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Quand il a été nommé secrétaire d'Etat à la recherche
(1936), il semble que la première idée de Jean Perrin (*) était de faire du
CNRS un dispensateur de prix scientifiques
Jean Perrin a
effectivement lancé l'idée des médailles. On sait que c'était quelqu'un
de très élitiste. Pour lui, au départ, le CNRS était uniquement un
moyen de donner de l'argent aux meilleurs chercheurs. Son idée était de
faire de la recherche une profession suffisamment attractive pour
attirer les gens. Par conséquent, ce système de médailles consistait à
aider les chercheurs en leur autorisant un supplément de revenus et de
notoriété. En fait, il était scandalisé que certains soient aussi
dépourvus de moyens d'où l'idée suivante : il faut que la France
recrute des scientifiques, il faut qu'on arrive à avoir des gens de
premier ordre et, à partir de là, tous les systèmes d'organisation de
la recherche sont bons. En même temps, on comprend que ce système ait
fait réagir des gens qui considéraient que le CNRS ait pu être conçu
uniquement comme une sorte de méritocratie réservée à ceux que Perrin
considérait comme l'élite. C'est la raison pour laquelle son dispositif
de médailles a été violement contesté ceux qui s'estimaient exclus et
qui ont lancé une virulente campagne 'anti-médailles'.
Une campagne 'anti-médailles'
Cette campagne a été conduite par des gens comme André Weil et Yves
Rocard qui ont réussi à entraîner avec eux nombre de jeunes chercheurs,
dont j'étais, et qui estimaient qu'une distribution de médailles
n'était peut être pas la première chose à faire. J'ai retrouvé dans mes
papiers une lettre de Weil où je lis : " Ton adhésion à notre action
anti-médaille m'a fait plaisir, bien entendu. L'affaire marche assez
bien. cent quarante quatre signatures (ont été réunies), tout le
Muséum, Rivet et Antoni en tête, les Facultés de Clermont, de
Strasbourg, Caen, Besançon, Rennes ont voté des voeux dans le même
sens. D'autres vont en faire autant. Nous attendons l'audience du
ministre. S'il se montrait mal disposé, ce qui est peu probable, on a
un député à lui lancer dessus lors de la discussion du budget. Le
succès n'est plus douteux.../ Quant à Laugier, je sais par voie
détournée que tes conjonctures tombent juste. Il est avec nous au fond,
mais il ne peut prendre position publiquement contre Perrin, bien sur."
Henri Laugier devient le premier directeur du CNRS
Je peux vous parler abondamment d'Henri Laugier puisque c'était mon
cousin germain (sa mère était la soeur de mon père). Médecin et
physiologiste, Laugier était très introduit en politique. Vous savez
qu'il a été le directeur de cabinet d'Yvon Delbos sous le Front
populaire, nommé responsable du service de la recherche à l'Education
nationale. En 1939, il a été nommé directeur du CNRS puis révoqué sous
Vichy, il est parti au Canada et ensuite à Alger. Au CNRS, il y a eu
alors un interrègne assuré par le géologue Charles Jacob. En fait, à la
Libération, Laugier aurait du retrouver son poste de directeur, puisque
De Gaulle l'avait confirmé dans ses fonctions. Mais quand il est rentré
en France en 1944, il a découvert que Frédéric Joliot
venait d'être
nommé à ce poste par Henri Wallon et il a accepté de s'effacer. Laugier
était un homme qui savait reconnaître la valeur des gens. Certes,
c'était un bon physiologiste, cependant il ne se considérait pas comme
un grand scientifique et il n'avait pas l'idée de se comparer à un
Joliot... Je me souviens qu'il m'a dit : "je ne suis pas candidat au
CNRS, je ne veux pas en faire une affaire..." Peut être en avait-il
discuté avec De Gaulle, mais je l'ignore. Il est donc resté un certain
temps sans savoir ce que l'on ferait de lui. Puis on l'a nommé
directeur des relations culturelles au ministère des Affaires
étrangères. C'est ainsi qu'il a donné une grande extension à un petit
service qui existait déjà avant la guerre (le Service des affaires à
l'étranger de Marx) en créant, le dispositif des attachés culturels. Le
seul problème tient à la définition du mot ‘culture’. Certaines
perceptions de la sphère du culturel tendent à ne pas y inclure la
recherche scientifique et, en fait, celle-ci est restée quelque peu en
dehors du service créé par Laugier. Enfin, on sait qu'il est aussi
devenu adjoint du Secrétaire général des Nations Unies chargé des
affaires économiques et sociales, c'est-à-dire le second personnage de
l'ONU.
