En cas d'usage de ces textes en vue de citations,
merci de bien vouloir mentionner leur source (site histcnrs), ses auteurs et leurs dates de réalisation
Entretien avec Haroun Tazieff
Alain Dalotel & J-F Picard, 19 juin 1986 (source :
https://www.histcnrs.fr/temoignages.html)
DR
Voir aussi :
'L'homme aux sourcils brûlés' (S&V n° 498, 3. 1959) et
Varet J., 'H. Tazieff, des années Afar au Secrétariat d'Etat' (HAL 2013)
Alors que nous avions émigré des tréfonds orientaux de l'Europe où je
suis né en 1922, j'ai été élevé en Belgique où j'ai fait toutes mes
études, notamment à la fac de science de Gembloux (Liège). En 1945, je
suis partis comme ingénieur des mines au Katanga. C'est au Congo belge
que j'ai découvert le volcanisme et que j'ai laissé tomber les mines
pour m'occuper des phénomènes éruptifs, notamment après l'exploration
d'un volcan extraordinaire, le Nyiragongo qui offrait le seul lac de
lave connu dans le monde à l'époque. Un lac de lave permanent est un
endroit idéal pour étudier le phénomène éruptif puisque l'on y trouve
de la lave en fusion et des gaz à haute température avant qu'ils ne se
modifient par interactions. Grâce au Fonds national de la recherche
scientifique belge (FNRS), j'ai obtenu la création d'un petit 'Institut
national de recherche volcanologique' qui a fonctionné pendant quatre
ans. Avec mon ami Armand Delsemme (U. de Liège) on a pratiqué des
descentes dans la bouche des volcans pour y effectuer des prélèvements
de lave et de gaz et réaliser les premières spectrographies de flammes
volcaniques. En 1960, je me trouvais au Chili pour étudier les effets
du plus grand tremblement de terre du vingtième siècle (9,5 de
magnitude), un champ de ruines de 1000 km du Nord au Sud et de 200 km
d'Est en Ouest. Mais quand je suis revenu deux mois plus tard,
l'Institut avait été supprimé. Le Congo venait de recevoir son
indépendance, donc il n'y avait plus de volcans belges et l'on avait
supprimé les quelques millions de francs dévolu dans le collectif
budgétaire des sciences de la Terre. En même temps, la catastrophe du
Chili m'avait sensibilisé aux risques telluriques, c'est-à-dire aux
applications de la volcanologie. Ainsi, de 1957 à 1963 à la demande des
autorités locales, j'ai étudié l'importance des éruptions sous-marines
aux Açores (Faïal, Capelinhos). J'étais sollicité de temps à autre par
des responsables politiques, à tous les niveaux, inquiets à cause d'une
activité tellurique dans leur région et c'est ainsi que j'ai fait de
nombreuses missions UNESCO dans le monde.
La volcanologie
La volcanologie est une discipline d'autant plus spectaculaire qu'avec
mes amis, j'allais là où n'allait aucun chercheur. 'Mens sana in
corpore sano' comme disaient nos ancêtres, j'adore l'activité sportive,
aussi bien l'aspect physique que l'aspect challenge. Une montagne,
c'est un défi que nous essayons de vaincre, de même un volcan en
activité, je pratique le rugby, quinze bonshommes qui se disputent le
ballon ovale, c'est la même chose. En plus, comme je faisais des films
pour le grand public, cela m'a donné une certaine popularité qui en
agaçait beaucoup. La vulgarisation scientifique, c'est très bien vu en
URSS ou aux USA où l'on compte des Nobel parmi les grands
vulgarisateurs, mais beaucoup moins en France où les chercheurs
rechignent à sortir de leur tour d'ivoire. D'où la réputation d'un
Tazieff excellent photographe, excellent sportif, mais
scientifiquement, bon... Voilà ma réputation des années 1950 jusqu'aux
années 1980...
En fait, l'intuition joue un très grand rôle dans la science. Un
scientifique sans imagination n'est pas un vrai chercheur. Vous sentez
un truc au niveau d'un continent entier et vous vous dites qu'à tel
endroit il faut aller placer des capteurs, il va se passer des choses.
Il faut de l'intuition, de l'imagination, mais évidemment tout cela
repose sur des faits d'observation.
