La République des Savants
revisitée
Du CNRS à l’ANR, un siècle d’organisation de la recherche scientifique en France
par
Jean-François Picard, 2021
Depuis un siècle, le physicien Jean Perrin reste la
figure emblématique d'une république des savants qui a vu la création
du Centre national de la recherche scientifique*. On
voudrait évoquer ici deux personnalités, un peu oubliées aujourd'hui,
dont le rôle ne fut pas moindre dans l'histoire du CNRS que celui de
l’illustre physicien, pour ne rien dire de leur importance dans
l'organisation de la recherche publique en France. A la fin des années 1920, le physiologiste
André Mayer, professeur du Collège de France, a installé l’'Institut de
biologie physico-chimique' (IBPC), un organisme chargé de mener des
recherches pluridisciplinaires afin de rompre les rigidités du cadre
universitaire. Tout en inspirant l'organisation du futur CNRS, l’IBPC a
été un acteur majeur du rapprochement de la chimie et de la physique
pour donner cette 'molécularisation' de la biologie et de la médecine
que nous connaissons aujourd'hui. Le physicien Henri Longchambon, jeune
doyen de l’université de Lyon, soucieux d’effacer le distingo stérile
entre la recherche fondamentale et ses applications, a organisé le
premier dispositif de programmation scientifique pour la mobilisation
de 1939, inspirant une vingtaine d'années plus tard la création d'un opérateur de recherche, la
'Délégation générale à la recherche scientifique et technique' (DGRST).
Pour sa part, Jean Perrin a ouvert une caisse
des sciences destinée à soutenir la recherche académique, autrement
dit pour user d'une terminologie actuelle, une agence de moyens.
Ainsi, le conseil supérieur de la recherche fut créé dans les années
1930 pour abonder les bourses fournies par une Caisse nationale de la
recherche scientifique dans les milieux académiques. Devenu comité
national de la recherche scientifique au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, en ne présentant comme le défenseur intransigeant de la
recherche
fondamentale, ce parlement de la science a su professionnaliser
les métiers de la recherche, mais sans effacer les rivalités
corporatistes qui opposent la communauté
scientifique au monde universitaire. Ainsi, on risquera l'hypothèse que le
CNRS doté de cette double double vocation de caisse des sciences et
d'opérateur
de recherches a fini par se
heurter aux contingences d'un univers
technico-scientifique en pleine expansion, au profit d'une 'Agence nationale de la recherche' (ANR) installlée au début du XXI°
siècle.
Fils d’un industriel du textile,
André Mayer est né à Paris en 1875
dans une famille de la bourgeoisie juive d’origine alsacienne. Il
commence ses études médicales à l'âge de 16 ans et passe son doctorat
en 1900. Peu soucieux de s’abriter dans le confort de son milieu aisé,
en pratiquant chaque matin dans une clinique pour indigents des
quartiers populaires parisiens le docteur Mayer manifeste très tôt un
humanisme bienveillant qui ne le quittera pas au cours de sa vie, mais
il est attiré par la recherche. Sous la direction d’Albert Dastre, un
élève de
Claude Bernard
qui l’accueille dans son laboratoire de l'Ecole pratique des hautes
études (EPHE), il soutient une thèse qui fera date sur les conséquences
physiologiques de la soif, mais aussi psychologiques, un point qui
illustre l'ampleur de ses intérêts multi disciplinaires. Héritier de la physiologie
bernardienne, André Mayer étudie les colloïdes, les suspensions de
macromolécules, première étape d'une recherche pluridisciplinaire où la
rencontre de la biophysique, de la chimie organique et de la
physiologie cellulaire
aboutira quelques décennies plus tard à l'essor d'une nouvelle
discipline, la biologie
moléculaire. Devenu
responsable du laboratoire de physiologie de la Sorbonne, il recrute
des chercheurs qui
resteront auprès de lui jusqu'au CNRS,
Emile Terroine qui travaille sur
les questions de nutrition ou
Emmanuel Fauré Frémiet
sur les ciliés. Engagé volontaire en 1914, la notoriété d'André Mayer
s’élargit au monde scientifique anglo-saxon. Nommé aide-major aux
Armées, il dirige le laboratoire de physiologie des services
chimiques de guerre. En 1915, à la suite de la première attaque aux gaz
asphyxiants menée à Ypres par les Allemands contre les troupes
canadiennes, il organise l’’Allied Chemical Warfare Service’ où il
révèle ses qualités de planificateur. Ses compétences reconnues sur le plan international, il
participera à la conférence du désarmement de Washington en 1921 qui met
la guerre des gaz hors la loi. Au lendemain de la guerre, André Mayer est nommé
professeur de physiologie à la faculté de Strasbourg où il installe un institut de
physiologie qu'il confie à son collaborateur Emile Terroine. En 1923, il est élu au
Collège de France à la chaire de physiologie créée par Claude Bernard.
Le mécénat scientifique et l’Institut de biologie physico-chimique
Le début du vingtième siècle a vu le mécénat scientifique se
développer notamment en Amérique où des fondations sont créées par les
magnats de l’industrie, comme John D. Rockefeller ou Andrew Carnegie. En
1917, à l'entrée en guerre de l'Amérique
la Rockefeller est d’ailleurs intervenue en France, initialement pour développer la lutte antituberculeuse. Au lendemain du conflit,
cette forme de mécénat se développe de manière autochtone lorsque le banquier
Edmond de Rothschild décide de créer une fondation pour le
développement de la recherche scientifique. Après en avoir discuté avec
le recteur de l’université de Paris,
le mathématicien Paul Appell, à
l'été 1921 le baron Rothschild réunit un groupe de sommités
scientifiques, les physiciens
Paul Langevin et
Jean Perrin, le chimiste
Georges Urbain et le physiologiste André Mayer auxquels il confie les destinées de sa fondation. « C'est
Jean Perrin qui m'a présenté au baron Edmond de Rothschild se souvient
André Mayer. Je ne savais alors de lui que ce qui était connu de tous,
qu'il continuait la tradition de ces grands banquiers du XIXe siècle
dont nous commençons seulement à mesurer le rôle, banquiers des États,
sans doute, comme leurs prédécesseurs de la Renaissance, mais en vérité
bien plus que cela; au moment où le progrès technique prenait son grand
essor, ils ont permis l’essor économique du monde moderne».
Pour répondre aux vœux du recteur Appell et de Perrin, la
fondation Rothschild est constituée sous la forme d'une caisse des
sciences censée abonder des chercheurs méritants dans le monde
universitaire (1).
Fonctionnant à l'origine comme une caisse des sciences, la fondation ne tarde pas à rencontrer des difficultés
d'arbitrage entre ses innombrables solliciteurs et en est rapidement
réduite à saupoudrer ses libéralités, une situation qui ne semble pas
avoir répondu aux intentions du mécène. En effet, la
fréquentation de Claude Bernard, avait amené le baron Rothschild à
réunir des physiciens, des chimistes et des biologistes en vue
d'étudier les mécanismes de la vie et leurs éventuelles applications en
cancérologie. En 1928, il confie à André Mayer le soin d'organiser
ce qui deviendra
l'Institut de biologie physico-chimique (IBPC).
L'idée est de permettre à des chercheurs, parfois d'origine étrangère
et exclus de l'enseignement supérieur, de mener leurs recherches dans
un esprit d'interdisciplinarité. "Ayant
accepté la responsabilité de la défense scientifique et ayant mesuré
le danger que le pays avait couru, les hommes de
science qui sortaient de cette guerre ont tous poussés à s'unir pour
alerter le pays et le doter d'une organisation scientifique solide.
Rompant avec les modes de fonctionnement universitaires, il s’agissait
de réaliser cette collaboration des professeurs entre eux, si souvent
désirée, mais jamais organisée jusqu’ici à cause de l’organisation de
notre université en facultés». Grâce à une nouvelle donation de six millions de francs,
un bâtiment moderne est construit et aménagé rue Pierre Curie dans le V° arrondissement parisien.
La direction du nouvel organisme est confiée à un groupe de 'tétrarques', Pierre Girard, André Mayer, Jean
Perrin et Georges Urbain.
Génétique expérimentale et biologie moléculaire
Le généticien Antoine Danchin a rappelé comment « l’IBPC
est né à un tournant de l'histoire de la biologie, lorsque l'étude de
l'organisme a fait place à celle de la cellule et où la cellule
elle-même, commençait à pouvoir être résolue en composants plus
simples, signant le premier pas d'un réductionnisme moderne qui
aboutira à la biologie moléculaire ».
Boris Ephrussi,
un chercheur d’origine russe qui, n’ayant pas trouvé de position à
l’université en tant qu'étranger, a commencé à travailler au laboratoire de cytologie
expérimentale de Fauré Frémiet à l'IBPC. En 1934, grâce à une bourse
Rockefeller, Ephrussi se rend au Caltech chez le pionnier de la
génétique expérimentale, Thomas H. Morgan. C'est là qu'il réalise avec
George Beadle une expérience princeps sur la mouche drosophile qui
démontre le rôle d’une ‘substance diffusible’ dans la transmission des
caractères héréditaires, première démonstration de la relation génotype
- phénotype, à l'origine de la génétique moléculaire.
Bien informé des développements de la génétique mendélienne, grâce à une bourse Rockefeller, André
Mayer envoie aux Etats-Unis un jeune normalien,
Philippe L’Héritier, s'initier aux arcanes de la génétique mendélo-morganienne, «...une
discipline en plein développement aux États-Unis dont il disait combien
il était absurde de la voir ignorée par les naturalistes français ». A son retour en France, L’Héritier initie son condisciple
Georges
Teissier à la génétique des populations et il participera après-guerre
à l’installation de l‘'
Institut de génétique’ du CNRS à Gif s/Yvette.
Dans son laboratoire de l’IBPC,
le biophysicien René Wurmser, ex-préparateur d’André Mayer au Collège de France, s’intéresse aux aspects
énergétique du métabolisme intermédiaire, mettant à jour le mécanisme
de la biosynthèses par l'assimilation chlorophyllienne. Dans ce
laboratoire un autre boursier Rockefeller,
Louis Rapkine, un biochimiste d’origine russe s’intéresse
avec les pasteuriens
André Lwoff et
Jacques Monod aux phénomènes
d’oxydoréduction dans la division cellulaire.
L’historien Michel Morange a comparé le rôle de l'Institut Pasteur et
celui de l'IBPC dans l’essor de la biologie moléculaire. Il note que ce n’est que lorsque René
Wurmser devient administrateur de l’IBPC à la fin des années 1950 que
l'organisme se réoriente vers la nouvelle discipline. L'historien
conteste aussi le concept d’interdisciplinarité sur lequel fut bâti
l’IBPC. Il ne s’agissait pas d’une coopération égale entre les trois
disciplines, physique, chimie et biologie, mais d’une "entraide",
un transfert des connaissances des deux premières vers la
troisième. L’argument peut être discuté; par exemple la
fondation Rockefeller ne parle pas d'interdisciplinarité, mais évoque
le rôle d'une intelligence collective, un 'Aristote composite', lorsque sa 'Natural Science
division' forge le concept de 'molecular biology' au cours des années 1930 (1b). En revanche,
l’historien insiste judicieusement sur les spécificités de la voie
suivie par les pasteuriens qui délaissent les mouches d'Ephrussi ou de
L'Héritier pour s'intéresser aux "...micro-organismes qui se sont
révélés bien plus que de simples outils pour la connaissance et la
lutte contre les maladies (puisque) c’est leur étude, en tant que
formes élémentaires de la vie, qui permit l’essor de la biologie
moléculaire ». Enfin souligne Morange, la différence entre Pasteur et
l’IBPC s’explique aussi par une question de personnalité.
Autant André Lwoff sut attirer autour de lui un ensemble de
personnalités remarquables, autant l'autoritarisme d'Ephrussi, pourtant
un visionnaire exceptionnel, l'aura empêché de faire école.
Evoquant
le singulier destin de la génétique en France
dans
le ‘Journal of the History of Biology’, Richard Burian, Jean Gayon
et Doris Zallen proposent une synthèse de ces deux points de vues. Les
auteurs insistent sur le rôle de la physiologie bernardienne, coincée
entre la
tradition lamarckienne de transmission héréditaire des caractères
acquis et l’absence de tradition génétique mendélo-morganienne, tout en
soulignent le paradoxe d’une hérédité non mendélienne dont les
perspectives, partagées dans les deux instituts, sont discutées par
Boris Ephrussi
et André Lwoff au sein d'un informel club de physiologie cellulaire,
l'organisateur en 1948 d’un des premiers
colloques CNRS - Rockefeller
intitulé ‘unités biologiques douées de continuité génétique’.
L’apport de l'Institut de biologie physico-chimique ne se
limite
pas à la mutation réductionniste des sciences de la vie. Il a aussi été
le creuset où s'opère une réflexion sur ce que devrait être une
organisation nationale de la recherche scientifique. Au début des
années 1930, cette perspective s’ouvre aux responsables de l’IBPC selon
deux voies,
soit développer une caisse nationale des sciences censée appuyer
l’Université comme le demande Jean Perrin, soit installer un service
national de la recherche tel que le suggère André Mayer. Sous
l'influence du physicien, la première option l’emporte dans l'immédiat.
Né à Lille au
hasard d’une garnison de son père militaire,
Jean Perrin a mené ses
travaux sur la structure discontinue de la matière, le mouvement
Brownien provoqué par l’agitation des électrons qui lui a valu le Nobel
de 1926. Eminent représentant de la 'République des Professeurs' d'
Albert Thibaudet, Jean Perrin est un membre actif
d’un groupe de normaliens progressistes où l'on trouve outre le doyen Appell,
le mathématicien
Emile Borel, les physiciens
Aimé Cotton et
Paul
Langevin, le chimiste
Georges Urbain et le socialiste Léon Blum, soudé par des convictions progressistes partagées dans leur jeunesse lors de l'affaire
Dreyfus. En 1930, ils fondent
l’Union rationaliste,
une association
d'inspiration franc-maçonne fondée sur la conviction que l'avancement
des sciences est le principal moteur de progrès pour l'humanité. Dans une envolée
aussi lyrique que d'inspiration positiviste, Jean Perrin n’hésite pas à proclamer "...la
science, notre religion…/ Rapidement, peut être seulement dans
quelques décades, si nous consentons au léger sacrifice nécessaire, les
hommes libérés par la science vivront joyeux et sains, développés
jusqu'aux limites de ce que peut donner leur cerveau.../ Ce sera un
Eden qu'il faut situer dans l'avenir au lieu de l'imaginer dans un
passé qui fut misérable" (2).