Madame Mineur la secrétaire générale du CNRS quitte elle aussi ses fonctions
Mme Mineure était la femme de l’astronome Henri Mineur, un drôle de
numéro qui a participé à la création de l'observatoire de Haute
Provence et de l'Institut d'Astrophysique de Paris (en soi, cela
mériterait une étude). Son épouse a joué un rôle important dans les
débuts du CNRS. Elle était un peu l'égérie de Perrin. Après la mort de
Mineur, elle a épousé quelqu'un qui s'appelait Nager ( ?) et ils sont
parti tous les deux à Rio de Janeiro. Plus tard, elle est revenue en
France et comme elle avait eu un poste important au CNRS, on a été
obligé de la recaser, ce qui a mis l’administration du CNRS dans
l’embarras. En fait, quand je suis devenu directeur, je l’ai cantonnée
dans des choses un petit peu latérales.
A la Libération, Frédéric Joliot (*) dirige le CNRS
En 1944, Joliot est donc devenu directeur du CNRS, mais il ne l'est pas
resté très longtemps puisque qu'il a été chargé de créer le
Commissariat à l'Energie Atomique. Cependant, il a entrepris de
réorganiser le Centre, par exemple en y installant un conseil de
direction scientifique : le directoire. Dans ce premier directoire, il
a introduit quelques amis ou des camarades de la Résistance en qui il
avait confiance. Puis le directoire s'est étoffé et un jour Champetier
qui faisait parti de ce petit groupe est venu me demander si
j'accepterais d'y représenter la géophysique, les sciences de la terre,
etc., ce que j'ai accepté. Joliot a aussi accru le domaine du CNRS
grâce à l'achat du domaine de Gif sur Yvette. Pendant la guerre, il
avait travaillé avec Jacques Noetzlin, le fils d'un banquier suisse,
avec lequel qui avait fait de la Résistance en s'occupant de
déchiffrement, de cryptographie,de trucs comme çà. Or, Noetzlin avait
hérité de son père le domaine de Gif-sur-Yvette et Joliot s'est entendu
avec lui pour l'acheter moyennant un prix extrêmement raisonnable, mais
à condition que le domaine serve à la recherche et que les vieux
serviteurs du père Noetzlin soient tous conservés sur place. Vous savez
que Gif allait d'abord servir à y installer des biologistes et des
généticiens et notamment celui de Georges Teissier qui a pris la
succession de Joliot une fois celui ci parti au CEA.
