Irène Joliot, nous avions créé un nouveau cadre de personnel au sein de l'Education nationale, permettant de recruter des ingénieurs de bon niveau, payés convenablement et destinés à s'occuper des accélérateurs. Cela s'appelait le "cadre des contractuels des accélérateurs". C'est une disposition qui a existé jusqu'à la création de l'IN2P3.


Il s'alignait sur le CEA pour les rémunérations


N'exagérons pas. C'était en tout cas nettement mieux que les ingénieurs du CNRS. Joliot m'a donc demandé de mettre Mayer sur un de ces postes. A l'Institut du Radium, un certain nombre d'entre nous avaient des idées communistes ou étaient membre du PC, d'autres ne l'étaient pas. Joliot souhaitait toujours qu'il y ait un équilibre. Il y avait une sorte de trêve sur ces affaires là. On parlait souvent de politique mais jamais il n'était question d'exercer une pression quelconque pour faire changer d'avis l'un ou l'autre. On discutait, on s'engueulait de façon homérique, mais jamais on ne m'a proposé de m'inscrire ou même de me faire venir au Parti.
C'est une question qui m'a souvent été posée. On dit que quand Joliot allait quelque part, immédiatement on assistait à une sorte de tropisme et c'est vrai. A l'Institut du radium, Irène n'était pas communiste et c'est Joliot qui a amené des communistes. Au Collège c'était un petit peu plus communiste qu'au 'Radium'. Au CEA au début, il est évident qu'il y a eu dans les laboratoires de recherche fondamentale une proportion de communistes plus élevée que la moyenne nationale. Mais Joliot avait toujours reconnu le droit pour chacun d'avoir ses opinions. On pouvait discuter, mais il ne voulait pas qu'il y ait quelque pression que ce soit pour faire changer les gens d'avis.

La coloration politique de Joliot et de son entourage n'explique-t-elle pas, en partie, l'essor d'autres équipes, plus conservatrices, celles de Rocard ou de Leprince-Ringuet par exemple ?

C'est tout à fait vrai. A l'Institut du radium, il y avait des gens, très anticommunistes, qui venaient parce qu'ils pensaient qu'il ne fallait pas laisser s'y installer un noyau communiste. A l'extérieur, il y avait des contrepoids. L'Académie a toujours eu dans ses choix une certaine réflexion de ce type, même si cela demeure inavoué. Cela a aussi joué pour le Commissariat. Quand Joliot a été viré, Rocard a été un des candidats les plus résolus. Mais il y a eu une prise de conscience du milieu physicien et Rocard n'a pu être nommé Haut Commissaire. La campagne Rocard est d'ailleurs l'élément qui a décidé Francis Perrin à accepter la succession de Joliot.

Perrin qui avait commencé par dire que "...celui qui succéderait à Fred serait un salaud"

Exactement. Vous savez d'ailleurs que la nomination du nouveau haut commissaire a pris un an. Le dernier argument pour convaincre Perrin a été de lui dire : "Ecoutez la plaisanterie est terminée, ou bien vous acceptez ou bien on prend Rocard ". Tous cela direz-vous est bien politique. Et c'est vrai, mais il y a toujours eu une interférence entre la politique et la science. Je dirais même que celle-ci est normale. Le scientifique est quelqu'un de passionné. Un scientifique dans la recherche fondamentale, c'est plus un artiste qu'un technicien. Il ne faut pas croire que la science soit quelque chose de rationnel. Dans des disciplines comme la physique atomique qui sont à la frontière de la connaissance, on trouve des implications sociales et politiques beaucoup plus grandes que dans les disciplines plus traditionnelles, comme la mécanique... qui sont en liaison avec l'industrie et donc très pratiques.
Mais revenons à notre histoire. La suite, c'est l'accélérateur linéaire d'Orsay. Rocard, passé l'épisode de la succession de Joliot, disait : "Puisque l'on ne veut pas de moi au Commissariat, puisque toute la physique atomique est actuellement trustée par le PC, l'Ecole Normale doit se doter d'un laboratoire ". Et il a demandé à Halban de prendre l'affaire en mains car il s'agissait d'un domaine où il n'était pas compétent. Les Joliot avaient leur synchrocyclotron à Orsay. Il fallait que L'ENS ait son labo de physique nucléaire. Ne me faites pas dire que Rocard n'a pas été un homme efficace. Il a beaucoup apporté à la science. Peut-être pas tant par ses propres découvertes que par le fait qu'il a constitué une école de physiciens remarquable en puisant dans le vivier que constituait l'ENS. Il s'est donc dit : "il me faut un appareil " et après avoir consulté les physiciens, l'accélérateur linéaire a été décidé. C'était à l'époque un très bel engin, je dirais même plus astucieux que le synchrocyclotron, plus riche du point de vue de la physique. Quand il a voulu trouver un responsable, il s'est dit tous les physiciens étant dans la mouvance de Joliot, il risquait d'avoir des difficultés. Il a donc fait venir Halban, ce qui a posé d'autres problèmes parce que ce dernier était un personnage très difficile. J'ai eu à travailler avec lui après, quand après la mort de Joliot en 1958, j'ai pris la succession de celui-ci. Halban était quelqu'un de très autoritaire, très compliqué aussi.