Caisse nationale des sciences
En juin 1930, Jean Perrin expose devant
l'Académie des sciences un projet d'organisation de la recherche
publique qui permettrait de fournir des bourses
à de jeunes chercheurs prometteurs. Usant d'une métaphore
agronomique, il affirme le rôle de l’Etat en la matière : "tout
le problème de l'organisation scientifique consiste à trouver les
jeunes esprits qui pourront devenir 'Ampère' ou 'Pasteur'. Le hasard
n'y peut suffire et il faut y aider comme un bon jardinier qui sait
reconnaître et protéger, dans des champs d'herbes folles, les jeunes
plantes qui deviendront des arbres puissants.../ Doit-on continuer à
admettre que l'activité d'un chercheur puisse dépendre de la générosité
d'un mécène? Non. La recherche est un patrimoine national. La prise en
charge des chercheurs est une responsabilité de service public ». Mais
il se heurte à certaines réticences. André Tardieu le président du
Conseil demande si avant de
créer un nouveau service avec les couts afférents, il ne conviendrait
pas d'augmenter la subvention de ceux qui existent déjà. Le
projet est donc remanié sous forme de règlement intérieur d’une caisse
nationale des sciences destinée à regrouper les différents modes
d’intervention existants jusqu'alors, une ‘Caisse nationale de
recherche (1901), la ‘taxe Borel’ (1925),
une caisse de retraite des vieux savants. La 'Caisse nationale des
sciences' (CNS) créée le 16 avril 1930 dispose d'un budget de 5
millions de francs prélevé sur celui de la ligne
Maginot. La fonction de la CNS dit Perrin est de permettre à ceux
«qui
se distingueront dans la recherche scientifique, de poursuivre cette
activité, sans avoir d'autre obligation que précisément de continuer à
s'y dévouer entièrement». Rebaptisée 'Caisse nationale de la
recherche scientifique' en 1935, il s'agit de doter l'enseignement
supérieur
des moyens de développer ses activités scientifiques (3).
Conseil supérieur de la recherche scientifique
La bonne utilisation des ressources destinées à
la recherche doit reposer sur une instance
représentative estime Jean Perrin. En avril 1933, il obtient l'installation d'un ‘
Conseil supérieur de La recherche scientifique’ (CSRS) qui devra fonctionner comme «...un
jury à l'autorité incontestable, constitué de personnalités éminentes
(...) qui devaient accepter de faire des propositions dont elles ne
pourraient en aucun cas profiter».
Ce 'CSRS' représentera
l'ensemble des disciplines scientifiques et non des institutions comme
le Conseil Supérieur de l'Instruction
publique. Mais il est divisé en sections dont le découpage est inspiré de
celui des chaires universitaires (mathématiques, mécanique et
astronomie, physique, chimie, biologie, sciences naturelles, histoire
et philologie, philosophie et sciences sociales). Il est prévu que ses
membres seront nommés pour un tiers par l'Académie des sciences et les
sociétés savantes, les deux autres élus par un collège électoral
d'universitaires, dont un quart réservé aux chercheurs de moins de
quarante ans. A
l'Education nationale, ces dispositions sont admises sans
réserve par le directeur des Enseignements supérieurs (Jacques
Cavalier) : "quel que soit son effort,
l'Etat ne croit pas devoir intervenir pour imposer un programme ou des
directives précises. L'orientation de la recherche, c'est aux savants
qu'il appartient de la faire et ce principe de liberté (sera) à la base
de l'organisation de la recherche scientifique en France"
(4). On
verra comment le CSRS devenu comité national de la recherche
scientifique une dizaine d’années pourra assurer une place centrale dans le fonctionnement du CNRS.
Front populaire et politique de la science
En 1936 sous le Front populaire, dans un geste essentiellement symbolique, Léon Blum le président du Conseil installe un
sous-secrétariat d'Etat à la recherche scientifique qu’il confie à
Irène Joliot, l’épouse de Frédéric Joliot avec qui elle a obtenu l'année précédente
le
Nobel qui récompense la découverte de la radio-activité artificielle. Plus déterminant apparait l’installation par
Jean Zay, le
ministre de l’Education nationale, du 'Service de la recherche' placé sous la
responsabilité du
physiologiste Henri Laugier.
Il répond à une suggestion d'André Mayer de constituer un corps d'aides
techniques nécessaire au fonctionnement des laboratoires, le futur corps d'ingénieurs-techniciens-administratifs
(ITA) du CNRS.
Au printemps 1938, confronté aux "...querelles de savants, si redoutables à arbitrer"
que n'ont pas manqué de provoquer la hausse du budget de la recherche
(26 MF 1937), Jean Zay convoque le Conseil
supérieur à la Maison de la chimie (5). A
cette occasion, le ministre évoque la nécessité d'une politique scientifique,
un
terme que Jean Perrin n'aura jamais fait sien et dont on
relève la première utilisation dans un discours officiel, «...lorsqu’il s’agit d’établir un projet
d'extension et de développement de la recherche scientifique en France.
En effet, il est indispensable que soit mis au point un programme de
réalisation qui recueille l'assentiment du corps savant dit le
ministre.../ J'ajoute que l'existence d'un tel programme sera d'un
poids considérable au Parlement lorsque le Gouvernement aura à défendre
ses futures propositions» (6). Lors de cette réunion du CSRS,
André Mayer préside une commission chargée d’élaborer un programme
d'extension du Service de la recherche dont il avait préconisé l'installation quelques années auparavant : «il est singulier que
lorsqu'on évoque l'idée d'une collaboration entre chercheurs, on se
heurte encore à un certain scepticisme. En fait, jamais des
collaborations n'ont été plus nécessaires qu'en ce moment où toutes les
sciences sont en mouvement.../ Aujourd'hui, qui peut être spécialiste
en tout? Réunions, colloques, symposiums., le service de la recherche
doit se faire le tuteur de groupements de ce genre quand il s'agit
d'explorer un domaine particulier de la science ou de réaliser un
programme de longue haleine
» (7).
Les liens entre les questions d’alimentation et les problèmes de
santé humaine n’ont jamais quitté ses préoccupations. La
crise de 1929 avait montré qu’une mauvaise distribution alimentaire
liée à la baisse du pouvoir d’achat avait provoqué des surplus
et non l’inverse, comme on l’imaginait. Cette relation
entre nutrition et santé l’avait amené, avec sa collaboratrice Lucie
Randoin de l’Ecole pratique des hautes études, à participer à la première grande
enquête internationale sur les questions d'alimentation humaine conduite par deux experts en santé publique de
la Société des Nations, Ludwik Rajchman et Edouard J. Bigwood. Lors de
la mobilisation de 1939, André Mayer installe une commission pour
l'étude des problèmes de l'alimentation en temps de guerre. Une étude
sur le stockage et la conservation des foies de poisson est demandée à
un professeur de médecine à la faculté de Marseille,
André Chevallier,
le fondateur de l’Institut national d’hygiène (INH), l'ancêtre de l'Inserm. A la
Libération, le ‘Centre national de coordination des études et
recherches sur la nutrition et l'alimentation’ dirigé par son fidèle
collaborateur
Emile Terroine donnera l’un des premiers laboratoires
propre du CNRS (8).
Exil
La défaite de la France a conduit
André
Mayer et
Jean Perrin sur les routes de l’exil. En 1942, alors que le physicien décéde à
New-York où il s'était réfugié, le physiologiste est rayé des cadres dirigeants de
l’IBPC en
catimini, conséquence des mesures d’aryanisation exigées par les
autorités d’occupation et alors que l’Institut est menacé de réquisition
par la
fondation pour l’étude des problèmes humains d’Alexis Carrel.
Installé aux Etats-Unis avec les siens, André Mayer participe à la
mission scientifique du mouvement ‘Free French’ animée par Rapkine. Fort
de ses contacts avec les physiologistes anglo-saxons, il rencontre
Eleonor
Roosevelt à laquelle il demande de soumettre à son président de mari le
projet d’une organisation internationale sur l’alimentation et
l’agriculture. En 1943, il participe à la conférence de Hot Springs où
est décidé l’ouverture de l’‘United Nations Refief and Rehabilitation
Administration’ (UNRRA), un organisme appelé à tenir un rôle majeur dans
l’approvisionnement alimentaire de l’Europe d’après-guerre. Puis, en
octobre
1945 il est élu premier président de la ‘Food &
Agriculture Organization’ (FAO) établie sous l’égide de l’Organisation
des Nations Unies. De cette position, il est amené à intervenir en
France pour épargner au directeur de l’INH, André Chevallier, les
foudres des comités d’épuration mis en place à la Libération. Le
ministre communiste François Billoux ayant déclaré que quatre années
d’occupation avaient laissé « …les trois quart de la population
française en état de grande détresse alimentaire »,
Mayer met en garde le Gouvernement provisoire contre le risque de
leurrer les Alliés sur l’état réel du pays en matière
d’approvisionnements. D’autant souligne t-il, que les services
sanitaires de l’US Army ont procédé à des enquêtes sur les conditions
de vie dans les régions libérées dont les résultats corroborent celles
menées par l’INH sous l'occupation et tendent à conclure qu'en France la situation fut
loin d’avoir été aussi dramatique que dans d’autres pays. Septuagénaire, André Mayer retrouve la direction de
son laboratoire du Collège de France et il donne sa démission
officielle de l’IBPC qu’il ne reprendra qu’en 1953, trois ans avant son
décès survenu au retour d’une mission d’étude qui l’a conduit au
Sénégal.
Henri Longchambon est le cadet de trois frères normaliens dont le père,
modeste employé d'octroi, avait réussi à accéder au poste d'appariteur
à la Faculté des sciences de Clermont-Ferrand. A l’âge de 17 ans, il
intègre une prépa au lycée Saint-Louis. Engagé en 1915, il fait une
belle guerre comme commandant d’une batterie de mortiers, les
redoutables crapouillots. Démobilisé, il est reçu aux concours de
Polytechnique et de l’École normale supérieure, mais il choisit la
seconde suivant un penchant qui le pousse vers l’enseignement plutôt
que le métier d’ingénieur qu'il ne dédaigne pas pour autant, on va le voir.
Préparateur dans le laboratoire de minéralogie de Charles Mauguin à la Sorbonne, Henri
Longchambon développe les techniques nouvelles de radiocristallographie
par rayons X. Avec l'aide de
Jean Wyart,
un condisciple formé à l'analyse des images de diffraction qui le suivra au CNRS, il
soutient une thèse sur la rupture des réseaux cristallins à l’origine
du
phénomène de triboluminescence.
Université et industrie
En 1927 Henri Longchambon est nommé à la chaire de minéralogie de
la faculté des sciences de Lyon où les relations avec l'industrie n'ont rien
d'exceptionnel. Il travaille sur l'exploitation des pyrites nécessaires
à la fabrication de l'acide sulfurique pour le compte de la ‘
Société des Terres Rares’ de Georges Urbain.
Il bénéficie du soutien de la nouvelle 'Caisse nationale
des sciences' pour dresser avec le minéralogiste Pierre Lapadu-Hargues la
carte des gîtes métallifères de Lozère. L’historienne américaine
Mary-Jo Nye a analysée cette caractéristique des facultés provinciales
au début du vingtième siècle, consistant comme à Lille, à Lyon, à
Toulouse ou à Nancy, à entretenir des liens étroits avec les milieux industriels (9).
Elles ont permis à certains universitaires d’atteindre une notoriété
internationale, comme Paul Sabatier à Toulouse et Victor Grignard à
Lyon, tous deux récompensés par le Nobel de chimie 1912. Or, si les
Usines du Rhône, Saint-Gobain ou Berliet n’hésitent pas à financer des
chaires et les laboratoires de la faculté des sciences lyonnaise, de
telles pratiques sont jugées sans aménité dans le monde académique
parisien.
L’historien Christophe Charle signale les
réticences du
doyen Appell à propos de la formation d'ingénieurs
chimistes à l’université de Lyon : «…en
substituant au diplôme de chimiste qu'elle délivrait d'abord, celui
d'ingénieur chimiste, non seulement on ne voit pas où cela va la mener,
mais en agissant de la sorte, on fait tort aux enseignement élevés" (10).
En 1936 à quarante ans, Longchambon est nommé au décanat de la
faculté des sciences lyonnaise où il succède à
Victor Grignard. Le plus
jeune doyen de France caresse alors le projet de réaliser une liaison plus
étroite de la science pure et de la technicité écrit son
biographe Gwanaël Kropfinger. Convaincu du rôle que doit tenir l’université
dans la formation des ingénieurs, il installe une école destinée à
former des cadres pour l’industrie. Accompagné de Georges
Villiers, le futur président du Centre national du patronat français (CNPF),
il va étudier les méthodes d’orientations professionnelles utilisées en
Suisse. En même temps, comme responsable de la section lyonnaise de
l’'Union rationaliste', il noue des liens d’amitié avec
Henri Laugier
qui le convie à visiter le Centre de formation professionnelle des
chemins de fer de l’Etat à Viroflay. Cette relation va mener le jeune
doyen aux manettes d’un organisme scientifique national.
Le CNRSA(ppliqué)
Au printemps 1938, alors que l'Anschluss trahit les visées expansionnistes du troisième Reich,
Jean Zay
se préoccupe de préparer
la mobilisation scientifique du pays.
L’installation d'un ‘Centre national des recherches scientifiques
appliquées’ (CNRSA) est décidée afin de remplacer un
’Office national
de la recherche scientifique et des inventions’ créé par le
sénateur Jules-Louis Breton à Meudon Bellevue. Au lendemain de la Grande Guerre, cet office issu de la transformation d’un
Service des inventions intéressant la défense nationale s’était
surtout préoccupé de développer les Arts ménagers, au prix d’une
gestion jugée opaque par la Cour des comptes. Responsable d’une
Commission des offices instaurée en 1935 pour réduire les dépenses de
l'Etat, le conseiller Pierre de Calan expose un point de vue opposé à
celui exprimé par le directeur des Enseignements supérieurs
(cf. supra) : «on
peut regretter qu'il n'existe pas encore en France, auprès du Président
du Conseil, une véritable organisation administrative à laquelle
puissent être rattachés certains services généraux..../ Tel pourrait
être à l'avenir le cas des services de la recherche scientifique. Il
est essentiel que dans la répartition des crédits affectés à la
recherche scientifique, la voix des représentants qualifiés de l'Etat
soit toujours sûre d'être écoutée…/ (A l'avenir), cette aide devrait
répondre à un plan, à un but national…».
Ainsi, en
1938 l’ONRSI cède la place au 'Centre nationale des recherches
scientifiques appliquées' (CNRSA) à la tête duquel Jean Zay souhaite
placer un homme apte à concilier les milieux scientifiques et
industriels. Il rencontre Ernest Mercier (Union d'Électricité), Raoul
Dautry l'ancien directeur des chemins de fer de l'Etat, Auguste Detœuf
(Alsthom) du groupe X-Crise. En définitive, sur la recommandation
d’Henri Laugier, le poste revient à Henri Longchambon. L'intéressé
quitte Lyon pour s’installer au 'Service de la recherche', au quatrième
étage d’un immeuble du Quai d'Orsay, le futur siège du CNRS. Il est
assisté de quatre chargés de mission,
Jean Wyart,
Georges Champetier et
Felix Trombe, auxquels il demande de dresser un inventaire des
laboratoires français. Leur enquête révèle l’état léthargique de la
recherche universitaire : «un
flot de chercheurs individuels et de laboratoires plus ou moins
officiels, tous en quête fiévreuse d’un complément de subvention,
s’offrant à entreprendre n’importe quel problème, mais prêts le plus
souvent à aucun » (11).
La recherche programmée
Des
émissaires sont envoyés à l’étranger pour investiguer des modes
d'organisations de la recherche scientifique.