Je suis devenu chargé de cours à la
fac de Jussieu en 1958 pour diriger le labo de volcanologie à
l''Institut du physique du globe' (IPG). En volcanologie, il y a deux
choses que les gens des sciences de la Terre n'aiment pas, c'était une
discipline qui n'existait pas en France au début des années 1960, donc
elle ponctionnait une enveloppe budgétaire puisée dans celui des
sciences de la Terre (j'avais connu la même contrainte en Belgique).
D'autre part, il s'agit d'une discipline très conjoncturelle car liée
aux événements éruptifs. Tout d'un coup on apprenait qu'il y avait une
activité volcanique à tel endroit, donc il fallait mobiliser des moyens
illico. Je disais on y va avec trois ou quatre gars et deux à trois
cents kilos d'instruments et on fait fissa, impossible de se préparer
un mois à l'avance. Le volcan ne m'a pas prévenu qu'il entrait en
éruption et moi je ne préviens pas les instances, je pars.
L'Etna s'est réveillé en 1967 et j'ai pu lancer une mission grâce au
soutien de l'ONERA qui m'a magnifiquement aidé pendant un an. Les
instruments de mesure adéquats ont été construits dans cet organisme où
l'on étudie les fusées et les dégagement de gaz à très haute
température. Ce fut une coopération très positive, ses techniciens et
ses scientifiques étaient extrêmement sympathiques, ravis de faire des
missions sur l'Etna ou d'autres volcans, ce qui était tout de même plus
rigolo que de travailler dans un atelier d'essais de fusée. Mais, au
bout d'un an, l'ONERA qui relevait de la Direction des
recherches et technologies du ministère des Armées m'a envoyé sa
facture : tant d'heures d'ingénieur, tant d'heures de chercheurs, tant
pour ceci, pour cela... Bref, il y en avait pour je ne sais plus
combien de millions de francs. N'ayant pas un sou, je leur ai dit qu'il
n'était pas question que je paye, pas plus que le rembourse la petite
participation du CNRS. Bref, ils ont passé ça dans leur compte de
pertes et profits et je n'ai plus eu de contrat avec eux. Dommage.
L'Afar, la tectonique des plaques
L'Afar pour moi était un énorme point d'interrogation géologique que
j'essayais de comprendre depuis 1948. On ne savait pas ce que
représentait cette dépression extraordinaire, dans le coin de la mer
Rouge et je me disais que l'on pourrait trouver des réponses à
certaines questions que se posent les sciences de la Terre concernant
la dérive des continents. J'avais essayé d'y aller lors d'une
expédition au Kenya, puis en 1950 avec la Calypso de J-Y Cousteau. A
l'époque je m'intéressais aux éruptions sous-marines, j'ai été l'un des
premiers à décrire et à analyser celles de Faïal et Capelinhos aux
acores quelques années plus tard. Bon, Cousteau n'avait pas été assez
rigoureux dans son programme et nous ne sommes pas allé en Afar. J'ai
de nouveau essayé par voie de terre en 1953, toujours sans succès.
Enfin, après une reconnaissance effectuée seul en 1967 en Ethiopie
grâce à Georges Jobert, le directeur de l'IPG, j'ai obtenu un poste de chercheur au CNRS avec la charge de
mener une 'recherche coopérative sur programme' (RCP). Ainsi, la RCP
'phénomènes éruptifs' nous a permis de monter une mission
franco-italienne. Il faut savoir que l'Afar est l'un des seuls endroits
au monde avec l'Islande où l'axe médio-océanique se trouve à l'air
libre, partout ailleurs il est sous des milliers de mètres d'eau de
mer. La découverte de l'expansion des fonds océaniques responsables de
la dérive des continents date de la fin des 1950. C'est
précisément ce qui se passe dans l'Afar de manière beaucoup plus active
qu'en Islande, une région d'autant plus intéressant pour l'étude
qu'elle est désertique et dépourvue de végétation. J'ajoute que l'accès
au territoire français des Afars et des Issas était rendu plus facile
grâce à notre brave vieil ami Haïlé Selassié.
J'ai donc obtenu la direction d'une RCP que j'ai montée avec mon ami le
professeur Giorgio Marinelli de l'université de Pise. Chaque hiver de
1968 au début des années 1970, nous partions en expédition avec les
excellentes équipes interdisciplinaires que nous avions formée
(géologues, pétrologues, stratigraphes, géophysiciens, volcanologue et
paléontologistes), l'été rendant la chaleur insupportable dans cette
région. J'avais une certaine autorité qui me permettait de les amener
sur un terrain difficile où l'on se crève, on se tue pendant trois
semaines à faire de la géologie dans le désert de cinq heures du matin
à sept heures du soir. C'est dur, mais c'est passionnant et cela a très
bien marché.