Simultanément, on assiste à la création par le CNRS d'un centre de recherches nucléaires à Strasbourg...

L'affaire s'est présentée de la façon suivante. La physique atomique a l'époque avait le vent en poupe. Serge Gorodetsky avait fait sa thèse a Paris dans la mouvance de Joliot. Il a ensuite cherché une place de Maître de conférence. A ce moment là, Strasbourg était en plein développement : on venait de récupérer l'Alsace. Les Allemands y avaient implanté un certain nombre de choses et en particulier un accélérateur Van de Graff. La France était soucieuse à son tour de développer cette grande université et Strasbourg était prête à accueillir un physicien atomiste qui pourrait faire marcher ce laboratoire. Gorodetsky qui est quelqu'un de très astucieux a bien senti l'intérêt d'une telle opportunité et s'étant porté candidat, il a été retenu. Il avait été le collaborateur de Leprince-Ringuet au laboratoire De Broglie. Il avait aussi travaillé à l'Ecole Polytechnique. Il a très bien nagé entre Joliot et Leprince-Ringuet. A l'époque, l'avis de Joliot comptait beaucoup pour ce genre de nominations. Et Gorodetsky a commencé à développer son laboratoire dans les années 1950-51.
Quand il a vu que nous obtenions de l'argent avec l'appui des Joliot pour faire Orsay et le synchro cyclotron, il s'est glissé dans ce sillage. Il est allé dire à l'Enseignement supérieur : "Moi aussi, je suis en train de monter un certain nombre de choses et je voudrais des moyens ". Les Joliot l'ont appuyé. Mais il n'avait pas véritablement de grand projet. Or à l'époque, l'important était d'avoir des crédits pour s'équiper : l'accélérateur a toujours été l'outil essentiel pour la physique nucléaire. Gorodetsky s'est donc retrouvé sans grand appareil, mais avec des moyens et il s'est demandé ce qu'il pourrait faire avec. C'est comme ça que c'est dessiné son affaire, du moins au départ. Ici, il faut signaler que le Directeur de l'Enseignement Supérieur de l'époque, Gaston Berger, fut un soutien fort efficace pour toutes ces opérations.
L'arrivé de Cüer a été un second phénomène. Cüer qui venait de passer sa thèse, était remuant comme pas un. Il voulait un poste. L'affaire de Gorodetsky prenant de l'ampleur, celui ci s'est dit qu'il lui fallait un Maître de conférence. Il a donc pris Cüer sans se douter qu'ils deviendraient plus tard les pires ennemis. Fort de cette dynamique, Gorodetsky a également demandé des moyens au CNRS qui a créé un laboratoire propre à Strasbourg. Ca a été le Centre de Kronenbourg. Il avait réussi à jouer sur les deux tableaux. Peut-être le CNRS a-t-il plus particulièrement donné dans le domaine de la chimie nucléaire, Cüer avait plutôt une coloration de ce côté. Marguerite Perey a elle aussi beaucoup poussé dans cette direction. Elle est allée à Strasbourg, probablement dans le cadre CNRS et y a amené des gens comme A. Coche, J.P. Adloff qui sont toujours en poste.