Jules Guéron, le futur
directeur de
la chimie au CEA, va étudier le fonctionnement du ‘
Department of
Scientific and Industrial Research’ (DSIR) britannique dont veut
s'inspirer Longchambon : « si
on veut bâtir une organisation économique réfléchie et judicieuse, la
base de départ la plus rationnelle pour l’organisation des recherches
scientifiques appliquées est le problème à résoudre ». Ainsi, l’un des premiers programmes du CNRSA concerne
le ‘Laboratoire d'analogies électriques’ où le mathématicien Joseph
Pérès est convié à développe des méthodes de modélisation destinées à l'industrie
aéronautique. Il donnera après la guerre l’'
Office national d’études et
de recherches aéronautiques' (ONERA). De même, pour combler le retard
français en matière de radionavigation, le CNRSA confie au
physicien
Yves Rocard qui
travaille avec la 'Cie. générale de télégraphie sans fil' (CSF), le
développement des hyper-fréquences pour le radio-guidage des
avions.
Une commission chimique cherche à compenser le retard dans le domaine
des matières plastiques dont la France ne représente alors que 4% de la
production mondiale. Les sciences sociales ne sont pas oubliées, une
commission d'économétrie créée par François Divisia du groupe X-crise
tiendra un rôle pionnier dans le développement de cette discipline.
Enfin, le
physicien Pierre Auger se voit confier le soin d’installer un service de documentation censé fournir à la
communauté scientifique les microfiches de publications scientifiques
étrangères, y compris allemandes. Sous la direction de Jean Wyart celui-ci
deviendra le '
Centre de documentation scientifique et technique' du CNRS, resté actif jusqu’à nos jours.
La mobilisation scientifique
Au lendemain de la déclaration de guerre,
Jean Coutrot du groupe X-crise propose une réforme susceptible de «tirer un rendement plus élevé de la recherche scientifique»
(12), autrement dit, selon le terme utilisé à l'époque, de coordonner
l'activité de l'ensemble des laboratoires français. Dans la plus grande discrétion,
un décret publié au
Journal Officiel du 19 octobre 1939 annonce la fusion du 'Service de la
recherche', de la 'Caisse nationale de la recherche scientifique' et du
CNRSA sous le sigle unique de ‘Centre national de la recherche
scientifique’ (CNRS). Chargé de la coordination de la recherche dans un
contexte de mobilisation, le CNRS est
animé par une direction
bicéphale,
Laugier pour la recherche fondamentale, Longchambon pour ses
applications : « ce duo était très amusant tant leur caractère était
différent se souvient
Jean Wyart, autant
l’un (Longchambon) était un fonceur qui provoquait les réactions
parfois violentes de ceux qu’il bousculait, autant l’autre (Laugier)
était un arrangeur qui manœuvrait tout en finesse politique». Dans l'immédiat, cette disposition répond aux contraintes de la
mobilisation scientifique.
Pour
l'heure, Henri Longchambon est devenu le patron d’un CNRS théoriquement
bicéphale. Il lui revient d'organiser la réquisition des laboratoire et
de leur personnel, ce qui
ne manque pas de provoquer mult protestations des milieux
universitaires. Le
physicien Louis Néel spécialiste du magnétisme se souvient de la manière dont Longchambon le charge d’évacuer la faculté de Strasbourg : «(il)
envoyait des avis de réquisitions absolument magnifiques, sans se
préoccuper de la moindre hiérarchie, sans s'occuper de l'avis des
doyens des facultés des Sciences, ce qui avait donné lieu à des
frictions considérables. Il m'avait expédié à Strasbourg sans en
référer à l’astronome André Danjon, le doyen de la faculté des sciences
dont je dépendais. Mais ni le recteur de l’université de
Clermont-Ferrand où celle de Strasbourg s’était repliée, n'avaient été
prévenus, moyennant quoi le CNRS s’était retrouvé accusé de
cambriolage. Nous avions forcé les bureaux des professeurs pour ramener
tout ce qui était dans les armoires que l’on avait chargé dans trois
wagons de marchandise destinés à Meudon Bellevue ». Puis la
Marine demande au CNRS un spécialiste du magnétisme pour s'occuper des
mines magnétiques allemandes mouillées en mer du Nord, « ...en
janvier 1940, Les marins m'ont collé le grade de capitaine de corvette,
ce qui a beaucoup amusé Longchambon. J’ai donc fait la navette entre
Toulon, Dunkerque, Lorient, Brest ou Cherbourg pour installer des
stations de démagnétisation qui se sont révélé très efficace puisque la
Marine n'a perdu aucun bateau». Après s'être s’échappé à pieds
du siège de Dunkerque et au terme de péripéties rocambolesque, Louis
Néel installera à Grenoble le ‘Laboratoire d'électrostatique et de physique du métal’ (cf. infra).
Des dispositions prévues
pour que la mobilisation des chercheurs permettront d'éviter l'hécatombe
subie un quart de siècle plus tôt. Une commission des affectés spéciaux
propose aux Armées la liste des scientifiques dont la présence est
estimée plus utile derrière leur paillasse que dans les casemates de la
ligne Maginot. Si on ajoute à un total de 228 affectés spéciaux, les
650 requis non déplacés de leurs laboratoires, les effectifs mobilisés
sous l'autorité du CNRS atteignent 1200 personnes, ceux d'un régiment
note le journal Paris-Midi (13). Une question délicate se
pose à propos de l'emploi des scientifiques fraîchement immigrés.
Emile
Terroine suggère la création d'une ‘légion étrangère scientifique’,
mais qui ne pourra voir le jour avant la débâcle. Ces requis sont
affectés dans les 139 laboratoires mobilisés, 11 en mathématiques, 45
en physique, 36 en chimie, 33 en sciences naturelles et 14 en biologie
médicale, réunis dans 20 groupes régionaux, dont 6 à Paris. Parmi ces
derniers, le 'GR 1' dirigé par
Frédéric Joliot regroupe
le cyclotron au Collège de France, le
Laboratoire de synthèse atomique et
l'Institut du radium.
De l'énergie atomique aux moteurs à gazogène
La recherche atomique représente une réalisation majeure à porter au
crédit du tout jeune CNRS, notamment grâce aux travaux menés au
'Laboratoire de
synthèse atomique' installé à Ivry s/Seine par
Frédéric Joliot et son équipe. Les expériences réalisées avec deux
chercheurs
fraichement naturalisés, Hans Halban et Lew Kowarski, un diplômé de
l’École de chimie industrielle de Lyon reocmmandé par Jean Wyart,
confirment la possibilité de provoquer
une réaction en chaine, autrement dit d'
exploiter la réaction de fission nucléaire.
Selon l’historien
Dominique Pestre, l’équipe Joliot bénéficie alors
d’environ 2% de l'ensemble des crédits alloués à la recherche
française, tandis que son collègue Spencer Weart place les publications
des
atomistes français au deuxième rang dans le monde, derrière les
Etats-Unis (14). Au printemps 1939, trois brevets sont déposés au nom
du
CNRS, le premier sur un dispositif de production d'énergie, un autre
sur la stabilisation du dispositif précédent et le troisième sur des
perfectionnements aux charges explosives,
autrement dit une bombe atomique.
Raoul Dautry, le ministre de l’Armement qui soutient ce programme
finance l’achat d’oxyde d’uranium et
de l’eau lourde,
le modérateur de la réaction en chaine, tandis qu'une
convention notariée passée avec le CNRS donne naissance à une ‘Société
anonyme pour l'exploitation de l'énergie atomique’, une sorte d'ancêtre du
'Commissariat à l'énergie atomique'. En juin 1940,
les atomistes sont évacués vers Clermont-Ferrand ou Henri Longchambon
propose d'installer une pile expérimentale (15). Mais la défaite coupe
court à ce premier programme atomique lancé dans le monde. Une semaine
avant la signature de l’armistice, Halban, Kowarski et Longchambon
s'embarquent pour l'Angleterre avec le stock d’eau lourde, tandis que
Joliot qui a décidé en rester en France reprend ses activités dans le
Paris de l'occupation.
En gagnant l'Angleterre après avoir délégué la direction du CNRS au
doyen de la faculté des sciences de Bordeaux (J. Mercier), les
directeurs du CNRS sont accueillis à Londres par Lord Suffolk (Charles
Howard)
le représentant du ‘Department of
Scientific and Industrial Research’. Au lendemain de l'armistice,
tandis que
Laugier gagne les Etats-Unis et rejoint le mouvement 'Free French',
Longchambon Informe ses interlocuteurs britanniques qu'il met un terme
à la mission du CNRS installée en Angleterre un an auparavant. En
juillet 1940, il embarque avec
le personnel de l’ambassade pour être rapatrié en France via Lisbonne.
Il est reçu à Vichy par Marcel Déat son condisciple normalien qui vient
de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Celui-ci plaide en
faveur de ce "...transfuge manqué ou gaullistes en puissance"
(sic) et le physicien regagne la faculté des sciences lyonnaise. Entré en résistance
aux côtés d’
Yves Farge, il
accueille les jeunes réfractaires du STO dans les bois de
Chapdes-Beaufort où sont installés les fours de carbonisation destinés
aux moteurs à gazogène, un berceau des maquis d'Auvergne.
IV - L’improbable coordination scientifique
Malgré les menaces pesant
sur l’existence d'un CNRS fustigé comme une emanation du Front populaire, en août 1940
le géologue Charles Jacob est nommé à la tête d'un organisme dont il
a su plaider à Vichy l’utilité dans un pays occupé,
victime de nombreuses restrictions. Non
sans des difficultés liées à l’émigration de chercheurs, au souci de
préserver son personnel des mesures antisémites et aux
pénuries
de matières premières, le CNRS assure son
soutien aux recherches suscitées par les difficultés de l'heure :
ersatz alimentaires,
conservations des aliments, carburants de substitution, etc. Mais aussi
développement des radio-isotopes à usage médical, physique des ultra
hautes pression, cristallographie par rayons X, étude des rayons
cosmiques, voire
archéologie métropolitaine (16). A la Libération alors que la directeur du CNRS nommé par Vichy est remercié, dans une
capitale en pleine insurrection,
Frédéric Joliot est
nommé
directeur du CNRS par ses camarades du 'Front national universitaire'
d’obédience communiste. Comme ses prédécesseurs, Longchambon et
Jacob, Joliot est persuadé de l'intrication nécessaire
de la recherche
fondamentale et des applications. Ostracisé par les Américain
du fait de ses contacts avec les Allemands dans le Paris de
l'occupation (17), il confie à
Louis Rapkine qui s'était occupé des scientifiques français
exilés pendant la guerre, le soin d'organiser à Londres un '
Groupe de recherches
opérationnelles’ pour s'informer des travaux menées par les Alliés en
matière d’électronique, de fabrication de pénicilline ou de plasmas
sanguins. Le CNRS patronne aussi une mission de
récupération de matériel
scientifique dans les zones d’occupation françaises en Allemagne et en
Autriche. Un radar Würzburg est affecté aux
astrophysiciens de l’observatoire de Meudon, une soufflerie
aéronautique saisie dans les Alpes autrichiennes est remontée à Modane, etc.
Question de tutelles
Cependant, Frédéric Joliot se trouve rapidement confronté à la
double
nature du CNRS, d'un côté la caisse des sciences attachée à l'Education nationale voulue par Jean
Perrin, de l'autre l'opérateur chargé
depuis 1939
de coordonner l'ensemble des activités scientifiques du pays, selon un mode dont le '
Manhattan project' vient de révéler toute l'ampleur en Amérique. Lorsqu'il
évoque devant son comité directeur (futur directoire du CNRS) la
mission de coordination confiée à
l'organisme, Joliot se heurte à un front d'universitaires soucieux de
maintenir l’organisme dans le giron de l’Education nationale. Bien
qu'il partage avec lui son adhésion au Parti communiste, le
biologiste Marcel Prenant
se fait l'avocat de la
liberté nécessaire à la recherche fondamentale dont lui et ses
collègues s'estiment avoir été indûment spoliés par la
mobilisation scientifique. De même, les universités de province font
remonter leurs inquiétudes vis-à-vis des initiatives prises par
Longchambon au début de la guerre.
Les
archives du CNRS ont gardé les procès-verbaux d'une réunion du comité
directeur tenue au mois de septembre 1944. La proposition de nommer
Maurice
Ponte dans cette instance, le patron de la CSF, est récusée par
Paul Langevin au prétexte "...qu'il (serait) temps que le CNRS cesse de faire des cadeaux à l'industrie".
En octobre, Joliot rend compte au comité directeur d’un entretien qu'il
vient d'avoir avec
le ministre de l'Education nationale,
le juriste René Capitant,
lequel lui a
confirmé l'intention de maintenir le CNRS sous la tutelle de
l’Education
nationale : «Je pense dit Joliot, que le CNRS aurait dû dépendre
de la présidence du conseil plutôt que de l'éducation nationale.
- La présidence du Conseil est le
pôle auquel veulent être rattachés la recherche, les archives et les
sports" rétorque
le professeur de psychologie Henri Wallon qui l’a
porté à la tête du CNRS deux mois plus tôt. "Je me demande s'il n'y a pas quelques
illusions sur l'efficacité d'une telle mesure.
- J'ignorais que Matignon était le
pôle en question répond Joliot, mais je sais que nos labos sont
pauvres parce qu'ils n'ont pas suffisamment de relations avec
l'industrie. Il vaudrait mieux alors transformer le CNRS en commissariat ". Intervient alors le
philologue Mario Roques : «Je
suis d'accord avec Wallon, la présidence du conseil c'est trop
politique. De plus, imaginez que les sports prennent le pas sur la
recherche
!». Une ordonnance du 20 novembre 1944 confirme donc le CNRS comme
l’une des directions du ministère de l'Education nationale (18).
Dès l'occupation, ce problème de tutelle a suscité la création
de divers organismes à l'initiative d'administrations techniques
soucieuses de disposer de leurs moyens de recherche.
L'
Institut national d’hygiène' (INH) est installé par le secrétariat d'Etat à la Santé en 1941,
l’Office des recherches scientifiques des territoires d'outre-mer
(ORSTOM, aujourd'hui IRD) par les Colonies en 1942, non
sans susciter les protestations de Charles
Jacob, le directeur d'un CNRS théoriquement chargé de coordonner l'ensemble de la recherche publique. Quant au
'Centre national d'étude des télécommunications' (CNET)
inauguré en mai 1944, il est placé d’emblée sous tutelle
interministérielle. D'autres organismes sont créés à la Libération tel
l''
Institut national de recherche agronomique' (INRA) à l'Agriculture ou
l'’Institut national d’études démographiques' (INED) qui fait suite à la 'Fondation Carrel’ et bien sur le
'Commissariat à l’énergie atomique' (CEA) en octobre 1945, directement rattaché au chef du gouvernement, le général de
Gaulle, qui place Frédéric Joliot et Raoul Dautry à sa tête.
Le comité national et la recherche fondamentale
En janvier 1946, le généticien
Georges Teissier
succède à Joliot à la direction du CNRS. Ce cévenol austère, universitaire
tôt entré en Résistance, avait été placé à ses côtés par le Parti
communiste. Cette nomination marque le retour de l’organisme à sa
fonction de caisse des sciences telle que voulue par Jean Perrin. Prenant le contrepied de son
prédécesseur, Teissier affirme la priorité qu’il compte donner à la
recherche fondamentale : "Un
reproche souvent fait aux scientifiques français est d'avoir résolument
ignoré la science appliquée. Mais il ne faudrait pas que, tombant d'un
excès dans l'autre, on sacrifie au bénéfice de la recherche technique,
la recherche pure qui, seule, prépare l'avenir.../ Certains songeaient
qu'une assimilation à l'industrie eût été préférable, dit-il. Il
est fort heureux que cette opinion, qui n'a d'ailleurs jamais eu que
peu de partisans, n'ait pas prévalu. Elle eût séparé définitivement les
chercheurs de l'Enseignement supérieur…/ Il faut sans aucun doute
développer la recherche technique redoutablement déficiente chez nous,
mais il ne faut pas que son développement ait priorité sur celui de la
recherche scientifique. Il ne faut pas qu'une politique stupidement
utilitaire prétende discriminer parmi les disciplines scientifiques,
celles qui sont rentables et celles qui ne le sont pas. Il ne faut pas,
enfin, que le contrôle nécessaire de ces activités de recherche soit
abandonné aux financiers ou aux économistes" (19).