Lui succède le généticien Georges Teissier
Georges Teissier était un pur et un dur. Au point de vue scientifique
c'était un très bon scientifique qui avait dirigé les laboratoires de
Roscoff d'une façon brillante. C'est lui qui a introduit en France la
génétique des populations alors qu'il n'y avait pas beaucoup de
généticiens en France à l'époque. Mais c'était aussi un communiste
intransigeant qui avait été camarade de résistance de Joliot. C'était
donc un homme sûr, quelqu'un d'animé par un grand souci du service
public, mais certainement pas un diplomate. Je ne me rappelle plus qui
m'a dit un jour en sortant de chez lui : "C'est tout de même étrange,
quand Joliot me refusait les moyens que je lui demandais, je le
quittais tout contant de notre conversation. Quand je vais voir
Teissier, il m'accorde ce que je lui demande, mais je le quitte furieux
parce qu'il m'a engueulé..." Voilà Teissier! Il a dirigé le CNRS
jusqu'en 1950 au moment où il a été obligé de quitter ses fonctions à
la suite d'une crise politique. Teissier adhérait à l''Union Française
Universitaire' (UFU), un organisme quelque peu 'fellow traveller' du
PCF et qui était dirigé par Orcel, un professeur de minéralogie au
Muséum. Or l'UFU avait lancé une pétition politique (je ne me souviens
plus à quel propos) qui avait déplu au ministre de l'Education
nationale Yvon Delbos. Teissier étant signataire, le ministre lui a
demandé de publier un désaveu. Evidemment, il a répondu qu'il n'avait
pas à dire au ministre s'il l'approuvait ou s'il désapprouvait une
pétition politique puisque ceci relevait de sa seule conscience. Delbos
ne l'a pas entendu de cette oreille et l'a mis à pied. Il y a eu appel
devant le Conseil d'Etat, mais celui-ci a rendu un arrêt (l'arrêt
Teissier) très connu des juristes qui établit que tout fonctionnaire
d'autorité peut être révoqué 'ad nutum' sur décision du gouvernement.
Le rôle d'Emile Terroine
Emile Terroine n'avait pas de fonction officielle dans la direction du
CNRS, mais il était une sorte d'éminence grise de Teissier. Tous deux
avaient du se rencontrer dans la résistance. Terroine était un homme de
bien public, un nutritionniste qui avait créé un Centre national
d'étude et de recherche sur la nutrition pour développer des activités
de santé publique, comme son idée de mettre da la craie dans la
fabrication du pain (pain calcique) afin d'éviter la décalcification de
la population.Il avait d'ailleurs le génie de l'organisation et même,
si j'ose dire, de la super organisation. Il avait mis en place au CNRS
toute une série de comité et m'avait demandé d'en faire parti d'au
moins une demi-douzaine. Notamment un comité des relations avec
l'étranger qui a contribué à organiser les premiers grands colloques
CNRS de l'après guerre. Mais toutes ces commissions, cela me donnait le
tournis! Le premier souci de Dupouy quand il a succédé à Teissier à la
direction du Centre a été de faire table rase de toutes ces instances.
Gaston Dupouy (*), directeur général du CNRS
Dupouy était quelqu'un de bien assis au point de vue politique, mais
beaucoup plus diplomate que Teissier. Il était soutenu par un certain
nombre de ministres radicaux, en particulier André Marie, le président
du conseil. Dupouy était un homme de très petite taille, extrêmement
autoritaire et l’on n'a pas tardé à le surnommer le 'Napoléon' de la
recherche. Quand il a pris la direction du CNRS en 1950, sa première
décision a été d’organiser de manière collective la demande de moyens
financiers au ministère des Finances. Pour cela il a eu l’idée d’un
plan quinquennal, c'était la mode à l'époque. Il a demandé aux
représentants des différentes disciplines de préparer un rapport sur
les besoins de la recherche dans leur secteur. C’est ainsi qu’on m’a
confié celui de la géophysique. Il a eu aussi l’idée de développer les
relations internationales du CNRS. Il concevait l’organisme comme le
représentant de la recherche française à l’étranger et il a noué des
relations avec l’’Association Max Planck’ et la ‘Deutsche
Forschunsgemeinschaft’ allemandes ou avec le ‘Concejo Superior de
Investigaciones Scientificas’ espagnol. Mais nous n’étions guère
encouragés par les Affaires étrangères qui voyaient là une atteinte à
leurs droits immémoriaux. L'exemple le plus caricatural a été celui des
relations du CNRS avec l'Académie des sciences de l'U.R.S.S. Le Quai
d’Orsay n’admettait pas qu’un organisme scientifique puisse traiter
directement avec un homologue étranger sans passer par la voie
diplomatique.