Pourquoi Strasbourg a-t-il finalement moins bien marché que ses promoteurs auraient pu l'escompter ?

Pourquoi les échecs ? Ils sont venus d'abord de dissensions entre les personnes : Cüer était un ambitieux comme il y en a peu et très vite il s'est battu avec Gorodetsky. Il a fallu opérer des partages. Cüer était en plus magouilleur comme pas un. Il a eu la destinée que vous connaissez. Il a fricoté des histoires d'argent : il mélangeait les fonds Enseignement Supérieur et CNRS. Il créait des associations avec des allemands qui lui versaient de l'argent. Lui, il se servait de tout ça. C'était un micmac administratif effroyable. Bref, l'administration est généreuse envers ses savants - comme on dit - mais malheureusement monsieur Cüer se servait des fonds à des fins personnelles. Il entretenait une maîtresse, etc... Finalement il s'est retrouvé en correctionnelle. Ca a été la fin de sa carrière. Cette atmosphère de luttes n'a pas été favorable à Strasbourg. Melle Perey n'a pas réussi non plus à s'entendre avec Gorodetsky. Comment voulez vous construire quelque chose qui marche dans des conditions pareilles ?

Quel bilan scientifique peut-on dresser de la création du Centre de Strasbourg ?

Il n'est ni nul, ni négligeable. Des gens de qualité y ont fait du bon travail. Certes, en physique nucléaire de base, ils n'ont pas de grandes avancées à leur actif, mais dans des domaines très particuliers, ils ont fait un travail très soigné. Le Centre de Strasbourg a une bonne réputation internationale. Il vient juste après Orsay. Pour ce qui est de la physique des particules, Cüer a voulu à un moment donné se démarquer ; il s'est embarqué dans la physique des particules, mais ce fut un fiasco.

La création de l'IN2P3 n'est-elle pas le constat d'un relatif insuccès du CNRS dans la mise en place de laboratoires propres en physique nucléaire ?