Pour ce faire, Teissier entend s'appuyer le comité national de la recherche
scientifique, issu de la transformation en novembre 1945 du conseil
supérieur de la rechercher. Comme ce dernier, le rôle du comité national sera de recruter
le corps de chercheurs attachés au CNRS. En l'occurrence, le principal changement est d'ordre sémantique : "le
nom de boursier ne nous plaît pas, avait dit Joliot, (ils) deviendront
des 'attachés'. Les candidats chercheurs ne doivent pas avoir
l'impression qu'ils sollicitent une faveur, mais que leur rémunération
est la contrepartie d'une activité primordiale au point de vue national".
Une nomenclature calquée sur celle de la hiérarchie universitaire est
adoptée, attachés et chargés de recherche', 'maîtres' et
'directeurs de recherche', correspondant aux chargés de cours,
maîtres de conférence et professeurs de l'enseignement supérieur.
Teissier prévient que le comité national devra procéder à l’évaluation
des chercheurs, une disposition dont l'absence avait été déplorée
avant-guerre, la qualité hétérogène des huit cents premiers boursiers
du CNRS ayant nourri la critique. "En
contrepartie du soutien que le CNRS accordera aux chercheurs, nous
avons la ferme intention de manifester envers eux moins de complaisance
que par le passé» prévient le nouveau directeur (20).
Véritable parlement de la science
élu par la communauté savante, le comité national est divisé en trente
sections correspondant à la nomenclature des chaires
universitaires. A partir des années 1950, il sera renouvelé tous les
quatre ans, se réunissant deux fois par an, d’abord en session de
printemps pour examiner les candidatures et évaluer l'activité des
chercheurs, à l’automne ensuite pour l’affectation des moyens
budgétaires et du personnel d'ingénieurs, techniciens et administratif
(ITA) aux laboratoires. Compte tenu de l'intimité de ses
liens avec le monde académique mis en évidence par Christophe Charle, l'
attaché de recherche sera souvent le thèsard d'un universitaire remarque Jean-Christophe Bourquin, souvent le patron du laboratoire auquel il est
attaché.
V - Recherche & Développement
A la Libération, les relations d’Henri Longchambon avec le CNRS se sont
distendues. Commissaire de la République de la région Rhône-Alpes à la
succession d’Yves Farge, au printemps 1946 il est nommé ministre du
Ravitaillement. Élu au Sénat l’année suivante pour représenter les
Français de l'étranger, il s’inscrit au groupe du ‘Rassemblement des
gauches républicaines’. Resté professeur à l’université de Lyon, il est
aussi administrateur d’une filiale de ‘Thann et Mulhouse’ une
entreprise chargée de l’extraction de titane. Il participe avec Henri
Malcor, le patron de
l’’Institut de recherche de la sidérurgie’ (IRSID),
à la commission du deuxième Plan chargée de la recherche. «Trop
souvent, on constate l'incompréhension mutuelle des savants et des
techniciens. Trop souvent dans notre pays, la pensée reste séparée de
l'action..../ Or, la recherche doit devenir un des facteurs non
négligeables de l'accroissement du revenu national. Il faut que savants
et techniciens redeviennent des exportateurs d'idées»(). Ces prises de
position lui valent évidemment l’opprobre de certains collègues, comme
Marcel Prenant, le biologiste qui s'était opposé à Joliot au nom de la
science pure qui n'hésite pas à le qualifier "...d’homme d'affaires
plus que de professeur» (21).
Un sous-secrétariat d’Etat à la recherche scientifique et technique
Quand Pierre Mendès-France devient président du Conseil en juin 1954, il installe
un secrétariat d'Etat à la recherche que,
sur les conseils d’Henri
Laugier,
il confie à Henri Longchambon. Lors de l’inauguration du
centre de recherches de Péchiney, celui-ci précise ses intentions
: «je suis prêt à aider les
entreprises à développer leurs recherches en assouplissant les règles
de la fonction publique, en permettant l'échange de personnel entre le
secteur public et le secteur privé, en définissant avec précision les
recherches d'intérêt national, en adoptant des textes fiscaux
permettant aux entreprises de consacrer une partie de leur
chiffre d'affaires à la recherche fondamentale» (22). Si ce secrétariat
d’Etat dispose d’une délégation de pouvoirs
théorique sur les établissements publics de recherche, en réalité ses
moyens
d’actions, notamment budgétaires, restent limités. Afin de
pallier ce handicap, il réunit un ‘Conseil supérieur de la
recherche scientifique et du progrès technique’ (CSRSPT) afin de
permettre
aux milieux universitaires de se rapprocher du monde économique.
Ce Conseil compte des scientifiques de renoms comme Louis
Leprince-Ringuet, Louis Néel, Yves Rocard et Jean Wyart, les chimistes
Charles Sadron et Alfred Kirmmann ou l’historien Lucien Febvre,
aux côtés de
grands patrons de l’industrie tels Léon Denivelle (Sté Potasse et
Engrais chimiques), Alfred
Landucci (Kodak-Pathé), l’actif responsable d’une commission chargée de
de la formation des ingénieurs de recherche, René Perrin (Ugine),
Maurice Ponte (Thomson-CSF) ou
Pierre Piganiol (Saint-Gobain) que l’on retrouvera plus tard premier délégué général de la recherche scientifique et technique.
Le colloque de Caen et ses conséquences
L'idée d'un colloque sur l'université et la recherche naît de la
réunion de quelques grands scientifiques, politiquement proche
des milieux mendésistes, le mathématicien
André Lichnérowicz, les physicien Alfred Kastler et Edmond Bauer, les pasteuriens
Jacques Monod et
François Jacob, le professeur de médecine
Jean Dausset et de l'activité de l’ancien directeur de cabinet du président Mendès-France,
Jean-Louis Crémieux-Brilhac. En octobre 1956, le
discours inaugural de Mendès, auquel a contribué Monod,
évoque l’esprit de la recherche libre dans lequel est organisé cette
manifestation : "la recherche
fondamentale, source de toute invention s'étiole, se réduit de jour en
jour. Il semble, en effet, que les progrès décisifs accomplis après la
guerre, en physique nucléaire, en physiologie, en génétique, etc.,
l'aient été en dehors de nous…/ La priorité doit donc être donnée à la
recherche fondamentale, dont le cadre de développement principal doit
être l'Université qui est le substrat naturel d'une recherche libre,
spéculative et désintéressée"
(23). Telle est la position partagée
par Bauer, Monod et Lichnérowicz. Mais la pénurie de scientifiques dont
pâtit la France commande l’adoption d'un programme d'expansion
accompagné d'une profonde réorganisation des
universités qui pourrait, selon Jacques Monod, s’inspirer du
fonctionnement de leurs homologues nord-américaines. Par exemple, il
conviendrait de créer un corps d'enseignants-chercheurs facilitant le
passage en souplesse de l'université vers la recherche et vice versa.
Concernant l’organisation de la recherche scientifique, deux
thèses
s’opposent. Dans un rapport où il propose la création
d’instituts dotés d’objectifs spécifiques,
le chimiste Charles Sadron dénonce le risque de faire de la recherche «…une fonction mineure s'accomplissant à l'ombre de l'enseignement». Ce à quoi le
physicien Alfred Kastler
réplique en arguant de son expérience passée : "lorsque la recherche et
ses applications furent fondues dans le CNRS de 1939, ce le fut au
détriment de la science pure" (24). En définitive, le colloque se conclut sur le vœu que
la
recherche scientifique reste amarrée à l'enseignement supérieur.
Dans l'immédiat, seules les
facultés de médecine tirent profit des résolutions
adoptées à Caen.
Le rapport présenté par Robert Debré et Jean Dausset
suscite la réunion d’un comité interministériel qui aboutira à la
réforme hospitalo-universitaire de 1958 et à sa suite à
l'essor de la recherche médicale. Les autres
universités, sciences, lettres, droit, se trouvent confronté à un
phénomène
de massification qui va compliquer leurs relations avec le CNRS, dont on note d'ailleurs l'absence à Caen. Son directeur,
Gaston Dupouy
méfiant vis-à-vis d'un comité national qu'il juge dominé par les
universitaires, a décidé d'installer deux laboratoires propres sans requérir son avis, celui
d’
optique électronique qu’il dirige à Toulouse ou le
Phytotron de Gif sur Yvette.
En revanche, la professionnalisation de la recherche fait un pas décisif
avec l’apparition d’un syndicalisme spécifique. A la suite d’une
scission au opérée au sein de la Fédération de l'Education nationale (FEN), le 'Syndicat national de l'Enseignement
supérieur' (SNES'up) se sépare du 'Syndicat national des chercheurs
scientifiques' (SNCS) organisé par le pasteurien
Raymond Dedonder qui
a assisté au colloque de Caen. Aux
élections du comité national en 1957, le SNCS obtient 63 des 69 sièges
à pourvoir, un événement appelé à peser dans les futures relations de
la recherche et de l'enseignement
supérieur.
L’institut national des sciences appliquées (INSA)
En contrepoint de Caen, Henri Longchambon organise à
Grenoble l’année suivante un colloque ‘recherche et industrie’ pour
lequel il obtient le soutien financier de Raymond Cheradame, le
directeur du’ Centre de recherche des charbonnages de France’
(CERCHAR). A cette occasion, il rappelle que la production d’ingénieurs
est un élément essentiel du développement économique et social du pays
en citant l’exemple du ‘Massachusetts Institute of Technology’ « …où
les étudiants sont recrutés sur tests, mais dont nul ne conteste qu'il
ne constitue l’une des meilleurs écoles d'ingénieurs du monde ». Son souci de ne pas laisser la formation des
ingénieurs aux seules grandes écoles se concrétise avec la création de
l’’Institut national des sciences appliquées’ (INSA). L’entreprise est
menée avec le soutien de René Billières le ministre de l’Education
nationale et du directeur de l’Enseignement supérieur, le philosophe
Gaston Berger. Présenté dans le journal ‘Le Monde’ en octobre 1956,
l’INSA devrait démocratiser la formation des ingénieurs. « Passé
le baccalauréat on voit les (élèves) les plus vaillants s'épuiser dans
la course folle aux concours des grandes écoles, cependant que près des
deux tiers des candidats se voient ajourner à la propédeutique
scientifique dit Longchambon. Ainsi, le pays qui manque le plus
gravement de cadres techniciens s'offre le luxe d'écarter chaque année
mille cinq cents des deux mille trois cents étudiants attirés par la
licence de sciences! Pour donner à ces réprouvés une formation à
la mesure de leurs aptitudes et accueillir les enfants d'ouvriers, il
faut accroître les possibilités d'accueil de notre enseignement
scientifique en créant des écoles nouvelles…/ Sans concours d'entrée,
(l’INSA) accueillera chaque année un millier de bacheliers de
mathématiques : les meilleurs en sortiraient ingénieurs après cinq ans
d'études et les autres deviendraient, au bout de trois ans, les
techniciens supérieurs dont le besoin n'est pas moins pressant…/ La
sélection des élites telle que la pratiquent les grandes écoles doit
être poursuivie, mais elle ne doit pas exclure l'éducation de masse,
(car) la formule des barrages successifs par concours ne suffit plus " (25). L'INSA est implanté dans le quartier de la Doua à
Lyon grâce à l’intervention du Crédit lyonnais. Dans le conseil
d’administration qu’il préside, Henri Longchambon accueille Pierre
Lombard (Rhodiaceta), l’Ingénieur général Roger Schwob du ministère de
l'Industrie, Francis Closon de l’INSEE et
Pierre Massé, le président
d’EDF et futur haut-commissaire au Plan. Une première promotion de trois cent
élèves est accueillie en novembre 1957. L’institut est divisé en trois
départements, chimie (chimie industrielle, plasturgie et biochimie),
physique (électronique, électrotechnique appliquée et génie physique),
mécanique (génie des procédés). Fort de sa réussite, l’INSA a gardé
jusqu’aujourd’hui un mode de recrutement socialement plus ouvert que
les grandes écoles, même s’il tend à s’inscrire progressivement dans la
hiérarchie sélective de celles-ci. En revanche, selon une disposition
qui lui est propre, il intègre en son sein le cycle de formation dévolu
ailleurs aux classes préparatoires.
Le développement de l’énergie nucléaire
Henri Longchambon a en matière nucléaire le même rôle d’incitateur que
celui qui fut sien au CNRS. En tant que sénateur, il est l'un des
rapporteurs, avec le député Félix Gaillard, du Plan quinquennal de
l'énergie atomique mis en œuvre par le CEA en 1952. En parallèles avec
les recherches de bases menées au Commissariat,
il se préoccupe d'équiper l’université d'accélérateurs de particules
et œuvre pour doter l’université d’Orsay d’un synchrocyclotron.
Également soucieux d’associer les industriels au développement de
l’énergie nucléaire, en 1957 il organise des journées d’études au
Conservatoire des Arts et Métiers auxquelles sont conviés les
représentants de Saint-Gobain et de l’Alsacienne de constructions
mécaniques (SACM) pour les centrales nucléaires, de Penhoët-Loire pour
la propulsion navale, de Péchiney et de Kuhlmann pour le traitement du
minerai d’uranium. A la demande d'EDF, la pile G1 du centre CEA
de Marcoule vient d'être dotée d'une installation de récupèration
d'énergie, un prototype de centrale électro-nucléaire (25b).
Quelle a été sa position concernant l’arme atomique? En tant que
secrétaire d'État à la recherche Longchambon a assisté au conseil
interministériel consacré à l'utilisation militaire de la
désintégration nucléaire, réuni au Quai d’Orsay par le président
Mendès-France le dernier
dimanche de l’année 1954 (26).
La première bombe
atomique explosera au Sahara six ans plus tard suscitant le «Hourra pour la France ! »
du général de Gaulle. A cette occasion Longchambon rappelle les
circonstances de la décision prise quelques années plus tôt : « En
1954, le gouvernement dont je faisais partie a délibérément orienté les
travaux de nos ingénieurs et de nos chercheurs vers la réalisation, par
des moyens français, de la bombe atomique, réalisation qui paraissait
devoir aboutir vers la fin des années cinquante. Il l'a fait
silencieusement, son désir étant que la situation internationale évolue
vers la suppression de cette arme et rende inutiles nos propres efforts
en ce sens. Mais son devoir était aussi de ne pas laisser notre pays
indéfiniment désarmé dans cette compétition où se complaisaient alors
trois autres pays » (27).