En 1971 j'ai convaincu Jobert, d'installer là-bas un
réseau sismographique et grâce à l'aide de Georges Laclavel (?), le
directeur de l'Institut géographique national (IGN), on a utilisée un
géodimètre laser, une technique toute nouvelle à l'époque qui nous a
permis d'installer un réseau réseau géodésique extrêmement précis pour
analyser le mouvement des plaques tectoniques. On s'est dit, pourvu que
le prochain mouvement brusque arrive avant l'an 2000. Coup de pot, il
est arrivé cinq ans plus tard. En novembre 1978, la terre a tremblé, le
rift s'est ouvert et le magma a jailli. Ca a fait une petite éruption
très jolie, mais surtout on a pu mesurer qu'en quelques minutes,
l'Afrique et l'Arabie se sont écartées de 1,80 m. On a assisté à la
cassure et à l'écartement de ce qui est à l'Ouest le morceau de fonds
océanique sous la mer Rouge et à l'Est de la plaque arabique. La
dépression de l'Afar, située le long de la mer Rouge n'est pas un
morceau d'Afrique au point de vue tectonique, même si
géographiquement elle y est située. La mer Rouge n'est pas
une mer comme la Baltique ou la Méditerranée, mais un océan en
formation qui aura quelques milliers de kilomètres de large d'ici des
millions d'années, ce dont nous avons eu confirmation en pratiquant la
géochronologie de ses fonds rocheux par mesures radiologiques. Le
rendement scientifique de ce programme a été fabuleux, sans fausse
modestie de ma part, j‘en suis très fier. L'Afar est ce que j'ai fait
de mieux dans ma vie scientifique, mais nos résultats ont été étouffés,
je dirais même pillés, par la bande Allègre le Pichon et compagnie.
Le CNRS et la recherche programmée
J'ai voulu reprendre l'idée de ces mouvements de plaques non plus à
l'échelle du rift médio-océanique que nous avions découvert avec la
faille de l'Afar, mais à celle de l'ensemble d'une plaque. Or la plaque
arabique est relativement petite, deux mille kilomètres environ jusqu'à
ce qu'elle se glisse sous sa voisine, la plaque asiatique, c'est-à-dire
dans le golfe Persique où elle soulève la côte sud-ouest de la Perse,
la chaine du Zagros. Etudier cet ensemble représentait une belle
aventure et j'ai demandé au CNRS le lancement d'une nouvelle RCP. Mais
un membre des commissions du CNRS, le géologue Jean Goguel m'a expliqué
qu'il n'y avait plus de RCP et que désormais on lançait des 'actions
thématiques programmées' (ATP). J'ai dit : "moi, je me fous que vous
appeliez ça RCP ou ATP, je suis d'accord pour en prendre la direction".
En revenant d'une expédition à l'Erebus, un volcan antarctique, je
m'étais arrêté à Téhéran pour m'entendre avec les autorités iraniennes
en vue de lancer des recherches géophysiques et sismologiques
afférentes. Voilà la belle aventure que l'on aurait pu mener, mais que
j'ai du abandonner!
Dix ans plus tôt, lorsque
Hubert Curien
m'avait
ouvert un poste de maître de recherche, j'avais dit que j'étais
grandement honoré d'entrer au CNRS, mais que vu mon âge j'avais pris
des habitudes d'indépendance absolue, ce à quoi il m'avait dit que je
ne serais placé sous la tutelle de personne. Mais, ce que je ne savais
pas ou ce que je ne voulais pas savoir, c'est que pour obtenir des
crédits, il fallait hanter les couloirs du CNRS et passer beaucoup de
temps dans des commissions. Ayant passé ma vie sur le terrain, j'étais
donc totalement inexistant dans les dites commissions. Or, j'apprends
que dans une ATP, on n'a pas le droit de dire aux différents
participants ce qu'ils devaient faire. Je leur ai donc dit qu'ils
aillent la faire sans moi. Certes, une affaire comme celle là nécessite
la pluridisciplinarité puisqu'elle implique une douzaine de labos,
mais il faut quelqu'un au-dessus qui dirige, qui ordonne l'ensemble
d'un point de vue strictement scientifique. Bref, j'ai renoncé à la
direction de cette ATP qui a été confiée à un glorieux professeur de
Paris XI (Eric Mercier) et dont il n'est d'ailleurs pas sorti grand
chose, chacun ayant fait ce qu'il voulait pour consommer les moyens mis
à sa disposition. Bel exemple de gaspillage de l'argent du
contribuable.