Non, l'IN2P3 a une autre origine. La création du 3éme cycle a permis d'aller dire aux Directeurs de l'Enseignement Supérieur : "Donnez-nous de l'argent si vous voulez que l'on crée un 3éme cycle ". Les premiers à avoir été capables d'aller piquer de l'argent à la Direction de l'Enseignement Supérieur, ont été les physiciens nucléaires. C'était l'équipe d'Irène Joliot. Dans la foulée, Gorodetsky y est allé à son tour. Puis un certain nombre d'autres, Thibaud à Lyon, Grenoble avec Weil. Berger nous disait : "J'ai de l'argent ". C'était à peine s'il n'ajoutait pas : "Je ne sais pas quoi en faire. Il n'y que vous qui venez m'en demander ". Mais au bout d'un certain temps, quand les autres disciplines se sont mises à en demander aussi, la discussion est devenue plus difficile. Les autres ont commencé à protester : "La physique nucléaire bouffe tout. Ce n'est pas acceptable, il faut réagir ". De grandes réunions ont fait le bilan des dépenses de la physique nucléaire. C'était l'Enseignement Supérieur et non le CNRS qui finançait en premier cette branche de la recherche. C'était anormal puisque le Centre avait vocation à aider tous les domaines de la science. Mais on disait qu'il n'avait pas le droit de négliger la physique nucléaire. D'où l'argent consacré à Strasbourg.
Donc on avait comme organismes financeurs l'Enseignement Supérieur, puis le CNRS, auxquels il fallait ajouter le CEA. Si on faisait le bilan de ce que la France consacrait à la physique nucléaire, on atteignait des chiffres énormes. Mais qui avait la maîtrise de tout cela ? Aucun organisme particulier. D'où l'idée de faire une coordination spécifique pour un secteur particulièrement demandeur en gros moyens.
On a appelé Blanc-Lapierre : "vous vous êtes occupé du Vème Plan. Vous êtes Directeur de l'accélérateur linéaire. Prenez donc l'affaire en mains ". Il nous a répondu : "J'accepte à condition que j'aie sous mon autorité la recherche fondamentale qui se fait à l'Université, au CNRS et au CEA." Bien entendu, protestation immédiate du Commissariat : "Qu'est-ce que c'est que ce type qui vient piétiner nos plates bandes ? ". Il y a eu une opposition ferme, définitive et totale du CEA à ce projet et Blanc-Lapierre nous a dit que puisqu'il en était ainsi, il rendait son tablier. En plus il avait un handicap, il était une pièce rapportée dans le domaine de la physique nucléaire. Il était électronicien théoricien. On est donc venu me dire : "Teillac, vous qui êtes un homme du sérail, vous qui connaissez très bien les gens du CEA, allez-y. Essayez de faire quelque chose ". J'ai accepté en y mettant une condition : celle d'avoir les gens du CEA avec moi. Je pensais que dans un premier temps, il ne fallait pas leur mettre le dos au mur. L'idée de Blanc-Lapierre était bonne au départ, mais elle était en avance sur son temps. De plus, elle était formulée de façon trop simpliste. Moi, j'ai pris une voie détournée qui consistait à coordonner d'abord l'Enseignement supérieur et le CNRS. Là au moins, on était chez soi. Après on dialoguerait avec le CEA. Et cette démarche pragmatique a fonctionné. En peu plus d'un an, j'ai réussi à mettre en place l'IN2P3 en suivant une voie moyenne entre ceux qui voulaient avoir un institut totalement indépendant, doté d'un Directeur nommé en Conseil des Ministres et ceux qui voulaient l'intégration complète au CNRS. Quant à l'Enseignement Supérieur, je ne pensais pas qu'il avait le poids suffisant -dans ce domaine- pour me préoccuper d'un éventuel rattachement. L'avenir m'a d'ailleurs donné raison.
Pour moi, la grande liaison résidait dans le fait que le Président du conseil d'administration de l'Institut, était le directeur général du CNRS. Cela m'a d'ailleurs valu une levée de boucliers des personnels concernés : "nous n'acceptons pas de quitter le CNRS pour entrer dans cet IN2P3. On ne sait pas ce qu'il va devenir, etc... ". La discussion avec les syndicats fut assez difficile et finalement j'ai été obligé de céder. Le personnel resterait dans son cadre d'origine et serait géré par le CNRS. Cela faisait évidemment perdre à l'IN2P3 un peu de son autonomie. Mais je considérais que l'essentiel était d'avoir une vision totale des crédits de la physique atomique. Ce point capital était préservé. C'était plus l'aspect scientifique qui m'importait que l'aspect gestion du personnel.

La mise en place de l'IN2P3 est postérieure à celle de l'INAG

L'IN2P3 est plus un institut que ne l'est l'INAG. Ce dernier est une sous structure du CNRS. L'IN2P3 est un véritable institut et même, à un moment donné, il a failli avoir son indépendance. Mais je ne souhaitais pas qu'il le devienne complètement. Cela aurait fait encore un organisme parmi d'autres. Et on aurait eu plus facilement la possibilité de réduire ses moyens. Son intérêt était de rester lié aux grands organismes de recherche. C'est moi qui ai souhaité que l'IN2P3 soit fortement lié au CNRS. J'ai eu l'aide des syndicats et du personnel qui sont d'ailleurs allés beaucoup plus loin que je ne le voulais. Ensuite, il y a eu des tractations pour que le directeur de l'IN2P3 devienne directeur scientifique du département correspondant du CNRS. Je participais au Comité de direction du CNRS à l'époque. C'était l'époque de Pierre Creyssel. On m'avait donné la responsabilité des commissions sectorielles du Comité national avec prérogative de directeur scientifique. Donc le CNRS a phagocyté l'Institut, mais sans pour autant la démanteler. Peut-être que dernièrement... Avec le passage de Yoccoz à Lehmann. Il y a eu quelques remous, mais je n'ai pas suivi l'affaire en détail.

Votre idée était donc de mouiller progressivement le CEA dans l'Institut

Mon idée étant que l'ayant fait fonctionner, il fallait travailler au rapprochement avec le CEA. Faire des travaux communs, lancer des laboratoires ensemble. Je dois dire que cette coopération s'est très bien passée. C'est sans doute ce travail qui m'a valu de me retrouver Haut commissaire. Me voici maintenant de l'autre côté de la barrière !