L'héritage de la IV° République
En 1957, dans le dernier rapport d’activité du Conseil supérieur de la
recherche scientifique et du progrès technique, Henri Longchambon
annonce ce que devrait être une politique scientifique organisée comme
une entreprise collective, articulée autour de compétences pluridisciplinaires : « je suis
convaincu que la possibilité de découvrir des choses intéressantes ne
se rencontre plus du côté du chercheur isolé agissant seul. Elle est du
côté d’équipes suffisamment nombreuses pour combiner, grâce aux
caractéristiques individuelles de chacun, les diverses spécialités, les
diverses disciplines, les diverses techniques qui s’interpénètrent et
qui doivent collaborer pour multiplier les découvertes …/ Ce travail en
équipes demande que nous abattions les cloisons étanches qui existent
encore entre les diverses disciplines, entre la science fondamentale,
la science appliquée et la réalisation industrielle» (28). Ces
dispositions sont appelées à inspirer la politique scientifique de la
nouvelle République. Le nouveau régime met certes un terme aux fonctions de
Longchambon, un personnage marqué par son appartenance au régime
précédent, mais dont l’influence reste intacte souligne
Pierre Aigrain, un physicien proche d'Yves Rocard et de Maurice Ponte, qui avait participé à ses côtés à la mise en place du 3ème
cycle universitaire et à la thèse de recherche. En matière
de
recherche-développement, le bilan de la IVème République est donc loin d'être
négligeable.
Sénateur à vie, Henri Longchambon restera
actif sur les questions d’enseignement supérieur dans les pays en voie
de développement, jusqu’à son décès survenu en 1969, l’année où le
général de Gaulle lance le référendum censé réformer l’auguste
assemblée, mais aboutira à son départ.
Le Comité des Sages et la Délégation à la recherche scientifique et technique
Revenu aux affaires en 1958, le général de Gaulle a affirmé le souci de redonner
au pays les moyens de son indépendance, ce qui implique la relance
d’une politique scientifique volontariste, une "ardente obligation" évoquée par le commissaire au Plan,
Pierre Massé.
La constitution d’une force
de frappe nucléaire nécessite un énorme effort de
recherche-développement qui est pris en main par une ‘Direction
de la recherche et des moyens d'essais’ (DRME, 1961) en relation avec
le CEA. Si l'effort budgétaire qui y est consenti est probablement
équivalent à celui de la recherche civile, cette dernière est loin
d'être négligée. Un
Comité des Sages est réuni au début de 1959 pour préparer la réorganisation du dispositif de la recherche publique.
Présidé par Maurice Letort le directeur de la recherche aux
Charbonnages de France,
Pierre Aigrain y côtoie Maurice
Ponte, Pierre
Taranger du CEA,
Jean Bernard du CHU Saint-Louis, Paul Germain de
l’Académie des sciences, André Lichnérowicz du Collège de France,
Raymond Latarjet de l’Institut du radium,
Charles Sadron et
Felix
Trombe du CNRS ainsi que l’historien Louis Chevalier et le géographe
René Dumont.
En novembre,
un décret officialise la constitution sous
tutelle interministérielle du ‘Comité consultatif de la recherche
scientifique et technique’ (CCRST). Les moyens budgétaires nécessaires
à la relance d’une politique de la science sont confiés à une
Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST) à
la tête de laquelle est nommé
Pierre Piganiol qui avait appartenu au
conseil supérieur de la recherche. A la suite d’une
manœuvre à la hussarde qui ne manque pas de surprendre Longchambon,
Piganiol fait inscrire à la loi de Finances 1961 le budget civil de
recherche et de développement pour un montant d’un demi-milliard de
nouveaux francs. Il s’agit d’un effort sans précédent au profit de
la recherche scientifique
note l’historien Antoine Prost (28b).
Le CCRST et son bras séculier, la DGRST, disposent d’une
‘enveloppe-recherche’ pour lancer des ‘actions concertées’ destinées à irriguer des domaines scientifiques en cours de
développement. De manière significative, sur les douze premières lancées en 1959, cinq relèvent des sciences de la vie :
'neurophysiologie et psycho-pharmacodynamie', 'nutrition',
'applications de la génétique', 'cancers et leucémies' et surtout
'biologie moléculaire' dont le pilotage est confié au pasteurien
Jacques Monod, lauréat du Nobel de médecine 1965 avec André Lwoff et François Jacob.
En rapprochant la biologie et la chimie de la physique,
la DGRST joue ainsi
un rôle crucial dans l’institutionnalisation de la nouvelle discipline
et dans son sillage à la fécondation de l’ensemble des sciences de la vie.
La nouvelle administration procède à l’installation de nouveaux
organismes, tandis que la réorganisation des établissements historiques
est envisagée. Le Centre national d'études spatiales (CNES) est créé en
1961 en vue de participer au démarrage de la conquête spatiale marquée
par lancement du ‘spoutnik’ quatre ans plus tôt. A la suite des
mésaventures d’un 'Plan calcul' lancé en 1964, l’informatique
bénéficiera d’un 'Institut de recherche en informatique et automatique'
(INRIA) chargé de soutenir le développement d’une industrie française
du hardware (CII-Honeywell-Bull). Afin de regrouper l’ensemble des
activités halieutiques dispersées jusque-là,
l’océanographie qui
disposait d’une section du comité national est prise en charge par un
‘Centre national pour l'exploitation des océans’ (CNEXO, 1967),
ultérieurement rebaptisé 'Ifremer'. Des réorientations sont demandées
aux organismes historiques. La réforme hospitalo-universitaire de 1958
n’ayant pu dégager les moyens nécessaires à la recherche médicale,
en
1964 la transformation de l’INH en ‘Institut national de la santé et de
la recherche médicale’
(Inserm) est opérée en vue d’investiguer les
voies nouvelles de la médecine moléculaire. Enfin, la question se pose
de la place du CNRS au sein de cette nouvelle organisation scientifique.
VI – Œcuménisme scientifique
Au printemps 1959, la question est de savoir s’il faut détacher ou non
le CNRS de l’enseignement supérieur, autrement dit le libérer des
ambiguités posées par sa double mission. Pour son nouveau directeur,
le
géophysicien Jean Coulomb : «indiscutablement,
les créations du CCRST et de la DGRST représentaient un tournant dans
l'idée qu'on pouvait se faire du rôle du CNRS. Il est clair que selon
la mission qui lui avait été confiée en 1939, l'organisme faisait
désormais double emploi avec la DGRST.... / Simultanément, l'idée du
président du comité des Sages était de créer un office des instituts
nationaux, c'est à dire rassembler toutes les recherches au sein d'un
organisme unique comme on l'avait fait pour la physique nucléaire avec
le CEA. Or, ce projet faisait peser des graves menaces sur le CNRS et
je m'y suis opposé » (28c). Fort de l’appui des représentants
des chercheurs et en misant sur des rivalités inter administratives, Jean Coulomb pare à cette
menace de démantèlement. Il peut s’appuyer sur André Boulloche le
ministre de l’Education nationale qui ne souhaite pas se séparer de
l’organisme chargé de la recherche, tandis que le directeur des Enseignements
supérieurs, Louis Capdecomme, refuse de discuter de ses projets
d'équipement avec le CCRST. Le Premier ministre ayant tranche en leur
faveur, en quelque sorte
l'Education nationale vient de sauver le CNRS note l'historien
Antoine Prost.
En contrepartie du soutien apporté à cette opération, le 'Syndicat
national de la recherche scientifique' (SNCS) obtient la satisfaction de
sa principale revendication : un statut des chercheurs. En
décembre 1959, six décrets portant sur la réorganisation du CNRS
stipule que les attachés et les chargés de recherche relèvent désormais
d’un régime contractuel de droit public, tandis que les maîtres et les
directeurs de recherche sont dotés d’un statut de la fonction publique.
Ces dispositions confortent les pouvoirs du comité national où les
représentants du personnel obtiennent progressivement que la promotion
d’un attaché de recherche dans le corps des chargés soit quasi automatique, lors des débats en commission, il s'agira
de "...donner la priorité au personnel en n'émettant aucun vote qui puisse aller dans le sens d'un licenciement"
(29). En conséquence, les départs d’A.R., c'est-à-dire de boursiers en fin de thèse qui représentaient
un flux de 10% dans les années 1950, décroissent pour se stabiliser aux
environs de 2% au début des années 1970. Soutenu par une forte hausse des
moyens affectés au CNRS, les effectifs de chercheurs, ingénieurs,
techniciens et personnel administratif (ITA) triplent en l’espace de
dix ans, passant de 6000 en 1960 à 15000 agents en 1970. Le comité national est
devenu un élément incontournable dans le fonctionnement du CNRS.
Le quant à soi universitaire
Malgré leur tutelle commune, les relations n’ont jamais
été sereines entre les universités et le CNRS, considéré
au mieux comme un prestataire de services à leur profit, au pire dénoncé
dans sa volonté «...de domestiquer les élites » (28b). L'installation du
couple CCRST-DGRST n'a fait que souligner l'ambiguité d'un organisme qui a
"perdu la rente de situation que lui offrait l’absence de concurrence
en matière de coordination de la recherche"
relève Antoine Prost.
Au début des années soixante, à la question de
décider si les facultés des sciences doivent former des techniciens
pour l'industrie, l’assemblée des doyens fait savoir que "la recherche
fondamentale ne saurait être sacrifiée au profit de la recherche
spatiale et de l’armement nucléaire", tandis que le Syndicats autonome
de l'Enseignement supérieur dénonce un CNRS
qualifié «...de cancer qui finira par dévorer l'université" (30). Lorsque
le
CCRST suggère de confier au comité national
le soin d’analyser la conjoncture scientifique, chaque section présente
ses propres perspectives de développement. Moyennant quoi
l'hétérogénéité du premier rapport de conjoncture publié en 1959 rend
problématique toute vue synthétique du progrès scientifique. Le comité
national réduit à saupoudrer ses crédits entre une quarantaine de
commissions, son souci d’équipartition est d’ailleurs conforté par
Alfred Kastler qui évoque «…la nécessité de faire
avancer simultanément tous les fronts de la science"
(31). Reste que les
pouvoirs publics ne se satisfont pas de ce statu quo. En
février 1962, l'Inspection générale des Finances lance un audit confié
au conseiller Jacques de Chalendar afin d’étudier les moyens de lui
rendre son dynamisme. Tout en confirmant sa vocation à soutenir les
laboratoires de l'enseignement supérieur quitte à en revoir les
modalités, le rapport Chalendar prévoit la
possibilité d'attacher directement des instituts nationaux au CNRS,
autrement dit de conforter l'organisme dans sa double mission
d'opérateur de recherche et de caisse des sciences.
Départements scientifiques et laboratoires associés, la réforme de 1966
En 1966 inspiré par ce rapport de l'inspection des Finances, le nouveau directeur du CNRS,
le physicien Pierre Jacquinot, engage les réformes adéquates. Une première mesure
consiste à renforcer l’administration du CNRS en introduisant auprès du
directeur général l’assistance d’un directeur administratif issu du Conseil d’Etat (Claude Lasry puis
Pierre Creyssel), puis à l’épauler par
l’installation de six départements scientifiques. Leur direction est
confiée à
Hubert Curien pour la physique, à Georges Jobert pour les
sciences de la terre et de l’espace, Fernand Gallais pour la chimie,
Claude Lévi pour les sciences de la vie, enfin à
Pierre Monbeig pour
les humanités et à l’économiste Pierre Bauchet pour les sciences
sociales.
Une autre mesure vise à réduire le nombre des
laboratoires propres du CNRS, dont certains devenus obsolescents à
Meudon-Bellevue ou à Gif s/Yvette, et à harmoniser la gestion de ceux
qui dépendent de l’enseignement supérieur. Désormais tous les
laboratoires soutenus par le CNRS seront soumis aux procédures
d’évaluation du comité national, ceux de l’enseignement supérieur
devenant des ‘Laboratoires associés’ (L.A.), bientôt rejoints par des
‘Équipes de recherche associées’ (E.R.A). Gage de son succès, le dispositif est appelé à se généraliser pour donner les 'unités
mixtes de recherche' (UMR) que nous connaissons aujourd’hui.
En réalité remarque Hubert Curien, il s’est révélé plus profitable au CNRS qu’à
l’université : «si le système d'évaluation (du comité national)
fonctionne bien en ce qui concerne les hommes, il est moins
satisfaisant pour les sujets de recherches ou le contenu des
programmes. Moyennant quoi les responsables du CNRS se sont de plus en
plus sentis les patrons des laboratoires universitaires. Dans les
conseils de laboratoire, quel était celui vers lequel on se tournait?
Ce n'était pas le représentant du président d'université, mais le
directeur scientifique du CNRS. Si le système a été profitable à la
recherche française, je n'en disconviens pas, il n'a certainement pas
aidé chaque université à prendre conscience qu'elle pourrait avoir une
politique scientifique ».
La physique et ses instituts
Alors que le CNRS avait été créé comme - et soit largement resté – une
affaire de physiciens, la discipline a assez rapidement cherché à
s’affranchir de l’emprise du comité national. Couvrant un ensemble de
recherches gourmandes en moyens lourds, la physique a pu installer ses
premiers laboratoires propres hors de son emprise. L'
Institut
d'astrophysique de Paris (IAP) ou
l'Observatoire de haute Provence
(OHP) ont ouvert la marche dès l’avant-guerre. Dans les années 1950, le
développement de la radioastronomie suscite la construction
de la
station de Nançay. Au milieu des années 1960, le rapprochement entre
l’astrophysique et la géophysique conduit
Jean-François Denisse à
installer un premier
'Institut national d'astrophysique et de
géophysique' (INAG). Pour répondre aux craintes du comité national de
se trouver dépossédé de ses responsabilité, il propose que les sections
concernées forment le conseil scientifique de ce nouvel institut.
L’INAG ultérieurement rebaptisé ‘Institut national des sciences de
l'univers’ (INSU) a pu développer ainsi des coopérations
internationales qui donneront le télescope franco-canadien de Hawaii et
plus tard l’’European Southern Laboratory’ au Chili.
A partir du ‘Laboratoire d'électrostatique et de physique du métal’
(LEPM) qu’il avait installé pendant la guerre, le souci de disposer des
moyens nécessaires à la physique des solides a conduit
Louis Néel
(nobélisé en 1970) à développer le
‘Centre d'études nucléaires de
Grenoble’ (CEN-G),
« c'est l'époque où l'on commençait à parler de réacteurs
universitaires dédiés à la recherche et, en 1953-54 dit-il. En
coopération avec le CEA on a construit la pile Mélusine pour étudier le
moment magnétique des atomes dans un réseau cristallin». Puis
en association avec la ‘Max Planck’, l’université de
Grenoble et les industries électrotechniques locales, le ‘CEN-G’
accueille le réacteur à haut flux au sein de l’Institut Laüe-Langevin,
une
première en matière de coopération scientifique franco-allemande,
appelée à intéresser aussi les biologistes de l’'European Molecular
Biology Organization' (EMBO). Dans sa relation assez lâche avec le
CNRS, Néel s’est affranchi des contraintes statutaires posées par le
comité national. Au milieu des années 1960, il demande dans la
commission où il siège, si en guise d'orientation scientifique, "...il ne
suffirait pas simplement de donner la priorité aux sections où il y a
déjà les hommes" (32).
En physique nucléaire, le CNRS qui avait eu un rôle pionnier a passé la
main en matière de recherche fondamentale au Commissariat à l’énergie
atomique et au ‘Centre européen de
recherches nucléaires’ (CERN). Au début des années 1970, sous
l’impulsion
du CEA, les projets d'installations d’accélérateurs de
particules dans les campus universitaires (Grenoble, Orsay, Caen...)
suscite la mise en place de
l’
Institut national de physique nucléaire et de physique des
particules’ (IN2P3).