Le CEA et les risques sismiques
Au début des années 1970, je suis retombé sur mes pattes grâce au
Commissariat à l'énergie atomique qui m'avait déjà bien aidé. Au
lendemain de la Guerre, le CEA avait rempli l'objectif assigné par De
Gaulle, doter la France de la bombe atomique, puis vers le nucléaire
dit pacifique, l'électronucléaire. On fait de l'électricité au lieu de
faire des mégatonnes, c'est tout de même beaucoup mieux. Mais comme on
s'y occupait aussi de toute la technologie nécessaire, je les
connaissais bien. Pour l'éruption de l'Etna, j'avais pu lancer grâce au
CEA l'étude des flux d'énergies thermique et cinétique, ainsi que de
matières, essentiellement gazeuse mais aussi liquides et solides émises par les volcans. Grâce à ces mesures, en cherchant
des corrélations entre divers paramètres, il est en effet possible
d'établir des hypothèses et des théories. Mais la France avait
désormais la bombe et l'heure de la diversification étant venue, dans
certains laboratoires quelques gars avaient envie de faire autre chose.
En 1972, j'ai été accueilli par Jacques Labeyrie qui dirigeait le
'Centre des faibles radioactivités', un laboratoire mixte CNRS-CEA
qu'il avait créé sur le campus de Gif-sur-Yvette. C'est ainsi que j'ai
commencé à travailler sur les risques sismiques avec un contrat du
Commissariat. Je me souviens d'un déjeuner avec André Giraud,
l'administrateur général, dans un petit restaurant tout en haut du
siège rue de la Fédération. "Dites-moi, monsieur Giraud, je vois très bien l'avantage que me
donne mon contrat avec vous, notamment pour tout ce que je n'ai pu
obtenir du CNRS et croyez bien que j'en suis enchanté. Mais, pourquoi
est-ce que vous me faites cette fleur? J'aimerais comprendre." Il m'a
regardé d'en haut avec son petit œil de cochon (j'ai beaucoup d'estime
pour les cochons) et il m'a expliqué avec une petit sourire narquois :
"Vous savez, les éruptions volcaniques ça se vend très bien dans
l'opinion. L'atome au contraire, ça passe très mal dans le public. Donc
vous allez nous aider à vendre de l'atome et grâce à vous le CEA pourra
améliorer son image de marque."
J'ai donc entrepris d'étudier les risques sismiques dans l'hexagone.
J'avais été marqué par le tremblement de terre du Chili en 1960.
Evidemment le risque millénaire est bien moindre en France, mais il
n'est pas inexistant. la sismicité historique montre qu'il y a deux
tremblements de terre quatre fois plus destructeurs que celui de Mexico
en 1985. Le premier au XIIème siècle dans la région de Bâle en 1356 a
tout détruit dans un rayon de 30 km, châteaux, églises, couvents,
faisant tomber des murailles à Avallon à plus de 300 km de l'épicentre.
Donc à partir de 1970, EDF a commencé à étudier sérieusement le risque
sismique sur ses sites nucléaires et sur ses barrages. En 1973, je me
souviens ainsi d'avoir fait une étude pour l'usine Eurodif, une filiale
du CEA.
L'affaire de la Soufrière
En 1976, l'éruption de la Soufrière avait poussé le préfet de la
Guadeloupe a demander au gouvernement d'évaluer les risques pour la
population locale. On lui avait envoyé un expert, le pr. Robert
Brousse, un professeur de pétrologie à la Fac. d'Orsay qui se
piquait de volcanologie. Doctus in libro, il savait tout les éruptions
de la montagne Pelée en 1902 et en 1929 à la Martinique, mais il n'en avait jamais vu
une sur le terrain. Olivier Stirn, le ministre des DOM-TOM et celui
de l'Intérieur, Michel Poniatowski voulaient profiter de la
crainte provoquée par l'éruption pour faire évacuer les habitants de
Saint-Claude, la préfecture de la Guadeloupe. Pour le Gouvernement, il
semblait plus logique d'avoir le siège du département, à Pointe-À-Pitre
la capitale économique à côté de l'aéroport,
plutôt que dans une campagne perdue. Mais les habitants de Basse-Terre
qu'ils fussent blancs ou noirs, pauvres ou riches, ne voulaient pas,
les uns parce que cela représente quelques milliards qui passent chaque
année et d'autres par vanité : "nous sommes la capitale de la
Guadeloupe. Enlevez la préfecture et on deviendra un village". Le préfet Rousseau hésitait à affronter la population.