Henri Longchambon est nommé sous-secrétaire d’Etat à la recherche dans le gouvernement Mendés France
Cela n'a guère eu d'incidence sur le CNRS. En 1938, Longchambon avait
été directeur de la recherche scientifique appliquée, je crois qu’il
avait été choisi parce que très peu de gens s'intéressaient alors à ce
domaine. Mais, par la suite, il a perdu de son autorité dans des
histoires industrielles qui n’ont pas marchées. Par exemple, il avait
le projet de remplacer les haut fourneaux par des bas fourneaux. Un
autre de ses projets concernait l'utilisation du genêt comme fibre
textile. Il y a eu aussi l’histoire des sables à "ilmenite", un minerai
de fer du Sénégal. Voilà le genre de chose qui l’excitaient et, ce qui
était plus embatant, étaient liées à des affaires financières pour
lesquelles il n'avait pas les épaules assez larges. En 1956, il a réuni
une espèce de Conseil de la recherche scientifique, mais qui n’a pas
donné grand chose. Longchambon avait d'ailleurs des moeurs curieuses.
Plusieurs fois, il m’a fait venir chez lui à 9 heures du soir, on
cassait la croûte, il y avait du vin de Saint-Amour et des sandwichs,
et il me questionnait. Tout cela en présence de son amie qui faisait la
maîtresse de maison, une personne qui a fait beaucoup pour les films
scientifiques (c'était la femme d'un des directeurs du trésor dont j'ai
oublié le nom). Donc on discutait un peu à tort et à travers et vers
minuit, une heure du matin, on commençait à avoir sommeil et il nous
laissait partir.
En 1957, vous succédez à Dupouy à la direction du CNRS
Pendant un an, j'ai été directeur adjoint du CNRS. Cela s'est décidé au
cours d'un déjeuner où Dupouy et les directeurs adjoints, Champetier
pour les sciences, Lejeune pour les SHS
m'avaient invité. J'étais surpris d'être invité par le directeur
général du CNRS, je ne savais pas ce qu'il me voulait. Au cours du
déjeuner, Dupouy me dit que Champetier quittait le CNRS pour prendre la
direction de l'ESPC et il m'a demandé si j'accepterais de lui succéder
en tant que directeur adjoint pour les sciences. J'ai demandé à
réfléchir quelques jours et j'ai accepté. J'ai donc passé une année
avec Dupouy comme directeur adjoint. Puis, au bout d'un an, il m'a dit
qu'il voulait retourner à Toulouse et il a reconnu qu'il avait en tête
l'idée de me passer la main à la direction générale, lors de mon
invitation l'année précédente. Reste que sa décision nous a tous
surpris... J'ai donc pris la succession de Dupouy en gardant la manière
dont il avait organisé la direction du CNRS. Le directeur et les
directeurs adjoints se partageaient les sections du Comité national.
Lejeune avait toutes les sections littéraires. Champetier, et moi
après, les sections de chimie, de mathématiques et les sciences de la
terre. Quand j’ai succédé à Dupouy, j’ai pris aussi la physique. En
tant que directeur général, j’assistais aux réunions des sections du
Comité national. Et comme je voulais savoir aussi ce qui se passait
ailleurs, je suis allé quelques fois dans les autres.
Les sciences humaines
Je suis allé juste une fois en Sciences humaines. J'avais une confiance
absolue en Lejeune, mais je voulais me rendre compte. La section qui
fonctionnait le plus mal était celle de sociologie, une véritable
catastrophe. Les membres se déchiraient à qui mieux mieux, ils
traitaient leurs poulains (leurs candidats) respectifs de crétins et
autres qualificatifs. Après qu’ils se soient tous bien étripés, le
président intervenait alors : « bon, nous sommes tous d’accord pour
prolonger monsieur X… » et, malgré les attaques les plus violentes, on
finissait toujours par le faire passer. Le sociologue Friedmann, un
camarade de l’ENS, disait : « arrêtez, nous nous ridiculisons devant
monsieur Coulomb ». En fait, tout cela était assez rigolo.