Les sciences pour l’ingénieur
Au milieu des années 1970, la crise économique à la suite du
premier choc pétrolier conduit l’’
Organisation de coopération et de
développement économique’ (OCDE) à encourager le développement des
politiques scientifiques. Au CNRS, Le directeur
nommé en 1976, le physicien
Robert Chabbal,
introduit le concept de
‘pilotage par l’aval’. C'est-à-dire, selon un schéma schumpétérien, de
développer les axes de recherche (scientific push) suscités par le
progrès technique (demand pull). Il lance des programmes
interdisciplinaires dont
le premier est consacré à
l'énergie solaire (PIRDES). Il réorganise
aussi le département de la physique en trois entités distinctes,
‘maths-physique’, ‘physique des particules’ et ‘sciences pour
l’ingénieur’ (SPI). La vocation des ‘SPI’ est de rapprocher la
recherche fondamentale des applications industrielles. Contrairement
aux programmes interdisciplinaires qui n’ont eu qu’un succès limité,
les ‘SPI’ marquent la réussite du rapprochement entre les chercheurs du
CNRS et leurs collègues de l'industrie, une disposition prônée en son temps par le sénateur Longchambon. Sous la direction
de
Jean Lagasse, le directeur du ‘laboratoire des automatismes et des
applications spatiales’ de Toulouse, les ‘SPI’ regroupent quatre
sections du comité national, ‘informatique’, ‘génie électrique’,
‘mécanique’ et ‘thermique’, pour féconder d’autres domaines de recherche, notamment dans les sciences de la vie (33).
Les sciences de la vie entre holisme et réductionnisme
En sciences de la vie (SDV), les rapprochements
interdisciplinaires permis par le comité national peuvent s’apprécier
en termes quantitatifs. Au CNRS, Ils sont illustrés par un transfert du centre de gravité
de la chimie vers la biologie. La proportion de chercheurs
dans les SDV est passé de 18 % en 1950 à plus de 30% en 1980,
corrélativement à la décroissance du nombre de chimistes de 26 à 18 %.
Il s'agit d’ailleurs souvent de chercheuses, puisque le département SDV
représente le secteur le plus féminisé avec 50% de femmes à la fin des
1970, contre une moyenne de 20 % dans les autres secteurs (34).
Sur le plan
qualitatif, l’évolution apparait plus nuancée. Confronté aux pesanteurs
universitaires, le CNRS a manqué le tournant de la biologie moléculaire
et n’a qu’imparfaitement réduit les tensions entre des naturalistes
adeptes de la taxinomie et des réductionnistes investis dans les arcanes de la génétique
moléculaire. A la fin des années 1940, il a
fallu l'influence du pasteurien André Lwoff pour obtenir l'ouverture
d'une section de biologie cellulaire au comité national, initialement refusée par les
naturalistes du Museum qui redoutaient la perte des moyens consacrés à
la botanique (35).
Quant au développement de la biologie moléculaire, il a
surtout bénéficié du soutien apporté par les actions concertées de la
DGRST. L'IBPC a certes fini par
être intégré au CNRS, mais l’organisme dédié à la nouvelle discipline
sera implanté à la faculté des sciences sous le nom d’‘Institut Jacques
Monod’ (U. Paris VI – VII). En revanche, l'organisme peut légitimement
revendiquer les avancées réalisées en génétique moléculaire.
A
l‘Institut de génétique’ installé sur le campus de Gif s/Yvette,
inspiré par les pasteuriens, dans les années 1950 Boris Ephrussi a
développé la génétique des micro-organismes à partir de mutations
réalisées sur la levure de boulangerie. Ces mutants ‘petite colonie’
permettent au levuriste
Piotr Slonimski de mettre en évidence les caractéristiques
d’une génétique cytoplasmique à l’origine d’un ensemble de laboratoires installés à partir de 1967 au
‘Centre de génétique moléculaire’ de Gif s/Yvette.
La recherche bio-médicale
Dès ses débuts, le CNRS avait participé au développement de la
recherche médicale et pharmacologique. En 1938, une section de
‘médecine expérimentale’ avait été introduite au Conseil supérieur de
la recherche à l'initiative du doyen Gustave Roussy. Dans
l’après-guerre, en vue d'installer leurs laboratoires
les cliniciens soucieux de développer la recherche médicale s’adressent au CNRS plutôt qu’à l’INH. Tel est le cas de l’hématologue
Jean Bernard qui ouvre le
Centre Hayem de l’hôpital Saint-Louis, Dans
les années 1960, la recherche pharmacodynamique est introduite sur le
campus de Gif s/Yvette avec l’’Institut de chimie des substances
naturelles’ (ICSN) du chimiste
Edgar Lederer. Son successeur
Pierre
Potier y découvre une molécule anti-cancéreuse particulièrement
efficace. Malgré les réticences de certains biologistes comme
Pierre Chambon qui estime que "la biologie a plus fait pour la médecine que la médecine elle-même" (36),
Le développement de l’internat scientifique, notamment le doublement
des effectifs de médecins chercheurs au CNRS, provoque le dédoublement
de le section médicale du comité national entre pathologie et
thérapeutique expérimentale. Enfin, inspiré par le 'modèle IBPC', dans les années 1970-80, le CNRS participe en
partenariat avec l’Inserm à la construction du
‘Centre d’immunologie de
Marseille-Luminy’ (CIML) où
François Kourilsky lance ‘Immunotech’,
l’une des premières ‘startups’ destinée à la fabrication d’antigènes
monoclonaux. De même le CNRS est partenaire de
l'Institut Cochin de génétique moléculaire de Jean-Paul Lévy, ainsi que d'un autre fleuron de la recherche biomédicale,
l’'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire' (IGBMC) installé par Pierre Chambon à Strasbourg.
Les SHS entre recherche et enseignement
Les humanités ont été introduites au CNRS très tôt, la philologie avec
le ‘Trésor de la langue française’ dès l’avant-guerre par exemple, mais
non sans soulever les sarcasmes des sciences expérimentales.
Ainsi, Joliot s'interroge devant son comité directeur, se
demandant "…si le CNRS n’en viendra pas à subventionner des romans" (37).
Dans les années 1950, le mathématicien Laurent Schwartz s'étonne de
voir seulement 150 bourses proposées en mathématiques et en astronomie,
contre 70 en paléontologie, 40 en anthropologie et 80 en philosophie.
Il reste que le CNRS a permis l'institutionnalisation d'un certain
nombre de disciplines, pas ou peu représentées à l'université. Depuis
1942,
l'archéologie dispose de deux sections ouvertes par Jérôme
Carcopino ou la sociologie qui bénéficie de l’installation en 1946 du
‘Centre d'études sociologiques’ (CES), avant que les sociologues
n’émigrent une vingtaine d’années plus tard vers l'’École des hautes
études en sciences sociales’ (EHESS).
Les événements de soixante-huit ont amené le CNRS à répondre à une ‘demande
sociale’ de recherche dans un contexte de pluridisciplinarité.
Inspirées des actions concertées de la DGRST, les
'actions thématiques programmées' (ATP) lancées au début des années
1970 et la multiplication des équipes de recherche associées (ERA) ont
permis le développement de la sociologie urbaine ou de la
socio-économie de la santé. De même les SHS ont profité de la vocation
interdisciplinaire du CNRS pour développer avec les ‘SPI’,
l’informatique documentaire
ou les techniques de traduction
automatique. Néanmoins, la multiplication des sections du département
SHS semble souvent s'expliquer par des rivalités entre titulaires de
chaires, comme dans le cas de la 'Philologie - linguistique'
représentées par une unique section en 1945 et par quatre dix ans plus
tard. De même à la fin des années 1970, la sociologie fortifiée par
l’intégration d’un personnel hors-statut a essaimé dans quatre sections
du comité national (34, 35, 38 et 45), moins semble-t-il en
fonction de critères scientifiques solidement établis que du fait d'une
discipline que distingue parfois son imprégnation idéologique. En
définitive au CNRS, le secteur SHS est probablement le plus
vulnérable à l’ambivalence d’un organisme censé programmer son activité
d'un côté et soutenir la recherche académique de
l’autre. Concluant une enquête menée par l’OCDE sur l’organisation de
la recherche dans les années 1970,
le sociologue Stanley Hoffmann et
l'économiste Wassily Léontieff préconisaient la réaffectation de cet
ensemble disciplinaire à l’université. Il n’empêche que le problème
reste pendant. Les humanités et les sciences sociales qui fusionnent
au sein d’un unique département ‘SHS’ en 1981 n'ont cessé d'osciller
entre une présence justifiée par la vocation multidisciplinaire du CNRS
et des pratiques de recherche individuelle propres à la thèse
universitaire.
VII - Le comité national sur la sellette
Dans les années 1970, le souci de muscler
la direction du CNRS s’est
heurtée à l’omnipotence du comité national. Si
Pierre Jacquinot peut se
targuer d’avoir fait échapper le CNRS aux dispositions de la loi Edgar
Faure à l’automne 1968 en rappelant que l’organisme qu’il dirige n’a
pas de fonctions d’enseignement, les relations deviennent houleuses
entre les directions scientifiques soucieuses de piloter la recherche
et le comité national devenu un bastion du pouvoir syndical.
Raymond
Dedonder l’un des fondateurs du ‘Syndicat national des chercheurs
scientifiques’ ne masque pas cette évolution corporatiste : «les
gens qui ont créé le SNCS se sont battus au départ, non seulement pour
améliorer les conditions de carrière, mais aussi pour promouvoir le
CNRS en tant qu'institution scientifique à part entière. Après 1968,
quand il a été pris en main par une nouvelle tendance que l'on pourrait
qualifier de gauchiste, il a été décidé de donner la priorité à la
défense des chercheurs et non à celle du CNRS».
Un rapport du Conseil d'Etat
Cette dérive du comité national est fustigée par le conseil d'Etat. En
1972, le rapport Antoine Bernard révèle comment « …l'usage s'étant
établi d'entériner la quasi-totalité de ses avis en matière de
recrutement, c'est un tiers du budget CNRS qui échappe, de fait, à
toute politique scientifique » (38). De fait, le comité national a la main
sur une masse salariale qui ne descendra jamais au-dessous des deux
tiers du budget de fonctionnement du CNRS, pour atteindre les neuf
dixièmes au début des années 1980. D’autre part, la multiplication du
nombre de sections, sa balkanisation, est dénoncée pour les risques
qu’elles fait peser sur l’interdisciplinarité.
A ce propos, le déclin
des actions thématiques programméesn (ATP) est symptomatique. Assez
rapidement, elles ont subi une forme de déclassement de leurs fonctions
programmatiques. En 1976, la section de biologie cellulaire évoque à
leur propos le fait que "…toute forme de programmation n'aboutisse à la ‘médiocratisation’ de la recherche"
(automne 1978). Deux ans après leur lancement, le contrôleur financier du
CNRS déplore que les ‘ATP’ soient utilisées comme une soudure
financière, servant surtout à compléter la dotation régulière des
laboratoires. " (Elles) n’ont jamais vraiment fait souche au CNRS regrette
Robert Chabbal. Alors
que l'ambition initiale était de leur confier la moitié du budget
d'équipement du CNRS, les ATP n'en ont au mieux mobilisé que le dixième".
En
fait, l’obtention du statut des chercheurs a fini par confronter le
CNRS à une contradiction majeure. Leur évaluation opérée
par les sections du comité national, le jugement par les pairs, se
trouve
prise entre les nécessités du suivi de carrières dans la fonction
publique - I.e. l'avancement à l'ancienneté - et les rigueurs d’une
évaluation
nécessaire à la dynamique de la recherche scientifique. Au cours des
années 1970
les archives du
comité national révèlent la multiplication des débats
entre des élus
syndicaux qui défendant "…des chercheurs qui n'ont pas démérité" et des
responsables d'unités qui déplorent de passer plus de temps "…à
résoudre le cas de chercheurs à problèmes"
qu'à évaluer la performance des plus inventifs.
En matière de recrutement,
l’instauration d’un fléchage des postes censé
couper court aux laborieuses discussions entre directions et comité
national, est dénoncé en 1976 comme un viol de ses prérogatives
par la commission de biologie des interactions cellulaires. Au
directoire du CNRS,
le pasteurien François Gros fustige d’ailleurs une pratique qui "stérilise l'humus indispensable à la recherche
fondamentale" (39). Ces dysfonctionnements expliquent le vieillissement
observé dans la
pyramide des âges au CNRS. La moyenne d’âge qui voisinait la trentaine
au début des années 1960 dépasse la cinquantaine une vingtaine d’années
plus tard, moyennant quoi, ses capacités de recrutement pâtissent de
l'indisponibilité budgétaire de postes nécessaires au dynamisme d'un organisme scientifique.
Le chant du cygne du comité national
En mai 1981, l’élection de François Mitterrand et l’arrivée aux
responsabilités d’une génération de chercheurs actifs dans le mouvement
de soixante-huit,
avivent la mémoire d'un Front populaire qui avait vu naitre le
CNRS. Au comité national les représentants
syndicaux se présentent en garants des mânes de Jean Perrin : "les
membres du syndicat national des chercheurs sont tous des scientifiques
qui luttent pour la recherche, parce que précisément l'excellence ne
peut en être assurée que dans le respect de ceux qui la font, des lois
propres au développement scientifique et des besoins de la nation
entière". Moyennant quoi, le SNCS
réclame et obtient la tête des directeurs du CNRS, Jacques Ducuing, et
de l'Inserm, Philippe Laudat, qu’il tient pour responsables d'avoir
pliés les organismes publics au cours de la décennie précédente "aux
objectifs du gouvernement Giscard-Barre, c'est-à-dire aux intérêts des
grands trusts privés et aux impératifs idéologiques du conservatisme" (40).
Dans le gouvernement Mauroy, Jean-Pierre Chevénement devient ministre
de la Recherche et de la Technologie. Il obtient la
tutelle du CNRS qui se retrouve ipso facto détaché de celle de
l'Education nationale. Puis, à l'écoute des revendications syndicales
il confie au pasteurien François Gros et à un chercheur de l'Inserm,
Philippe Lazar,
le soin d’organiser des
assises de la recherche. Lors de leur conclusion début 1982, Lazar présente un
rapport de synthèse centré sur l’emploi scientifique où il évoque les «…trois
dissociations des métiers de la recherche entre formation initiale et
fonction, entre fonction et carrière soumises à l'évolution permanente
des aptitudes, des goûts et des possibilités, enfin entre la carrière
et les responsabilités vis-à-vis de la Société » (41).
Rendant compte
de cette manifestation, le chroniqueur scientifique du journal ‘Le
Monde’, Maurice Avonny, s'étonne de la contradiction inhérente à la
volonté ministérielle de rapprocher la recherche des préoccupations du domaine économique, du
souci de défendre la liberté revendiquée pour la recherche fondamentale, «...de la priorité donnée
à la question des besoins des chercheurs (plutôt que) de ceux auxquels
ils doivent répondre, davantage de leurs droits que de leurs devoirs et
surtout de l'accent mis sur la recherche fondamentale, (qui) ni en
volume, ni en nombre d'hommes, ni en utilité pratique, ni peut-être en
valeur culturelle, n'est supérieure aux autres.../ (Mais qui) reste la
référence par rapport à laquelle on raisonne (et qui) est un peu trop
l'arbre qui cache la forêt, (tant) le mythe du chercheur,
individualiste, spécialisé dans un étroit domaine où il est candidat au
prix Nobel reste enfoui dans bien des subconscients"
(42).