Il se trouve
qu'en 1973, j'avais été bombardé volcanologue officiel du Gouvernement
français. Donc le préfet me téléphone et je prends le premier avion
avec trois collaborateurs (deux géochimistes du CEA et un prof. de
géologie, R. X. Faivre-Pierret). En deux
heures, j'étais convaincu qu'il y avait zéro danger pour la population.
L'éruption était spectaculaire, mais tout prouvait qu'elle ne
présentait aucun danger. Je reste huit jours sur
place à la demande du préfet, puis je pars en Equateur ou j'avais une
mission dans la Cordillère des Andes. Quinze jours plus tard, je trouve
à l'ambassade de France à Quito une pile de télex et de télégrammes
m'annonçant qu'il y avait eu une éruption plus violente et que l'on
avait fait venir
Claude Allègre, quelqu'un qui est
aussi volcanologue que je suis tricoteuse. Il était accompagné d'une
flopée d'experts, tous disant que la l'éruption
présentait un danger énorme, donc qu'il fallait préparer l'évacuation
de plus de 70 000 personnes. J'ai engueulé tout le monde,
j'ai dit merde à la direction du CNRS qui me sommait de revenir à Paris
et j'ai pris l'avion pour la Guadeloupe où j'ai débarqué en pleine
panique. Claude Allègre et Guy Aubert de l'
'Institut national d'astro & géophysique' (INAG) du CNRS avaient publié un rapport
officiel affirmant qu'il y avait de 60 à 70% de verre volcanique frais
dans les cendres de la Soufrière. Donc disait-ils le magma est proche et le risque
est d'avoir des nuées ardentes comme lors de l'éruption de la Montagne
pelée en 1902 cause de la destruction de Saint-Pierre et de la
mort de 28 000 habitants. Or ce rapport de l'INAG daté du 4 septembre
1976 est une véritable fumisterie, un faux et usage de faux scientifique. En
fait, il n'y avait pas de magma à la Soufrière.
Avec le soutien de
l'opinion publique locale, j'ai obligé les autorités à faire revenir la
préfecture à Basse-Terre où elle se trouve toujours aujourd'hui. J'ai
également été soutenu par le CNRS, notamment par
Robert Chabbal son
directeur de l'époque, ainsi que par des collègues de l'université
Paris VI. Mais l'affaire a eu des suites politique. Quatre ans plus
tard, une visite de madame Alice Saulnier-Séité, ministre de la
Recherche et patronne d'Allègre, était prévue en Guadeloupe pour inaugurer officiellement les
installations de volcanologie aussi coûteuses qu'inutiles que celui-ci avait installé. On avait même invité des douzaines de
personnalités du monde entier, notamment des Etats-Unis et du Japon.
J'ai profité d'une rencontre à l'Elysée avec Giscard à l'occasion d'une
remise de légion d'honneur à mon amie Jacqueline Auriol, pour lui dire
que si le gouvernement donnait son agrément à la présence de Mme
Saulnier-Séité, je me ferais un devoir de dénoncer publiquement un faux scientifique.
En 1981, j'ai fait de mon mieux pour
que Giscard ne se succède pas à lui-même. Politiquement, je n'ai jamais caché mes opinions qui sont plutôt de
gauche. En 1984, j'ai accepté un secrétariat d'Etat aux risques
naturels et technologiques parce que le Premier ministre Laurent Fabius
m'a dit : "tu réussiras à faire passer des réformes que tu juges
indispensables beaucoup mieux si tu es au gouvernement qu'en dehors", et
il a ajouté "je veux donner une image de politique à long terme, comme
la prévention des catastrophes". Mais j'ai été blousé et finalement je
me suis retrouvé tout seul. Je me suis mis un gros pavé sur la langue,
notamment vis-à-vis de Pierre Joxe, le ministre de l'Intérieur,
concernant la prévention des incendies de forêts et je n'ai pas dit à
tout ce que j'aurais pu dire par souci de
préserver une certaine solidarité gouvernementale apparente. Mais quand Allègre a été
appelé au gouvernement par son ami d'enfance Lionel Jospin, j'ai jeté
l'éponge.