Pourquoi cette orientation de l'IN2P3 sur des études mettant en jeu les ions lourds ?

Quand j'étais directeur de l'Institut de Physique Nucléaire à l'Université, je pensais déjà que les ions lourds étaient une des orientations qu'il fallait adopter. J'avais à l'époque construit un dispositif d'accélération appelé 'Alice'. Quand 'Alice' a commencé à fournir des résultats, certains collègues m'ont suggéré de franchir une étape supplémentaire. J'étais d'accord mais je voulais que cela se fasse sur le plan national. Je souhaitais que le CEA s'associe à l'affaire. J'ai profité de mon amitié avec Hubert Curien, qui était alors délégué général à la recherche, pour lui faire part de notre désir de construire un accélérateur à ions lourds. Curien m'a beaucoup aidé à faire aboutir le projet dans le cadre du Plan de Relance de 1975. C'est lui qui a proposé d'y inscrire notre projet si nous lui fournissions une perspective de financement d'ensemble. Nous avons donc tracé un schéma qui prévoyait un financement moitié Enseignement supérieur, moitié crédits DGRST.

Pourquoi GANIL a-t-il été implanté en Normandie ?

Tout simplement parce que le ministre de l'Industrie de l'époque était Michel d'Ornano. On avait déjà vaguement prospecté différents sites car nous ne souhaitions pas nous installer dans la région parisienne où il y avait déjà beaucoup de choses. C'était la grande époque de la décentralisation. J'avais consulté la DATAR qui m'avait dit qu'il n'y avait qu'un seul endroit : l'Isle d'Abeau. Et puis il y avait un centre au sud de Bordeaux (Talence) où j'avais déjà implanté un petit labo. Naturellement en tant que Directeur de l'IN2P3, je poussais ce dernier site. J'étais allé voir Chaban-Delmas qui m'avait exprimé son intérêt et son intention d'un soutien financier. Et puis on va voir d'Ornano qui nous dit : "Au fond, vous ne pensez pas qu'on pourrait voir quelque chose dans la région normande ? Ce n'est pas loin de Paris. Ca pourrait vous intéresser..." . Nous n'étions pas très chauds et puis les physiciens nous sont tombés dessus :
"C'est le désert !
- Ecoutez, vous voulez gagner ou vous ne voulez pas ? Le Ministre est normand et il nous dit de nous installer en Normandie ".
Bien entendu d'Ornano n'avait pas dit cela en ces termes, mais il est clair qu'une perche était tendue. Nous avons donc préparé un dossier avec trois sites possibles, dont un en Normandie. Le Ministre, dans sa grande sagesse s'est alors retiré sous sa tente et nous avons eu la réponse. "On construira à Caen". Voilà sans doute l'une des raisons de ma présence ici (au CEA). Quand mon nom a été prononcé pour le Commissariat, c'est d'Ornano qui faisait la proposition en Conseil des Ministres.

Pourquoi dès 1945, le CEA a-t-il entrepris de consacrer une part notable de son activité à la recherche fondamentale ?