En fait, la loi d’orientation du 15 juillet 1982 donne au
CNRS le statut d’Établissements
publics scientifiques et techniques (EPST) et parachève la
fonctionnarisation de son personnel. Reste qu'à l'instigation du SNCS,
l'intégration des chercheurs, d'enseignants-chercheurs et d'ingénieurs
(ITA) au sein d'un corps unique est rejetée. En fait, cette loi est le chant du
cygne d'un comité national qui s'est révélé incapable d'harmoniser les relations de la
recherche et de l'enseignement supérieur. Quatre ans plus tard, un changement de majorité ramène la droite au
pouvoir. Dans le premier gouvernement de cohabitation, dans le cabinet
du Premier ministre Jacques Chirac,
le juriste Yves Durand, le
représentant des syndicats autonomes, part en gurerre contre l’emprise
des syndicats de gauche, dénonçant "...l'impérialisme du CNRS vis-à-vis de la recherche universitaire".
Suite à la saisine du conseil d'Etat, les dernières élections du comité
national effectuées au scrutin de liste sont annulées. L’’Union
nationale inter universitaire' (UNI) réclame la suppression du CNRS et
le versement des moyens qui lui sont attribués à l'Enseignement
supérieur. Défendu par le nouveau ministre de la Recherche, Alain
Devaquet, la direction de l’organisme sort néanmoins renforcée de cette
nouvelle crise au détriment des représentants du personnel. Un comité exécutif est mis en place à la tête du CNRS,
tandis que le comité national voit le nombre de ses sections réduit de
25 à 22 et que les représentants syndicaux sont désormais exclus des
instances chargées d’organiser les élections. Reste
qu’au tournant des années 2000, le problème de l’emploi
scientifique n'a rien perdu de son acuité. Le SNCS à la
manœuvre jusque-là au sein du comité national cède maintenant la place à un mouvement moins structuré de
jeunes chercheurs, plus vaste et plus revendicatif, 'Sauvons la recherche' (SLR).
VIII - Crise de l'emploi scientifique
Le début des années 2000 est marqué par la crise de l’emploi
scientifique. Un rapport de l’Education nationale pointe la
décroissance du nombre de thèses soutenues en cinq ans, en moyenne
moins 20 % en chimie et en physique et moins 12 % en mathématiques. A
l’inverse note Laurence Esterle de l'Observatoire des sciences et des
techniques, "en SDV et en SHS, le
Graal des thésards reste la recherche publique, mais en ajoutant que
pour une place d'enseignant-chercheur en biologie moléculaire ou en
biochimie, c'est un raz de marée de 56 candidats" (43). En mars 2003 le mouvement ‘Sauvons la recherche’ (SLR)
suscite une vaste mobilisation à l'Hôtel de Ville de Paris. Plus
d’un millier de responsables de laboratoire du secteur public menacent
de démissionner. En juin au CNRS, le comité national se réunit en
session extraordinaire afin de débattre des problèmes de l'emploi
scientifique. ‘SLR’ annonce la préparation d’États-généraux pour l’année suivante.
Les Etats-généraux de la recherche
L’année 2004 suscite un ensemble de réflexions dans l'ensemble de la communauté
scientifique.
Alain Trautmann, un directeur de laboratoire à l’Institut
Cochin de génétique moléculaire,
un leader du mouvement ‘SLR’ est
interrogé par le journal Le Monde. La défense du statut des
chercheurs implique l’intangibilité d’un service public de la recherche
dit-il : « la
connaissance scientifique est un bien public dont l'Etat est le
principal promoteur et le seul garant, et il dénonce ceux qui
souhaitent l'asservissement de la recherche aux besoins de l'économie.
Ceux qui pensent que souplesse rime avec précarité (…) restent sourds
aux appels des jeunes chercheurs précaires ». Concernant l’éventualité
du rapprochement souhaité de la recherche et de l’université, le
mouvement suggère « la
création de pôles de recherche et d'enseignement supérieur qui
associeraient universités, recherche publique et recherche privée avec
l’adoption d’un plan pluriannuel pour l'emploi scientifique permettant
de recruter de jeunes doctorants sur des poste stable ».
Cette proposition qui sera d'ailleurs retenue apparait plus originale
que le plaidoyer convenu de Trautmann pour la recherche
fondamentale : « il existe des pans entiers de la recherche qui ne sont
absolument pas programmables,
en 1970 le président Nixon a lancé un plan cancer qui a coûté plus cher
que la conquête de la Lune et qui n'a évidemment pas résolu le
problème. Pour illustrer le fait qu'un certain type de programmation
est stupide, je dirais que ce n'est pas en voulant améliorer la bougie
qu'on a inventé l'électricité ». Selon SLR, deux secteurs sont
particulièrement menacés : « si la révolte des chercheurs est partie du
secteur de la biologie, ce n'est pas un hasard.
La différence entre les moyens de ce secteur et ceux dont disposent nos
collègues américains est énorme. Le budget des National Institute of
Health est actuellement cinquante fois celui de l'Inserm. Cela dit, la
biologie n'est pas la seule à souffrir et le secteur des sciences de
l'homme et de la société est également très mal en point » (44).
Dans une tribune publiée par 'Le Monde', quatre personnalités
scientifiques de premier rang, les Nobel
François Jacob et Jean-Marie
Lehn, le mathématicien Pierre-Louis Lions titulaire de la médaille Field,
Philippe Kourilsky le directeur de l'Institut Pasteur,
dressent le constat sans complaisance du statut d’enseignant-chercheur
inscrit dans la loi de 1984 : « en
dépit d'énormes efforts, toutes les universités françaises n'ont pas
absorbé le choc de la massification de l'Enseignement supérieur. (...)
Trop souvent, les conditions de travail des enseignants, surchargés non
seulement de cours, mais de tâches ancillaires de tous ordres, sont
pénibles et dissuasives vis-à-vis des jeunes qui voudraient entrer dans
la carrière scientifique». Pour remédier à cette situation, les auteurs
de ce manifeste proposent quelques mesures drastiques : « à
l'évidence, il ne sera pas possible d'augmenter significativement les
salaires sans maintenir constant, voire diminuer transitoirement, le
nombre des chercheurs. La question est déplaisante, mais ne peut être
éludée. Voulons-vous un système diffus constitué d'une pléiade de
chercheurs mal payés, ou un dispositif plus concentré, forcément plus
élitaire, dans lequel les chercheurs sont mieux payés et plus
performants ?
» Quant à l’évaluation des chercheurs telle qu’elle est menée
dans les établissements publics, elle est pénalisée "par trop de
mécanismes électifs qui dans l'évaluation par les pairs
n'offrent pas de garantie d'optimisation des compétences et
introduisent à l'inverse une certaine forme de consanguinité en donnant
trop de poids aux syndicats » (45).
Quant à l’Académie des Sciences qui ne manque pas de relever la perte
d’influence du comité national, elle plaide pour un rapprochement entre
universitaires et chercheurs qui pourrait déboucher sur un statut
unique. Mais à la condition, précise-t-elle, «qu’il soit porté remède à
l'hétérogénéité du monde universitaire où 75 % des crédits abondés par
le CNRS ne concernent que 15 % des universités ». L’auguste assemblée
souligne que sur les quatre vingt huit universités installées par la
loi Edgar
Faure un quart de siècle plus tôt, seule une douzaine sont
réellement performantes en matière de recherche. Reprenant une
suggestion du mouvement des
chercheurs, l’Académie préconise l’installation de campus scientifiques
centrés, si possible (!), sur les universités, sur les grandes écoles
et les
EPST. Par ailleurs, ces derniers sont encouragés à se rapprocher dans
le secteur des
sciences de la vie en fusionnant l’Inserm, la direction des sciences de
la vie au CNRS
et le département des sciences du vivant du CEA (46).
A
l’automne 2004 lors
de la conclusion des Etats-généraux de la recherche, les propositions
de 'SLR' présentées par Alain Trautmann et par le physicien Edouard
Brézin, un
ancien président du CNRS, reçoivent un large soutien de la classe
politique,
de Nicolas Sarkozy à l’UMP à Marie-Georges Buffet pour le PCF en
passant par François Hollande au PS.
Nouvelles orientations
Début 2005, François d’Aubert le ministre délégué à la Recherche
présente les grands axes d’une nouvelle loi d’orientation et de
programmation dont la promesse avait été faite l’année précédente (28 oct. 2004).
Présentée comme un nouveau pacte avec la société, il tiendra compte
des propositions issues des états-généraux de la recherche, comme
d'autres contributions. En réponse à la conférence des présidents
d'université (CPU) qui demandent la mise en place d'un statut unique
des chercheurs et des enseignants-chercheurs, le ministre souligne que
l'idée reste "insuffisamment mûre"
compte-tenu de la situation, mais il
insiste sur le rôle qu’aura à jouer une agence nationale de la
recherche destinée à couvrir l’ensemble
des activités scientifiques menées en France, dans les EPST
comme dans l'enseignement supérieur. Depuis un an, cette loi
d’orientation a été élaborée en toute
discrétion par des responsables du CEA en postes au ministère de la
Recherche. Parmi eux, le directeur, le chimiste
Bernard Bigot
bientôt appelé à devenir haut-commissaire à l’énergie atomique. Auprès
de lui,
Gilles Bloch,
issu du
département des sciences du vivant au CEA, auquel est confié le soin d’installer l’Agence nationale de la
recherche (ANR). Outre la disposition d’une chaine de décision plus efficace
que celles des autres établissements publics,
André Syrota, son ancien patron au CEA, bientôt appelé prendre la direction de l’Inserm estime que : « l’un
des gages des succès du Commissariat s'inscrit dans une perspective qui
permettait de rapprocher les aspects technologiques des ingénieurs des
approches plus fondamentales des chercheurs".
L'adoption de la nouvelle loi d’orientation suscite des réactions mitigées dans la
communauté scientifique. Alors que des chercheurs qui s’estiment
« roulés dans la farine » demandent au gouvernement de « revoir sa
copie »,
Axel Kahn,
le directeur de l’Institut Cochin, signe une tribune collective où est
évoqué : «le magnifique élan d'une collectivité fière et blessée
(sic), égarée par la fausse route où l’engage le gouvernement
»
(47). De son côté, Alain Trautmann tout en
reconnaissant certaines avancées dues à la mobilisation des chercheurs,
prend acte de l’essoufflement du mouvement : « Le
temps a joué contre nous et a en tout cas a abouti à démobiliser
partiellement les chercheurs…/ Certains, au sein de SLR, considèrent
que nous aurions dû rechercher l'épreuve de force avec le pouvoir
plutôt que la discussion. Je crois, pour ma part, que nous n'avions ni
les forces, ni l'élan nécessaires pour en sortir victorieusement »
(48).
Malentendu au CNRS
Le CNRS n’a pas connu meilleure fortune.
Passée la tentative réformatrice du ministre Claude Allègre
qui a surtout concerné l'enseignement supérieur, au ministère de la
Recherche Bernard Bigot procéde en 2003 au remplacement de Geneviève
Berger
par
Bernard Larrouturou
à la tête du CNRS. Venu de l’INRIA, ce
polytechnicien semblait apporter les garanties nécessaires pour tenter
d’insuffler une dynamique nouvelle à l’organisme historique. Son
intention d’amener le CNRS qui cumulait les fonctions d'agence de
moyens et d'opérateur de recherche à se recentrer sur cette dernière
conduit Larrouturou à exprimer son scepticisme quant à un
éventuel
rapprochement avec l’enseignement supérieur : « j'ai
la conviction que l'avenir de la recherche française passe par le
développement des universités dit-il, mais la plupart d'entre elles ne
sont pas en mesure de mener une politique scientifique affirmée pour se
hisser au meilleur niveau international» (49). Afin de
remédier aux faiblesses d’ un comité national qu’il estime trop
cloisonné, le nouveau directeur envisage la création de quatre
départements thématiques,
de deux départements transversaux, ainsi que de cinq directions
interrégionales, enfin d’une direction de la stratégie scientifique.
Trois ans plus tard, la démission du président du CNRS (Bernard
Meunier) suivie de celle de son
directeur marque l’abandon d’une réorganisation dont "…la
réticulation administrative excessive ne semble pas la meilleure
manière de répondre aux défis scientifiques qui attendent
l’établissement ». Surpris par la brutalité de
l'événement, Larrouturou dénonce un ‘putsch’ provoqué par la
volonté de l’éliminer afin de laisser place nette à l’ANR : « on
m'a expliqué en haut lieu que le CNRS est le bateau-amiral de la
recherche française et qu'il est donc placé sous les ordres de l'Élysée
dès qu'il quitte le port dit-il. Je m'inscris en faux avec cette
vision. L'autonomie des établissements et la responsabilisation de
leurs dirigeants sont des éléments-clés de leur dynamisme » (48).
IX – Les technosciences, un univers en expansion
A l'aube du XXI° siècle, le fait est que les
activités scientifiques ont profondément changé de nature par rapport
aux grandes heures du CNRS. Ainsi, le clivage entre la recherche
fondamentale et ses applications sur lequel le comité national avait
bâti sa légitimité, n’a guère facilité l’adaptation à l'espace
technico-scientifique dans
lequel l'organismes doit désormais naviguer : " il est peu de
découvertes scientifiques qui ne se monnaient presque aussitôt en
spectaculaires retombées technologiques écrit l’épistémologue
Jean-Pierre Séris.
Peu de découvertes scientifiques qui n’empruntent à une technologie
leurs conditions mêmes de possibilité. L’opposition grecque entre une
'épistémè' contemplative, désintéressée et une 'technè' utilitaire,
active, débrouillarde et pratique ne nous parle plus; seule la nature
de cette liaison pose aujourd'hui problème.../ La science ne se
contente plus d'observer le réel, elle l'utilise, le modifie,
l'enrichit et la technique produit des outils qui permettent de savoir
plus et mieux " (49).
Les aléas du programme génome
Nul autre domaine que les sciences de la vie n'illustre mieux
cette évolution. Par exemple, elle explique l'absence du CNRS lors du
lancement du
séquençage du génome humain (Human Genome Program), un programme fondé sur l’essor des
biotechnologies, génomique et bioinformatique. Dans les années 1980
en France, l’initiative en la matière n'est pas le fait des EPST, mais revient à une fondation
de droit privé, le ‘Centre d'étude du polymorphisme humain' et à une
association de malades, l’’Association française contre les
myopathies’. Ensemble, ces deux organismes créent le 'Généthon' où
Jean Weissenbach dresse la cartographie du génome humain. En fait, mandaté par la direction de l'Inserm le biologiste
Philippe Kourilsky
a exprimé ses
réticences vis-à-vis d'une entreprise
dont le financement
parait susceptible de ponctionner le budget de la recherche
fondamentale, sans parler de la nécessité de recruter un personnel
technique peu qualifié, difficilement intégrable précise-t-il au sein
des établissements publics. Néanmoins, au début des années 1990, Hubert
Curien devenu ministre de la recherche prend l’initiative de lancer un
‘Groupement de recherches sur les génomes’ (GREG) dont il confie la
responsabilité à
Piotr Slonimski.