Les laboratoires propres du CNRS
Le directoire était le seul compétent en ce qui concerne les
laboratoires propres. Mais, il est arrivé qu'il prenne des décisions
avec lesquelles je n’étais pas d’accord. Par exemple, lors de la
succession de Joliot au laboratoire de synthèse atomique à Ivry,
j’avais proposé la nomination d’Aïchevski qui faisait de la chimie sous
radiation, alors que le directoire m'a imposé Magnan qui travaillait
sur le microscope à proton, un appareil qui n'a d'ailleurs rien donné
au final. Ce n'est pas le seul problème auquel les laboratoires propres
m'ont confronté. A Bellevue, Rose avait succédé à Volkringer au
'Service des inventions et de la recherche', mais comme il était très
dirigiste, il s'est heurté à Guillot qui ne supportait pas que
quelqu'un vienne fourrer son nez dans les affaires du grand
électro-aimant, moyennant quoi on a nommé Rose au Palais de la
Découverte. Un certain nombre de grandes opérations prévues par Dupouy
ont posé des problèmes. Par exemple le projet de Centre de recherches
nucléaires (CRN) de Strasbourg-Kronenbourg destiné à la physique des
particules réunissait des chercheurs qui prétendaient chacun à sa
direction. Il y avait là Melle Perret qui avait été travailler chez Mme
Curie et qui avait découvert le 'francium' (un transuranien dans le
tableau de Mendéliev), mais aussi Serge Gorodetzki un spécialiste des
accélérateurs Van de Graff, Cuer un type très brillant qui utilisait
des plaques photographiques épaisses embarquées par des ballons sondes
pour observer les rayons cosmiques (mais qui a fini par sombrer dans
une affaire de détournements de fonds), Vivien un biologiste qui
s'intéressait aux applications des isotopes marqués. Mais c'était une
bagarre terrible jusqu'au jour où Charles Gabriel, un type remarquable,
le secrétaire général du CNRS m'a suggéré de nommer un administrateur, ce qui a permis d'améliorer progressivement les
humeurs...D'autres projets de laboratoires propres m'ont posé des
problèmes comme la construction d'un 'biotron' à Strasbourg à
l'instigation de Henri Laugier qui voulait un grand laboratoire de
physiologie du travail. En fait ce biotron avait des ennemis farouches
et s'il a finalement été réalisé, il n'a jamais eu l'ampleur dont
rêvait Laugier. Mais sous la direction de Metzinger, il a quand réussi
à faire des expériences sur la température optimum de l'homme au
travail et autres choses du même genre.
Le CNRS et la recherche médicale
L'institut national d'hygiène (INH) était dirigé par Louis Bugnard.
Dupouy le connaissait bien, c'était un homme très sympathique qui a
fait beaucoup pour la recherche médicale, avec Robert Debré il se
préoccupait de faire venir des scientifiques dans les hôpitaux. Par
exemple, il à eu un rôle important pour permettre à Bernard Halpern
d'avoir son laboratoire alors qu'il n'était pas interne, il n'avait pu
passer le concours du fait de ses origines étrangères. Nous avons passé
une convention avec Bugnard prévoyant que seul l'INH permettrait à des
cliniciens de faire carrière dans la recherche et qu'en contre partie,
le CNRS serait seul habilité à rémunérer les chercheurs en physiologie
pure ou en biochimie. Tout ce qui relevait des science pure, mais
applicable à l'homme relevait du CNRS, la recherche médicale revenant à
l'INH. Ce système marchait d'autant mieux que Bugnard était à la fois
directeur de l'INH et président d'une commission du Comité national.
La création de la DGRST (1959) ne remet-elle pas en cause le fonctionnement du CNRS?