Le CEA a commencé à faire de la recherche fondamentale en 1945 pour la raison très simple que pour pouvoir faire de l'énergie nucléaire, il fallait faire de la recherche fondamentale. Rappelez-vous que les américains avaient mis l'embargo sur tous les résultats scientifiques obtenus pendant la guerre. La première chose que Joliot a du démarrer avec son équipe, ça a été de mesurer des sections efficaces de capture des neutrons par les noyaux. De plus, le CEA s'est trouvé confronté à une masse de problèmes technologiques : construction d'appareillages, de compteurs, etc... Il y a donc eu un effort aussi bien en recherche fondamentale qu'en recherche appliquée. Par la suite, quand les éléments indispensables ont été "retrouvés" par le CEA ou lorsqu'ils ont été "libérés" par les américains - vers1955 - le Commissariat a continué à faire de la recherche fondamentale parce qu'il s'agissait d'une activité essentielle pour un organisme comme lui. Les développements technologiques ne peuvent se faire que s'ils sont intimement liés à la recherche fondamentale. Prenez un exemple actuel : la séparation isotopique. Vous connaissez Eurodif, cet énorme machin bâti à Tricastin et destiné à enrichir l'uranium par le procédé de diffusion gazeuse. Or aujourd'hui on a trouvé une nouvelle méthode de séparation isotopique, fondée sur l'emploi du laser. Si elle marche, l'ancienne méthode deviendra obsolète. Mais pour la mettre au point, il y a une lutte acharnée sur le plan mondial, essentiellement entre les américains, les japonais et nous. Si nous n'avions pas de recherche fondamentale efficace au CEA, nous n'aurions pas la technologie indispensable pour cette mise au point. Autrement dit, un Centre comme celui ci a une mission qui va de l'amont (la recherche fondamentale) jusqu'à l'aval, c'est à dire l'industrialisation.
Mais bien sur, cela ne veut pas dire que le CEA peut faire tout ce qu'il veut en matière de recherche fondamentale. D'abord ce n'est pas sa mission, c'est celle du CNRS. Mais il est vrai que la tentation peut exister. C'est le rôle de ses dirigeants de maintenir cette tendance dans des limites raisonnables.
Ce qui est important, c'est que les dirigeants du Commissariat et ceux de ceux du CNRS se concertent de façon à ce que, ce qui se fait au CEA, ne soit pas déconnecté d'une politique scientifique générale de la France. Nous avons régulièrement des réunions avec la Direction Générale du CNRS, comme nous en avons avec celle d'EDF, en matière de politique énergétique. Le CEA est un organisme public à la disposition de la nation pour différentes missions. Un certain nombre de responsabilités ont été clairement fixées : le CNRS a la responsabilité de promouvoir l'ensemble de la recherche, c'est lui qui doit avoir une vision globale. Mais cela ne veut pas dire que c'est lui qui doit tout faire. Le CNRS doit aussi s'appuyer sur des organismes capables de faire une bonne recherche fondamentale, sur des créneaux spécifiques. Supposez que demain la recherche fondamentale du CEA passe au CNRS ou à l'IN2P3, elle se déconnecterait complètement des applications technologiques. Et le Commissariat a aussi la charge de ces dernières. Symétriquement, si EDF fait la recherche-développement pour les lignes électriques, elle n'en fait pas dans le domaine nucléaire.

Et la querelle des filières avec EDF?

Vous avez raison, il y a eu des fluctuations dans le passé, mais aujourd'hui, les choses se sont recentrées. C'est vrai que le CNRS, s'il le veut, est capable de créer des accélérateurs. Autrefois, on disait que le CEA était seul apte à construire ces grands instruments, mais aujourd'hui, il est évident que ce n'est plus le cas. Le CNRS participe à l'Institut Laüe Langevin aussi honnêtement que le CEA. On va faire le SRF, le CNRS y sera à parité avec le CEA. Le CNRS est aujourd'hui capable de faire ces grands instruments. Mais la raison du maintien de la recherche fondamentale au CEA, est que sa présence est indispensable à sa mission et, en retour, ce rôle du Commissariat est bénéfique à la recherche fondamentale. Il y a des choses que l'on peut y faire dans des conditions de rapidité et d'efficacité qu'on ne trouve pas ailleurs. Je ne suis pas sûr que dans le domaine des supraconducteurs, nous ne puissions pas faire plus vite que d'autres car, en matière de matériaux, nous avons acquis une connaissance très approfondie et très particulière en travaillant sur nos réacteurs.

Mais qu'est-ce qui vous empêche donc de devenir demain une sorte de 'CNRS bis' ?

Je réponds que ce n'est pas notre mission. Nous avons une mission de nucléariste dans ce pays et elle est déjà assez lourde, surtout dans le contexte actuel. Je crois que le CNRS a intérêt à s'appuyer sur des organismes comme le CEA, il n'y en a pas tellement en France. Le CNES est encore une agence de programme. Petit à petit, dans vingt ou trente ans il aura dépassé ce stade et il n'est pas exclu qu'il devienne un organisme du même type que le CEA. Le CEA a quarante deux ans d'existence. Le CNRS bientôt cinquante, lui non plus n'avait pas été conçu pour gérer des laboratoires propres, est ce qu'il n'y a pas eu ici aussi une évolution un peu similaire?


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