Or l'ancien directeur du 'Centre de génétique moléculaire' du CNRS
n'a
jamais caché son hostilité à toute forme de
recherche finalisée, notamment vers les applications médicale.
Ainsi, il a
refusé de collaborer avec Jim Watson venu solliciter sa participation
au ‘HGP’, moyennant quoi le GREG saupoudre ses crédits
pour le
séquençage de micro-organismes (levures, E. Coli, Bacillus subtilis,
etc.), refusant de donner une quelconque priorité à la recherche
médicale
(génotypage des maladies rares, vecteurs pour génothérapies,
etc.). En conséquence, à l'instigation ministère de la Recherche,
après deux ans d'existence le GREG doit céder la place au successeur du
Généthon, le Génopole
d’Évry dirigé par
Pierre Tambourin
qui vient de quitter la direction des SDV. Le directeur du CNRS (Guy
Aubert) lui ayant signifié "...que les biotechnologies n'étaient pas
l'affaire d'un EPST". En définitive, c'est au Génople d'Evry que
Jean Weissenbach réalisera en 2001 le
séquençage du chromosome 14
du génome humain, assurant ainsi la
participation de la France au ‘HGP'. "Dans les milieux de la recherche
académique on n'aimait pas la génomique. Pourquoi ? demande
l’intéressé, parce
qu'un programme de séquençage, c'est avant tout de l'acquisition de
données. Cela n'a pas ce côté élégant qui motive tant les
fondamentalistes. Mais il est vrai que de superbes travaux comme le
modèle
de l'opéron lactose (référence au Nobel des trois pasteuriens de 1965),
partir
d'une collection de mutants et déduire de leurs propriétés un mécanisme
de régulation génétique, sont plus satisfaisants pour l'esprit ".
L’Agence nationale de la recherche
Dotée d’un budget de plus d'un demi milliard d'euros inscrit dans la loi de
Finances,
l’ANR a fait une entrée en force dans le paysage scientifique
français titre le journal ‘Le Monde'. L’Etat y est majoritaire (52 %) au côté des EPST, chacun à
auteur de 6%, CEA, CNRS, INRA (agronomie), INRIA (informatique),
Inserm, ACPUR (banques, assurances), ANRT et ANVAR. Trois thématiques
prioritaires lui sont fixées, la recherche biomédicale et les sciences
du vivant, les sciences et technologies de l'information et de la
communication, l'énergie et le développement durable. L'Agence dispose
aussi de 80 M€ pour soutenir des projets non finalisés touchant à des
sujets émergents et de 10 M€ pour les SHS. La
contractualisation de la
recherche est le maître mot de l’ANR qui prend le contre-pied du
dispositif de crédits récurrents affectés aux laboratoires des EPST. Elle soutient
des projets de recherche à l’issue d’une évaluation effectuée a priori
et non plus a posteriori et affecte ses dotations en fonction de labels
de qualité (LaBex, Idex). A partir de 2010, l'Agence ouvre un
programme
spécifique destinés à
sélectionner
les unités de recherche auxquels les moyens attribués permettront
d'affronter la
concurrence internationale. Une loi-programme établit
des ‘Pôles de recherche et d'enseignement supérieur’ (PRES) destinés à
mettre en une seule main les laboratoires du secteur public, qu'ils
dépendent des organismes scientifiques ou de l'enseignement supérieur,
selon une
dispositions suggérée lors des états-généraux de la recherche (50).
Dans le
cadre des programme d'investissement d'avenir (PIA) confiés à l'ANR en
2010, les PRES cèdent la place à des ‘Communautés d'universités et
d’établissements de recherche’ (COMUE), dont la première mouture, le
campus de Saclay dispose d'une dotation tout à fait conséquente d'un
milliard d’euros. En
définitive, ces
dispositions s'inscrivent dans le regroupement d'instituts organisés
autour
d'un
agenda scientifique, commun l'avait fait André Mayer dans une perspective internationale, tout en
tenant compte de l'inéluctable rapprochement de la science et des
techniques annoncé par Henri
Longchambon un demi-siècle plus tôt.
Une évaluation mondialisée
L’unification des instances d’évaluation est confiée à une
‘Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur’,
devenue en 2014 ‘Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de
l’enseignement supérieur’ (HCERES). Mais les modalités de l'évaluation scientifique ont
profondément changé de nature, passant du
niveau individuel
des chercheurs, telle que la pratiquaient les
sections du comité
national, à celle d'entités collectives, laboratoires, instituts ou ensembles
universitaires, désormais mesurée à l'échelle internationale (publications, prix, etc.) (50b). Les
pratiques de publications s’orientent d'ailleurs
vers une sorte d'anonymat lié à la multiplication de leurs participants. Par exemple, la carte la du génome humain
publiée dans la revue américaine ‘Science’ en 1996 ne comporte pas
moins d'une centaine de signatures, dont celle de
Jean Weissenbach,
son principal artisan (51). L'évaluation scientifique s'inscrit maintenant dans des
critères de comparaisons mondialisés, ‘Thomson Reuters’, ‘Academic Ranking of World
Universities’ (ARWU) de l’université de Shanghaï, tandis que le
recours aux publications sur lesquelles elle repose implique la
généralisation de l'anglais dont l'usage s'est d'ailleurs
plus facilement imposé aux sciences naturelles que dans les sciences
humaines. L’un des résultats de cette réorganisation peut s’apprécier en termes de visibilité internationale
avec la quatorzième position obtenue dans le
classement ‘ARWU 2020'
par le groupe 'Université Paris-Sud' (ex-U.-Paris-Orsay,
ENS-Cachan, I. Gustave Roussy, CHU Kremlin-Bicêtre, avec des instituts
comme Neurospin (CEA), des UR de l’Inserm et du CNRS) entre les
universités américaines de Californie (UCLA) et Johns Hopkins (52).
Quant au CNRS, désormais inséré dans le cadre d’une politique
scientifique fixée en dehors de ses murs, l'évaluation de ses
chercheurs reste l'apanage de son comité national, encore
celle ci concerne-t-elle des post‘docs sélectionnés et formés aux
travaux de
laboratoire, ce qui
n’était pas le cas des boursiers de la caisse des sciences, «...ces
cerveaux si fâcheusement pourvus d'estomacs » disait Jean Perrin au
siècle précédent (53).
Notes
* Ce texte reprend les éléments de
deux ouvrages sur l'histoire du CNRS - Picard, J-F.,
'La République des savants. La Recherche
française et le CNRS', avec. la collab. de G. Darmon et E.
Pradoura, préface d'A. Prost, Flammarion, 1990 & Guthleben
D., 'Histoire du CNRS de 1939 à nos jours', préface de M. Blay,
Armand Colin, 2013 - où l'analyse ne dépasse guère le seuil des années 1990. Outre que l'on insiste ici sur le rôle
injustement méconnu de deux acteurs majeurs à l'origine du CNRS,
André Mayer et
Henri Longchambon, sur lesquels on ne dispose que de peu d'éléments biographiques contrairement à Jean Perrin et à
Henri Laugier, on y trouvera aussi certains compléments portant sur le CNRS au cours de ces dernières décennies.
(1) Mayer A., 'Allocution pour le 25ème anniversaire de l'IBPC', Hermann, 1952, cité in
http://www.histcnrs.fr/IBPC-DLA.pdf
(1b) Fosdick, R. B., ‘A Philosophy for a Foundation. On the Fiftieth
Anniversary of the Rockefeller Foundation 1913 - 1963'. New-York, 1963.
(2) Picard J-F, Op. cit, p. 36
et sq.
(3)
Ibid. et Perrin, J. ' L'organisation de la recherche scientifique en France', Hermann et Cie éditeurs, 1938
(4) Note J. Cavalier au ministre, janvier 1935 (AN 80284, liasse 1)
(5) Zay, J., 'Souvenirs et solitude', Le talus d'approche, 1987
(6) Conseil supérieur de la recherche scientifique, 2-5 mars 1938, Melun, imp. administrative, 1938
(7) Mayer A., 'Rapport présenté à la commission chargée de préparer le
réglement intérieur de la caisse nationale des sciences' (AN 80284)
(7)
Mayer J., 'André Mayer, a biographical sketch (1875 - 1956)', The journal of Nutrition, 99, 1 - 8
(8) Picard,
Op. cit, p. 100
(9)
Nye M-J., 'Science in the Provinces: Scientific Communities and
Provincial Leadership in France, 1860-1930', University of California
Press, 1986
(10) Charle C., 'La République des universitaires', Seuil, 1994
(11) Picard J-F. Op. cit, p. 61 et sq.
(12)
Idid. p. 58
(13)
Paris-Midi, 26 nov. 1939
(14) Pestre D., ''Raoul Dautry, la naissance d'une pensée technique
1880 - 1951', Institut français d'architecture, sept. 1987 et Weart S.,
'Scientists in Power', Harvard U. Press, 1979.
(15)
Kropfinger, G. 'Henri Longchambon (1896 - 1969)', mémoire de maitrise Paris IV, juin 1997
(16) Guthleben, D.,
Op. cit., p. 45 et sq.
(17) Goudsmit, S. A., 'L'Allemagne et le secret atomique (la mission Alsos)', Arthème Fayard, 1948
(18) PIcard J-F, Op. cit. p. 98. (P.V. du comité directeur du CNRS en 1944 in AN 80284, 114, 183 et 205)
(19) Teissier G., 'Une politique française de la science', conférence à
l'Union Française Universitaire, 21 juin 1946. En 1950, pour des
raisons politiques Joliot et Teissier seront démis de leurs fonctions
l'un au CEA l'autre au CNRS, sans que l'événement ne semble avoir eu de
conséquences majeures dans l'histoire des deux organismes.
(20) Ibid. , 'L'avenir de la
science' , 3ème congrès de l'UFU, 1 avril 1947. Sur les circonstances
du renvoi de Teissier du CNRS en 1950, cf. Guthleben D.
Op. cit. p. 138 et sur
celle de Joliot du CEA, Pinault M., 'Frédéric Joliot-Curie', Paris, O. Jacob,
2000
(21) Prenant M., 'Problèmes actuels du progrès scientifique en France',
La Pensée, 77, 1-2 1958
(22)
Le Monde, 6 oct. 1954
(23) Duclert V., 'Le colloque de Caen, second temps de l'engagement
mendésiste', in Recherche (Le gouvernement de la recherche) 2006
(24) Colloque 'enseignement et recherche scientifique',
Les cahiers de la République, janv. 1957
(25)
Le Monde, 17 oct. 1956
(25b) Picard J-F, 'Recherche et Industrie, témoignages sur quarante ans
d'études et de recherches à Electricité de France', Eyrolles, 1987
(26)
Le Monde, 29 déc. 1954
(27)
Ibid., 13 fév. 1960
(28) Longchambon H., 'La France face aux conséquences du progrès scientifique et technique', Cahiers laïcs, 1957
(28b)
Aust J., Picard D., 'Gouverner par la proximité. Allouer des fonds à des projets de recherche dans les années 1960', Genèse, 2014-1, n° 94, pp. 7 - 31
(28c) Pour préciser sa position, Jean Coulomb sa plaisait à citer un
article du physicien Léon Brillouin intitulé 'Solitaire ou embrigadé",
La Revue de la NRF, 2 nov. 1956 : "jusqu'où
irons nous dans cette voie ? Les savants dirigés et contrôlés cesseront
peut être de s'intéresser à leurs recherches, deviendront des
fonctionnaires plus ou moins zélés. La circulation des idées une fois
étranglée, l'émulation tombera, la curiosité s'émoussera, la
spécialisation technique survivra seul sous ce régime bureaucratique
et, peu à peu, nous nous acheminerons vers une société de fourmis, une
ruche bien organisée assez semblable au 'brave new world' prédit par
Huxley."
(29)
Bénilan A-L et R., Notes d'archives extraites des PV des sessions 1971 -1979 du comité national (AN 830008, boites 119 - 183)
(30)
Le Monde, 7 et 18 juin 1962
(31) Interventions de A. Kastler intervention au directoire du CNRS, juin 1965 (AN 94-0035)
(32) Néel, intervention au directoire du CNRS, juin 1965 (AN 94-0035)
(33) Barrier J., 'Aux frontières de l'industrie. Travail de démarcation
et émergence d'un champ de recherche universitaire sur la
microélectronique en France (1978 - 1986)' in Le gouvernement des
disciplines acédémiques (J. P. Leresche dir.), Paris, E.A.C. 2017. Voir
aussi Ramunni G., Les sciences pour l'ingénieur. Histoire du
rendez-vous des sciences et de la société, Numilog.com, 1996 et Guthleben, Op. cit., p. 321 et sq.
(34) Picard J-F., 'Les femmes dans les laboratoires de biologie',
in Les Femmes dans l'histoire du CNRS, G. Hatet-Najar ed., Paris, CNRS,
2004
(35) Heim R., intervention du directeur du Museum, au C. A. du CNRS, 9 mars 1945 (AN 80-0284, 55)
(36)
Bénilan A-L et R., Ibid.
(37) Joliot, F., conférence donnée au CNRS, 7 juin 1945 (AN 80-0284)
(38) Bernard A. et al., 'Groupe d'étude sur le fonctionnement du
comité national', CNRS, 1973; Lemaine G., Darmon G. et al.,
'Noopolis, les laboratoires de recherche fondamentale, de l'atelier à
l'usine', Ed. du CNRS, 1982. Voir aussi Guthleben, D., p. 308 et sq.
(39) Gros F., intervention au directoire du 5-6 juillet 1977 (AN 94-0035)
(40)
Le Monde, 9 juillet 1981
(41) Lazar P., 'La science doit rester au contact de la société',
Le Monde, 20 janv. 1982
(42) Avonny M., 'Questions',
Ibid., 13 janv. 1982
(43) Le Hir, P.., 'La recherche française dans la spirale du déclin',
Le Monde, 11 mars 2003
(44) 'Discussion avec Alain Trautmann qui réclame un plan Marshall pour la recherche',
Ibid., 15 janv. 2004
(45) 'La contribution de Nobel français au débat sur la recherche.
La crise de la recherche académique, une opportunité de changement',
Ibid. , 9 mars 2004
(46) Bronner L., L'Académie des sciences dénonce l'inadaptation
du modèle français de recherche et prône une refonte totale',
Le Monde, 13 avril 2004
(47) 'Le gouvernement fait fausse route', Tribune, Y. Coppens, G.
Fussmen, A. Kahn, J-C Pecker, J-P Vernant, H. Reeves,
Le Monde, 4 avril
2005
(48)
Le Monde, 17 janv. 2006,
L'Humanité, 18 janv. 2006
(49) Séris J-P, 'La Technique', coll. quadrige, Paris, PUF, 1994. Voir
aussi 'Histoire des sciences et des savoirs', t. III Le siècle des
technosciences, coll. sous la dir. de D. Pestre, Seuil, 2019
(50)
Le Monde, 18 avril 2006
(50b)
Une évolution qui ne manque pas de susciter une nouvelle levée de boucliers des chercheurs contre A. Petit, le PDG du CNRS, Le Monde, 6 déc. 2019
(51)
'A gene map of the human genome', Science, vol. 274, 25 oct. 1996
(52) Dans les cent premières places du classement ARWU 2020, on relève aussi
l'U. Paris-Sciences-Lettres (36), U. Sorbonne (39) et U. Grenoble Alpes
(99)
(53) Perrin J., 'La science française' in
Les Cahiers de Radio-Paris, 10 janv. 1939
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