A leurs débuts, la DGRST et le Comité des Sages ont suscité une enquête
de l'inspection des Finances sur le CNRS. Il en est issu le rapport
Chalendar qui ne nous était pas favorable. Simultanément, l'idée du
président du comité des sages, Maurice Letort, l'ancien patron des
Charbonnages de France, était de créer un 'Office des instituts
nationaux de recherche', c'est à dire rassembler toutes les recherches
au sein d'un organisme unique comme on l'avait fait pour la physique
nucléaire avec le C.E.A. Letort voyait toute toutes les sciences
réparties entre une douzaine d'Instituts coiffée par cet office. Ce
projet faisait peser des graves menaces sur le CNRS et je m'y suis
opposé. Heureusement, il y avait une grosse bagarre entre Letort et le
Délégué à la recherche (DGRST), Pierre Piganiol. Qui allait diriger la
DGRST, le président du comité des Sages (CCRST) ou le délégué général à
la recherche? Finalement ce fut le délégué. Comme toujours, les
permanents l'emportent ceux qui président des réunions. En définitive,
la Délégation a été favorable au CNRS; elle nous a permis d'obtenir le
soutien des pouvoirs publics. Puis, cela a pris suffisamment
d'importance pour le gouvernement délègue un portefeuille ministériel à
la recherche. Mais finalement, tout cela a fini en eau de boudin. Les
Finances trouvaient qu'il n'était pas bon de laisser les scientifiques
accéder directement au Premier ministre.
La programmation de la recherche
J'ai retrouvé dans mes papiers un article du physicien Léon Brillouin,
un grand monsieur qui résume admirablement, me semble t il, la position
des scientifiques vis-à-vis des excès d'organisation de la recherche
scientifique. Ce papier publié 'Solitaire ou embrigadé' a été publié
dans la N.R.F. en janvier 1956. Je lis : "jusqu'où irons nous dans
cette voie ? Les savants dirigés et contrôlés cesseront peut être de
s'intéresser à leurs recherches, deviendront des fonctionnaires plus ou
moins zélés. La circulation des idées une fois étranglée, l'émulation
tombera, la curiosité s'émoussera, la spécialisation technique survivra
seul sous ce régime bureaucratique et, peu à peu, nous nous
acheminerons vers une société de fourmis, une ruche bien organisée
assez semblable au 'brave new world' prédit par Huxley." Je considère
cet article comme un excellent contrepoison pour les abus
d'organisation scientifique. En la matière, la seule chose que j'ai
faite a été la création des 'Recherches coopératives sur programmes'
(RCP). Tout en adhérant au point de vue de Brillouin, il ne paraissait
pas souhaitable, financièrement parlant, que plusieurs chercheurs
fassent des choses tout à fait semblables sans se concerter. J'ai donc
sollicité un financement particulier destiné à aider ceux qui
accepteraient de s'entendre pour faire avancer une question
particulière. Mais je me permets d’insister sur le fait que j'avais
obtenu un financement spécifique pour ces RCP. En effet, la critique
qu'on à fait plus tard à Pierre Jacquinot, mon successeur au CNRS, est
de ne pas avoir obtenu de moyens complémentaires destinés aux
'laboratoires associés' (1964). Cela a conduit à réduire la part du
budget des laboratoires propres au profit des labos associés, bref à
déshabiller Jean pour habiller Pierre. A partir de là, la direction du
CNRS a d'ailleurs laissé 90 % des engagements budgétaires aux mains du
Comité national. Certes, les 10% restant lui permettaient d’assurer la
couverture de besoins imprévus, voire de pallier à certaines décisions
fâcheuses du Comité national - si celui-ci rend de grands services à la
recherche, il arrive que ses sections soient souvent trop perméables à
des arguments non scientifiques -, mais, de mon temps, je n'avais pas
voulu faire du CNRS le terre-neuva de l'Université.